“Dark blue“ - 
Une bande dessinée de Warren Ellis (scénario) 
et Jacen Burrows (dessins)
 Editions Komics Initiative

Une bande dessinée de Warren Ellis (scénario) 
et Jacen Burrows (dessins)
 parue aux éditions Komics Initiative

Autres drogues

Cette réédition d’une bande dessinée, parue originellement il y a une vingtaine d’années, et accompagnée, dans ce volume, d’une deuxième histoire, Atmospherics, nous embarque dans un monde futuriste en noir et blanc où une drogue de fiction, la LD 50, « la dose qui tue la moitié des sujets », plonge les consommateurs dans un univers fictionnel qu’ils n’ont pas choisi… Nous y reviendrons… La ville semble à la merci d’un psychopathe tueur de masse, particulièrement sanglant, qui fait tourner en bourrique la police de la ville. Un jeune inspecteur, Franck, traumatisé par une scène de crime à laquelle il a été confronté, scène sanglante laissant apparaître une dizaine de corps mutilés, et décapités, met tout en oeuvre pour essayer de mettre la main sur le principal suspect, un certain Trent Wayman. Sa collègue Deb est prête à l’aider mais trouve qu’il va bien trop loin en cuisinant bien trop en profondeur, de potentiels informateurs. Leur chef, lui, s’anesthésie quotidiennement dans son bureau, sans s’en cacher, en s’injectant ce qui pourrait être un opiacé, au vu des effets, même s’il le présente comme un remontant. Il ne sera pas d’une grande aide pour Franck qui prend sa mission très à coeur, mais doit faire avec des passages à vide sûrement dus aux médicaments qu’il prend… Visiblement il est sous effet de cette drogue, la LD 50, dont cinquante pour cent des consommateurs semblent être victimes de surdose létale. Cette drogue de fiction a une autre caractéristique : elle provoque des hallucinations partagées par l’ensemble des usagers sous effet, plongés alors, ensemble, dans une ville imaginaire qu’ils pensent, eux, être bien réelle. Cette ville est prête à accueillir vraisemblablement toutes leurs angoisses et autres troubles psychiques, l’intérêt étant alors justement de soigner les pathologies dont sont victimes les agents de la CIA. C’est en effet au sein de l’agence américaine que la drogue de synthèse a été créée, et ce à partir de plantes millénaires, aux vertus hallucinogènes… Le problème est que le fameux serial killer, Trent Wayman, était aussi agent de la CIA, également sous effets, mais qu’il a fait une overdose létale. Il est donc mort dans la vie réelle, mais apparemment pas dans la ville imaginaire où il peut assouvir tous ses fantasmes criminels. Franck, à son réveil dans le laboratoire de la CIA, n’aura alors qu’une seule idée en tête, retourner quoi qu’il en coûte dans la ville imaginaire où il est policier, pour mettre la main une bonne fois pour toutes sur le psychopathe et le mettre hors d’état de nuire…

Cette idée de scénario est venue au scénariste, Warren Ellis, à la fin des années 80, suite à la lecture d’une interview du fameux ethnobotaniste Terence McKenna, spécialiste des plantes aux effets psychédéliques. Dix ans plus tard, Ellis écrit cette histoire en prenant appui sur les mots de Mckenna concernant la DMT (la diméthyltryptamine), à savoir notamment que « Près de la moitié des utilisateurs de DMT déclare avoir partagé la même hallucination. Quand on prend de la DMT, on se rend dans un endroit qui est encodé dans la drogue même. » Dans sa postface, Warren Ellis retranscrit avec plus de détails le discours de McKenna et le monde auquel donne accès la DMT, monde qui serait accessible à peine quinze minutes après l’ingestion (plus haut, pourtant, dans son discours, il nous dit que la drogue se fume…)… Attention, il serait plus qu’illusoire de penser qu’une drogue hallucinogène comme la DMT (mais nous pouvons en dire autant des autres drogues) puisse provoquer des hallucinations partagées, et ce quel que soit l’individu ou le contexte. Les consommateurs peuvent, bien entendu, avec un même produit, partager des expériences similaires d’un trip à un autre, d’un individu à un autre, dans la forme et dans le contenu, mais il est tout de même difficile de dégager des constantes tant les effets, et plus globalement les expériences d’usage sont multifactorielles, et varient donc d’un individu à un autre, d’un dosage à un autre, d’un contexte à un autre… Si l’on veut s’aventurer dans une expérience imaginaire partagée, les univers virtuels des jeux en réseau en proposent une ribambelle, et tentent de proposer aux consommateurs-joueurs des mondes fictionnels les plus réalistes possible, du moins dans la texture du dessin. Ils savent surfer sur des mécanismes cérébraux similaires à ceux qui sont initiés par les produits psychoactifs…

Thibault de Vivies

(Cet article paraitra dans le numéro 17 de la revue DOPAMINE. www.revuedopamine.fr)

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