“Caïd
" Une mini série de Nicolas Lopez 
et Ange Basterga

Cannabis

Il y a du « C’est arrivé près de chez vous » ou du « Blair Witch Project » dans cette mini-série, caméra embarquée, qui compte dix épisodes très courts, entre dix et quinze minutes environ chacun. La série est dérivée d’un long-métrage des mêmes réalisateurs, sortie en 2017… Un tournage de clip en milieu “hostile“ se transforme en règlement de compte sanglant. Ici, on n’y va pas avec le dos de la cuillère. On cherche à nous impressionner, à nous faire peur dès le début. Franck et son cameraman Thomas ont rendez-vous avec un certain Tony, chef de réseau tout juste sorti de prison, au cœur d’une cité du midi de la France dont l’entrée est gardée par un petit groupe de jeunes qui filtrent les entrants devant montrer patte blanche… 

Franck est un réalisateur envoyé par une maison de disque pour récupérer les images nécessaires à la réalisation du clip promotionnel d’une chanson de rap interprétée par Tony. Le chef de réseau rêve d’ailleurs. S’il s’est lancé dans le rap, sans se faire trop d’illusions tout de même, c’est surtout pour trouver une bonne raison de sortir d’un milieu fermé dont on ne s’échappe pas si facilement. Le clan et la solidarité de façade, qui est censée en faire le ciment, sont aussi une forme de prison pas si dorée que ça, ou au moins un piège. S’en dégager, c’est en quelque sorte abandonner sa communauté et ses pairs dealers à leur sort. C’est du moins ce que ressent Tony, et ce qui l’empêche de franchir entièrement le cap… Il est aussi question d’éviter de faire entrer les prochaines générations dans ce milieu du trafic, à l’image du petit frère de Tony qui fait tout pour être partie prenante de cet univers, mais que la grande sœur protège au mieux, en vain…

« Ça y est, maintenant, j’ai envie de faire autre chose. Je suis fatigué. C’est bon, j’en ai marre. Tu sais comment c’est le charbon (le deal), une fois que tu as commencé et que tu es rentré dedans, pour en sortir, c’est pas facile.
Tu sais moi, j’aurais jamais cru qu’un label pouvait me contacter. Maintenant que j’ai vu qu’il y a un label qui peut me contacter, et que je peux faire du rap, j’ai envie de sauter sur l’occasion…
(…) Il faut que je fasse ma vie aussi. » Tony à Franck

Cette sensation d’enfermement, Franck et son cameraman vont assez vite la ressentir aussi. Ils ne sont pas véritablement les bienvenus dans la cité qui se méfie des caméras sur des lieux de deal qui tournent à plein régime Quitte à être coincé là, malgré l’hostilité ambiante, sauf de la part de Tony bien entendu, autant prendre le maximum d’images avec les risques qui sont associés à ces prises de vues, d’autant que la maison de disques demande du croustillant pour alimenter le clip et se préoccupe peu des dangers que prendront les deux protagonistes. Franck et son cameraman sont autant sous pression que Tony, et les seuls moments de respiration qui nous sont proposés sont un barbecue convivial sur les toits de la cité et une visite chaleureuse chez la mère de Moussa, le partenaire de deal et ami d’enfance de Tony. On comprend lors de cette visite que l’implication de Moussa dans le trafic est la conséquence d’un rêve brisé de footballeur professionnel… 

Tirer son épingle du jeu dans cet univers du deal, c’est, semble-t-il, affirmer son autorité et ne surtout pas faire de compromis avec les ennemis déclarés… Pour tourner la page du deal dans son parcours de vie, Tony ira bien trop loin, et ce, malgré les promesses faites à sa sœur pour éloigner son petit frère de cet univers… Au final, Franck, le réalisateur et Thomas, son cameraman, seront confrontés en direct à un règlement de compte armé et sanglant entre bandes rivales… Même s’il semble si difficile dans cette cité d’échapper à une voie toute tracée, celle du deal, on ne peut passer à côté des petites graines d’espoir disséminées ici et là, notamment une énergie qui saute aux yeux (boostée, certes, par l’adrénaline libérée) et les rêves persistants de jeunes qui peuvent déplacer des montagnes pour les accomplir… Cette cité d’une commune des Bouches-du-Rhône n’est, certes, pas montrée sous son meilleur jour même si le soleil tape, mais la courte apparition d’un habitant de quartier plus âgé que tous les personnages de cette fiction laisse entendre qu’il est temps de changer les présentations toutes faites sur ces cités, associées depuis bien trop longtemps au trafic de drogue, et de mettre en avant les initiatives positives qu’elles abritent. Ne pas se voiler la face vaut aussi bien pour le mauvais que pour le bon, au risque sinon d’une stigmatisation qui tend inévitablement vers l’abandon…

« (à Tony) Ne montre pas ton business… Montre autre chose. Dis-leur que tu ne dors pas la nuit, que tu ne sais pas si tu vas être vivant ou mort. Dis-leur que tu sors de prison et que tu ne sais pas si tu vas y rentrer ou si tu vas mourir. Dis-leur… C’est ça qu’il faut montrer aussi. (à Franck) Filmez les gens qui se lèvent tôt, à six heures du matin, pour aller faire des ménages, pour payer à manger à leurs enfants, des pères qui partent aller travailler avec leur glacière. Filmez-les ! Filmez les enfants qui réussissent. On n’a pas la même chance que tout le monde ici. On est tout seul. Ce que vous faites, c’est nous enfoncer encore plus. » Un habitant du quartier. 

Thibault de Vivies
(Cet article paraîtra dans le numéro 19 de la revue DOPAMINE – www.revuedopamine.fr)

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