“Euphoria - Episode spécial : Rue“
 - Un épisode de la série télévisée de Sam Levinson - 
Diffusion HBO - OCS

Autres drogues

Nous ne sortirons pas de ce bar-restaurant américain sans en savoir un peu plus sur la problématique addictive à laquelle est confrontée Rue, le personnage central, si fort et si attachant, de cette série télévisée dont la première saison fut diffusée en 2019. Un numéro spécial noël sort en cette fin d’année 2020. De noël, il n’en sera question ici que pour le souhaiter, le temps d’une pause cigarette, et à distance, aux membres de sa famille, si loin depuis si longtemps… Ali, la cinquantaine, et père de deux filles qu’il ne voit plus ou que très rarement semble-t-il, est le “parrain“ de sevrage de Rue, jeune lycéenne de 17 ans polyconsommatrice de psychotropes qui, soit l’anesthésient, soit la font voyager. C’est Ali qui prendra le temps de contacter son ex-femme et ses enfants pour tenter peut-être une première approche de réconciliation à l’occasion de cette fête de Noël… Le cinquantenaire est un usager abstinent qui est prêt à accompagner Rue dans son parcours de sevrage, mais à condition qu’elle ne lui fasse pas perdre son temps en lui faisant croire qu’elle est toujours abstinente, qu’elle va très bien en ce moment, et qu’elle a trouvé une forme d’équilibre de vie. Rue vient de se défoncer dans les toilettes de ce bar-restaurant, et Ali s’en est vite rendu compte. Il attend d’elle qu’elle joue carte sur table avec lui… Assis l’un en face de l’autre pour cette discussion nocturne la veille de Noël autour de pancakes, Ali et Rue vont alors se parler franchement, et sans détour pour une fois, le temps que durera l’épisode, c’est-à-dire une petite heure. Allez savoir ce qu’il en restera et si un cheminement se fera, ou pas, dans l’esprit de Rue. Difficile de le savoir au moment où Ali la raccompagne en voiture sous la pluie… 

Rue a “rechuté“, comme on dit, à savoir qu’elle est sortie de l’abstinence qui était pourtant l’objectif qu’elle s’était fixé. Si elle n’a pas appelé son parrain au moment où le désir de consommer se présentait, pour qu’il l’aide alors à trouver des stratégies d’évitement, comme cela se fait entre abstinents, c’est que la jeune femme n’essayait pas vraiment d’empêcher cette rechute. Les médicaments mis de côté en cas d’urgence étaient à disposition au moment où le cerveau bouillonnait en pensant à des choses qu’il aurait préféré oublier… Le problème est que Rue ne veut pas stopper sa consommation, et qu’elle s’autodéprécie. Ali, qui considère l’abstinence comme une arme, lui explique, avec peut-être un peu trop de fatalisme et d’assurance, qu’il considère l’addiction comme une maladie « dégénérative, incurable, mortelle » et en nous dès la naissance. C’est comme ça, pense-t-il. Pas de bol pour certain d’entre nous. Il n’y a pas d’explication, donc pas de raison de culpabiliser. Laissons ça, dit-il, aux observateurs mal intentionnés qui n’y connaissent rien, et partent du principe qu’un usager n’a que ce qu’il mérite en fin de compte, alors à quoi bon l’aider ? Heureusement, dit Ali avec le sourire, il y a des gens malades comme Rue, qui peuvent alors la comprendre et savent bien que ce n’est pas une mauvaise personne… 

