“Tijuana bible“

Un film de Jean-Charles Hue - Sortie en VOD-DVD

Autres drogues

C’est sur les plages de Tijuana, cette ville frontière mexicaine avec une Amérique à portée de main, que le rêve américain de Nick, ce vétéran de la guerre d’Irak, s’est échoué il y a quelque temps apparemment. Il y est venu soigner, peut-être ad vitam aeternam, son fameux syndrome de stress post-traumatique avec un objectif de défonce permanente. Il fume quotidiennement de la Chystal Meth et s’injecte à l’occasion de l’héroïne. Dans le quartier de la Zona Norte, quartier du deal et de la prostitution où les habitants sont « oubliés de Dieu », comme le pense Nick, l’ex soldat, revenu brisé de la guerre, vit à la marge et passe une bonne partie de sa journée dans les vapes, pour chasser au mieux les souvenirs douloureux laissés par trois séjours en Irak. Il y a perdu de nombreux amis, déchiquetés sous ses yeux, et est loin de les avoir oubliés même s’il fait tout pour…

Nick vivote là, dans ce quartier, séjourne dans une chambre sombre, et alimente financièrement ses usages en rendant quelques services à droite et à gauche ou en allant même tuer des chiens sauvages dans le désert pour les revendre aux restaurants asiatiques du coin… Il trimbale sa carcasse décharnée d’ancien Marine, encore en treillis délavé, usé et trop grand pour lui désormais, dans cette ville collée à un mur frontalier inévitable, ville où il a pris la décision d’aller se réfugier et “se perdre“ pour de bon à la suite de sa dernière mission en Irak… A Tijuana, et plus précisément dans son quartier, les produits sont à disposition, disponibles au tout-venant, et fournis par le chef de réseau et fabriquant du coin, un certain Topo, dont le nombre de victimes est tatoué en autant de larmes sur sa joue. Son point faible, une peur de l’enfer qui l’empêche de trouver la paix, lui aussi… 

La route de Nick va croiser celle d’une jeune femme prête à se perdre elle aussi dans cette ville pour retrouver son frère dont elle n’a plus de nouvelle. Ana recherche Ricardo, un frère ex G.I qui s’est battu lui aussi pour l’Oncle Sam mais qui a été expulsé par la suite du pays, contraint alors de regagner le Mexique et la ville de Tijuana comme tant d’autres. Ana présente la photo du jeune homme au premier venu à travers la ville en espérant que quelqu’un le reconnaisse et lui fournisse les informations nécessaires pour lui remettre la main dessus… Nick sera celui qui la guidera dans cette ville, même si ses intentions sont loin d’être désintéressées, du moins au début. C’est Topo qui lui a demandé, ou plutôt commandé, en échange de quelques doses d‘héroïne, de convaincre la jeune femme, logée dans la même résidence, d’arrêter de fouiner un peu partout, et de quitter la ville au plus vite. Après quelques tours de passe-passe infructueux, Nick a compris qu’Ana ne quittera pas Tijuana tant qu’elle n’aura pas vu son frère, vivant ou mort. Il va alors l’accompagner dans sa quête… Elle les mènera vers un bus d’accompagnement et de soutien aux toxicomanes que Ricardo, devenu pasteur, a fondé. Ces usagers vivent dans des tentes de fortune en bordure, ou dans le lit même, d’un canal asséché. Ils sont accrochés aux produits et à celui qui les leur fournit mais les soumet par la même occasion. L’antre de Topo (Taupe en Espagnol), est un tunnel désaffecté transformé en laboratoire de fabrication d’héroïne. Cela fait cinq ans que l’homme peu avenant vit au milieu de ses « morts-vivants », comme il les nomme, tentant de se réconcilier avec le Bon Dieu après l’avoir contrarié par toutes ses mauvaises actions… 

La route d’Ana et de Nick prendra fin dans ce canal abandonné, canal où ils découvriront découvert la vérité sur ce qui est réellement arrivé à Ricardo, un vétéran se réfugiant dans l’usage, puis dans la religion pour “s’amender“ et aider son prochain. Nick et Anna réussiront à s’échapper de cet “enfer“ et créeront peut-être un lien qui soulagera quelques peines… La rédemption est souvent au coeur des oeuvres cinématographiques, ou littéraires, qui traitent des addictions, comme si les usages compulsifs, et le mal que l’on peut se faire en voulant se faire du bien, étaient inévitablement associés au “péché“. Le refuge des paradis artificiels, ou la marge, souvent appréhendés comme mortifères, ne seraient-ils pas ici, au contraire, le signe d’une aspiration au mieux et d’une envie de vivre plus, et ce quel qu’en soit le prix à payer. Ici la solitude d’âme, et les conditions de vie précaires fragilisent ces hommes et ces femmes qui sont alors la cible des prédateurs de tout poil…

Thibault de Vivies
(Cet article sera publié dans le numéro #17 de la revue DOPAMINE – www.revuedopamine.fr)