Ce mois-ci dans Addiction

Addictaddiction-revue-de-presse-1ion est le premier journal au monde en matière d’addictologie clinique et de politique de santé autour des addictions. Au sommaire du numéro d’octobre, deux dossiers spéciaux sur l’alcool et une sélection de plusieurs autres articles d’intérêt pour le monde de l’addictologie

Par Benjamin Rolland

 

Dossier « Alcool et monde musulman »

Le dossier commence par un article de synthèse de Al-Ansar et al., qui passe en revue les différentes politiques de santé et la législation autour de l’alcool dans les pays musulmans, et analyse dans quelle mesure ces pays ont tendance à être influencés par des pressions croissantes pour faciliter l’accès à l’alcool par la population. Selon les auteurs, cette influence serait liée à la globalisation, à l’influence de l’industrie de l’alcool, à l’instabilité politique, et dans certains cas, à une immigration d’origine non-musulmane.

Parmi les commentaires à cet article, Kamela et al. remarquent qu’il est compliqué de proposer une synthèse sur « les » pays musulmans, lesquels présentent en réalité une diversité sociale et culturelle extrêmement importante. Ils soulignent également que dans certains pays musulmans, la parole des religieux est très écoutée par la population, et fait au moins autant office de santé publique que la législation officielle. Raed Bahelah, qui travaille en Floride, rappelle que les pays musulmans où l’alcool est officiellement prohibé ne sont pas forcément ceux où la consommation est la plus faible.

 

Dossier « Pertinence de la définition “4/5+” du Binge Drinking»

Au niveau international, les études sur le Binge Drinking se multiplient. Pourtant, il existe plusieurs définitions cliniques de ce comportement de consommation d’alcool. La définition la plus utilisée dans les études épidémiologiques est certainement celle basée sur les critères “4/5+”, c’est à dire plus de 4 verres par occasion pour les femmes, et 5 verres pour les hommes (attention en théorie, ce sont des verres américains, qui contiennent 12g d’alcool et pas 10g comme en France). La définition “4/5+” ” du Binge Drinking est celle retenue par l’OMS, mais aussi par l’administration fédérale américaine, le Substance Abuse and Mental Health Services Administration (SAMHSA). A l’opposé, d’autres définitions insistent sur la rapidité de consommation, comme par exemple celle du National Institute on Alcohol Abuse and Alcoholism (NIAAA).

Dans ce dossier spécial de Addiction, un article princeps de Matthew Pearson et al. explique l’inanité scientifique de ces seuils, bâtis sur de vieilles études rétrospectives, et régulièrement remis en question depuis, mais toujours très utilisés car faciles à explorer.  Les auteurs proposent de développer des évaluations alternatives basées notamment sur les nouvelles technologies et les objets connectés. Parmi les commentaires, Alys Havard, de Sydney, souligne par ailleurs que l’utilisation des critères “4/5+” est également recommandé dans les interventions brèves, alors qu’ils sont souvent peu intégrés en pratique par les patients. Le problème des seuils de consommation est qu’ils n’abordent pas les conséquences individuelles de l’usage d’alcool, alors que ce sont souvent ces conséquences qui ont la valeur motivationnelle la plus forte chez les usagers d’alcool.

 

Estimation de l’impact de santé publique d’une légalisation du cannabis aux Etats Unis

Dans cet article de synthèse, les professeurs Wayne Hall (Herston, Australie) et Michael Lynskey (Londres, Angleterre) essaient d’estimer quel pourrait être l’impact sanitaire d’une légalisation du cannabis aux Etats-Unis. Sur la base de données issues d’autres expériences de légalisation, les auteurs estiment qu’une légalisation du cannabis entrainerait une réduction du prix et une augmentation de l’accessibilité du cannabis, avec une augmentation probable mais incertaine du nombre d’usagers, et des conséquences négatives du cannabis sur certains de ces usagers. Les auteurs n’évaluent pas l’impact qu’aurait une telle évolution de la législation en matière de réduction de criminalité.

En cas de légalisation ultérieure, ils proposent une série de critères à surveiller de manière longitudinale : accidents et décès routiers liés au cannabis, nombre d’hospitalisations en service d’urgences en lien avec une intoxication au cannabis, nombre de consultations en services addictologiques, prévalence de l’usage régulier de cannabis dans les services de psychiatrie et les structures judiciaires.

 

Trajectoires d’usage de l’alcool et du cannabis chez les adolescents et impact social

L’expérience clinique de beaucoup de professionnels de l’addictologie est que l’impact socio-environnemental de l’usage d’une substance à l’adolescence est souvent assez finement corrélé à l’importance de l’usage de cette substance, que ce soit en termes de quantité et de fréquence. Parfois les recherches importantes sont celles qui viennent confirmer, ou au contraire démentir, une impression clinique généralement acceptée.

En l’occurrence, ce papier d’une équipe américaine de Santa Monica (Californie) ne vient pas bousculer les idées reçues. Elle confirme au contraire que plus les usages d’alcool ou de cannabis sont importants, plus l’échec scolaire et les comportements délinquants le sont également. Attention, il s’agit d’une étude épidémiologique, et l’association mise en évidence n’est pas forcément causale. Il peut exister des facteurs non-exploré (conditions économiques, troubles psychiatriques, …) qui sous-tendent l’association entre niveaux d’usage et évolution sociale.

 

De l’initiation à l’usage quotidien de cannabis : poids des facteurs éducatifs au sein de trois générations successives

L’un des articles qui a le plus retenu notre attention ce mois-ci dans Addiction est publié par une équipe française. Stéphane Legleye et l’équipe de l’Institut national des études démographiques (INED) publient ici les résultats d’une enquête téléphonique qui a exploré l’âge d’initiation du cannabis, l’évolution ultérieure des consommations, ainsi que les autres usages de substances et des données sur le niveau d’éducation.

Les auteurs rapportent que 24% des usagers vie-entière de cannabis ont évolué vers un usage quotidien avant l’âge de 35 ans. Par ailleurs, ils montrent que si l’expérimentation du cannabis ne semble pas influencée par des facteurs éducatifs, l’évolution vers un usage quotidien est beaucoup plus fréquente chez les sujets faiblement éduqués, et ce quelle que soit la génération concernée.

C’est une étude importante qui souligne, avec des données originales, que les facteurs liés à l’usage d’une substance ne sont pas les mêmes que ceux liés à la perte de contrôle de l’usage de cette substance. Autrement dit que usage et addiction ne sont pas synonymes.