Ali explique à Rue qu’il est abstinent, non pas depuis une vingtaine d’années comme elle le pensait, mais depuis sept ans en fait. Après douze années d’abstinence, il a replongé pendant un an et demi, avant de repartir à zéro pour redevenir abstinent. La raison de cette rechute : il a oublié les dégâts du produit. Surtout après douze années, difficile de ne reprendre un usage que pour quelques jours, affirme-t-il. La machine infernale s’est relancée… Si Ali a réussi son sevrage, dans l’immédiat du moins, c’est grâce à l’aide des Narcotiques Anonymes. C’est à une de leurs réunions qu’ils se sont rencontrés avec Rue. Mais la jeune femme a du mal, elle, à passer l’étape deux, sur douze, du cheminement proposé par les N.A. Cette étape consiste à croire qu’une puissance supérieure peut nous rendre la raison et donc nous venir en aide… La discussion va alors tourner autour du deuil, du mystère d’une vie qui se poursuit alors que celle d’à côté s’arrête, mais aussi autour des révolutions à répétition qui font qu’au final on est bien tous des révolutionnaires. La seule vraie révolution pour Ali, celle qui ne soit pas éphémère, est la révolution spirituelle. Ali n’y va pas par alors quatre chemins, et sait malheureusement diaboliser les usages de drogues comme personne. Il met Rue en garde contre le pourrissement intérieur d’un usage continu et l’invite à la vraie révolution, celle qui ne souffre aucun compromis avec cet usage. Il faut aller au bout de cette révolution. Les efforts paieront un jour, sûrement, il l’affirme… Il sera alors aussi question ce soir-là de Jules, la petite amie de Rue, et de savoir dans quelle mesure, la relation amoureuse aide ou handicape les premiers temps du sevrage. Avec la complicité d’une serveuse qu’Ali connaît bien, et qui en est, elle, a dix-sept ans de sevrage, on en vient, entre les lignes, à conseiller à Rue de mettre sa relation sentimentale de côté pour se concentrer sur son sevrage. Un sevrage dans le dénuement sentimental total donc. Jules devient alors pour Rue, à ce moment-là dans la discussion et soudainement, la cause de sa rechute car elle l’a trompé, et c’est la raison pour laquelle Rue a eu besoin de revenir vers le produit… Malgré tout, avant d’en vouloir à la terre entière, la jeune femme en veut surtout beaucoup à sa propre personne. Elle a fait des choses “impardonnables“ qu’elle regrette. Mais Ali voit dans cette autoflagellation une trop bonne raison de consommer des drogues, car à quoi bon s’en empêcher puisque l’on est, quoiqu’il arrive, une “merde“. Je suis impardonnable, je ne mérite pas le pardon, donc je me punis en consommant encore et toujours. Voilà sa théorie… 

Ali aura ici l’occasion de se confier sur son parcours de vie et racontera à Rue tous ces actes “terribles“ qu’il a accomplis lui aussi quand il était addict, comme par exemple frapper sa femme devant ses deux filles après avoir pourtant souhaité toute sa vie, et depuis qu’il est enfant, la mort de son père qui battait sa mère devant lui. De son point de vue « La vérité, c’est que la drogue change l’être humain que tu es. Ta morale, tes principes, tout ce qui te tient à coeur et toutes tes convictions, vont finir par s’envoler. Car il n’existe rien de plus fort sur Terre que ton prochain fix… … Ce qui me manque dans la défonce, c’est la beauté. Peut importe ce qu’il se passe dans le monde ou dans ta vie, tu es persuadé que tout ira bien. ». On peut bien entendu être en désaccord avec Ali sur un certain nombre de points, et Rue passe d’ailleurs la soirée à questionner du regard ou en mots les bonnes paroles de son parrain, mais toujours est-il que le point de vue de cet homme, comme tout point de vue sur le sujet, qu’il émane d’un usager ou d’un ex-usager, détient sa part de vérité puisqu’elle est le fruit de son expérience, ses connaissances et son ressenti. Et chacune de ses expériences et connaissances, et chacun de ses ressentis, compte pour essayer de cerner une problématique d’usage, si tenter qu’il soit possible de la cerner vraiment…  

Thibault de Vivies
(Cet article paraitra dans le numéro 18 de la revue DOPAMINE – www.revuedopamine.fr)

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