“La daronne“, 
un film de Jean-Paul Salomé adapté du roman de Hannelore Cayre

Plongez un corps étranger dans un trafic de haschich d’envergure et vous aurez de quoi agiter tous les acteurs de ce trafic et leur entourage proche, brigade des stups en tête, prête à mettre la main sur un nouveau gros bonnet, sans savoir qu’il est en fait de la maison comme on dit… “La Daronne“ est le surnom donné par les dealers de quartier à Patience Portefeux, veuve d’une cinquantaine d’années,  avec lesquels elle est en affaire pour leur vendre la tonne de résine de cannabis qu’elle a sur les bras. Comment en est-on arrivé là ? Comment cette femme sans histoire peut-elle se retrouver mêlée à un tel narco-business, et comment va-t-elle s’y prendre pour écouler sa marchandise ? C’est tout l’enjeu de ce film et du roman dont il est adapté, un roman de Hannelore Cayre, avocate pénaliste qui connaît bien son affaire quand il s’agit d’écrire sur le milieu du trafic de stupéfiants. Dans le roman, bien plus que dans le film, dont l’avocate est co-scénariste, l’auteure profite sûrement un peu de cette parole confiée à cette quinquagénaire pour exprimer sa colère ou plutôt son désappointement quand il s’agit de politique de lutte contre ce trafic de stupéfiant. La Patience du film semble tout de même bien plus désabusée ou indifférente que celle du roman, et n’a que de rares occasions d’exprimer son incompréhension face à la ténacité de la machine punitive qui s’abat sur les petits dealers qu’elle ne va alors pas hésiter à aider avec les moyens du bord… 

Patience, prénom qui a été donné à notre héroïne à la naissance pour être née à dix mois, travaille clandestinement (dans le roman du moins), non pas pour un entrepreneur malhonnête, mais pour le gouvernement français par l’intermédiaire du ministère de la justice. Elle est veuve depuis une vingtaine d’années, mère de deux grandes filles, et traductrice-interprète judiciaire. Elle traduit, de l’arabe au français, de nombreuses heures d’enregistrement de conversations de petits dealers de cités de banlieue pour le compte de la brigade des stupéfiants. Il est dit dans le roman qu’elle est fille d’un pied noir tunisien (responsable d’une entreprise de transport qui acceptait quelques cargaisons dites additionnelles à ses convois) et d’une mère juive autrichienne. Elle maîtrise parfaitement l’arabe, souvent bien mieux que les jeunes dont elle doit retranscrire les bouts de conversation maladroite et grossière, et dont elle a l’impression de connaître toute la vie, les codes et les combines au point de s’y attacher, du moins pour certains d’entre eux…

Voulant assurer l’avenir de ses deux filles et payer le coût exorbitant (3 200 euros par mois) de la maison de retraite de sa mère atteinte de la maladie d’Alzheimer, elle décide de profiter de ce qu’elle apprend lors de ces écoutes judiciaires, qu’elle sait aussi falsifier à l’occasion, pour protéger le conducteur d’un go slow qui remonte la marchandise d’Espagne, en provenance du Maroc, et qui se trouve être le fils de Khadidja, l’aide soignante de sa mère. Elle lui fait passer le message d’égarer au moment opportun les policiers en filature, de balancer son portable sur écoute et de vider le chargement de son camion où il peut à proximité de la sortie d’autoroute. Patience se chargera alors par la suite de récupérer le butin, c’est-à-dire une tonne deux de résine de cannabis bien emballée et abandonnée dans un hangar technique jouxtant une éolienne… Le jeune conducteur est arrêté par la police, qui fait chou blanc avec la marchandise, mais utilisera les écoutes pour faire condamner à un an d’emprisonnement le fils de Khadidja… Quant à Patience, elle se retrouve désormais en possession de cette quantité astronomique de haschich marocain non coupé, qu’il va falloir revendre. Elle s’adresse alors à deux pieds nickelés du trafic, Scotch et Chocapic, en “galèrance“ de produit de qualité à charbonner, et donc prêts à accepter toute “frappe“ (produit fort) d’où qu’elle vienne, même si le fournisseur est inconnu au bataillon. Patience se présente à eux comme une mère de famille de leur communauté, prend un pseudo, Mme Ben Barka, et va au front, déguisée et méconnaissable. Elle ne se laisse pas faire, est très bonne négociatrice, et son produit n’a rien à envier à ceux circulants sur le marché du Nord-Est parisien. Elle se taille une place de choix dans le milieu et entretient le mythe dans la brigade des stupéfiants qui s’est lancée à sa recherche… 

Tout se déroulera comme sur des roulettes, non seulement la vente, mais aussi le blanchiment des revenus considérables qui en découlent, et ce grâce à la complicité de la présidente du syndic de l’immeuble, Mme Fo. Mais malheureusement pour Patience, les commanditaires de la tonne de cannabis volatilisée dans la nature, les frères Cherkaoui, n’ont pas lâché l’affaire et sauront retrouver La Daronne… Patience réussira malgré tout à se jouer de tout ce beau petit monde. Même son compagnon, commandant à la brigade des stups, n’y verra que du feu… ou presque. Il fermera en tout cas les yeux… Ne resteront sur le carreau que les dealers de quartier, petits ou grands, qui ne récolteront finalement que les miettes ou alors des coups et des mois de prison… Quand le système est ainsi fait qu’il tourne en rond et perd en crédibilité, il est difficile de s’étonner de son inefficacité et de blâmer celles et ceux qui essaient de le contourner pour échapper à la morosité financière de leur porte-monnaie, qu’elles ou ils viennent d’un milieu bourgeois ou populaire… Tant que des alternatives crédibles qui associeraient bien-être social et sanitaire, sécurité et prévention ne sont pas mises en action, des films et des romans continueront de s’aventurer sur cette thématique, loin d’être aussi subversive qu’auparavant, du trafic de cannabis…

Thibault de Vivies (Cet article paraîtra dans le numéro 17 de la revue DOPAMINE.)

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