Ce mois-ci dans Addiction : Focus sur la e-cigarette et Etude sur l'usage d'heroïne des vétérans du Vietnam

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Addicrevue-addictiontion est le premier journal au monde en matière d’addictologie clinique et de politique de santé autour des addictions. Au sommaire du numéro de janvier,focus sur la e-cigarette, et un Classics sur les études de Lee Robins sur les GIs américains au Vietnam (à connaître absolument pour sa culture addictologique).

 

 

Réduire progressivement le taux de nicotine des cigarettes tout en promouvant la e-cigarette : un ticket gagnant pour éradiquer l’usage de tabac ? Un éditorial de la revue Addiction.

cigarette-electroDans le numéro de janvier 2017 de la revue Addiction, un éditorial porte sur les stratégies nécessaires de santé publique pour la lutte contre le tabac au cours de la prochaine décennie.  Les auteurs sont issus de différents centres de recherche pour le contrôle du tabac aux Etats-Unis. Ils proposent une stratégie originale pour réduire voire éradiquer (le mot est écrit…) la cigarette conventionnelle.

L’une des principales stratégies de santé publique envisagées aujourd’hui consiste en une baisse très progressive du taux de nicotine dans les cigarettes. L’idée est d’inciter les fumeurs à l’arrêt mais surtout de limiter l’évolution vers une addiction chez les expérimentateurs (le plus souvent des adolescents). Les auteurs citent des travaux de recherche qui ont montré qu’une baisse très lente du taux de nicotine permet d’éviter la survenue de symptômes de sevrage chez les fumeurs, mais surtout ne s’accompagne pas d’une augmentation du nombre de cigarettes fumées. Cette stratégie a été récemment évoquée par le Groupe d’Etude pour la Régulation des Produits du Tabac de l’OMS.

Les auteurs de cet éditorial proposent d’insérer la e-cigarette dans l’affaire. Selon eux, en promouvant la e-cigarette, notamment en laissant des taux plus hauts de nicotine dans les cigarettes électroniques tandis que le taux de nicotine maximal est progressivement baissé dans les cigarettes classiques, il serait possible de faciliter la transition progressive des fumeurs vers des formes électronique de consommation de nicotine. Les auteurs admettent qu’une telle stratégie ne se mettrait pas en place sans controverse. La e-cigarette soulève encore de nombreuses critiques et interrogations, sans doute en raison du manque de recul sur son usage au long cours.

Quel cadre d’évaluation pour l’impact de santé publique de la e-cigarette ? Un dossier spécial de la revue Addiction.

enfant-e-cigaretteDans le numéro de janvier 2017 de la revue Addiction, un dossier spécial porte sur le cadre d’évaluation à bâtir pour évaluer correctement la e-cigarette et ses éventuels impacts sur la santé. Les auteurs de l’article principal du dossier sont un ensemble de chercheurs internationaux du domaine du tabac. Ils rappellent que la e-cigarette et les produits dérivés sont encore très controversés, même s’il semble assez clair que ces produits possèdent substantiellement moins d’agents toxiques que les cigarettes conventionnelles, et qu’à ce titre, les e-cigarettes doivent être vues comme des agents de réduction des dommages.

En dépit des preuves de plus en plus claires sur les bénéfices possibles de la e-cigarette en matière de santé publique, 55 pays sur 123 ayant été étudiés ont interdit ou restreint l’usage de la e-cigarette, et 71 ont des lois qui limitent l’âge minimal d’achat, ou la publicité sur ces produits. Les auteurs estiment qu’avant de promouvoir des lois, il faudrait pouvoir se mettre d’accord sur les données scientifiques à travers un cadre d’évaluation clair des bénéfices et des dommages liés à l’utilisation de ces produits. Les auteurs proposent ainsi des critères objectifs à considérer.

1er critère : le risque de mortalité. Les auteurs citent une étude récente qui estimait que l’usage exclusif de e-cigarette était associé à un risque de mortalité 20 fois moins important que l’usage exclusif de tabac. Ils précisent toutefois que ce chiffre pourrait être modifié avec l’obtention progressive de données sur le long terme. Pour l’usage mixte (tabac et e-cigarette), les auteurs proposent de raisonner en termes de réduction de la quantité et durée de l’usage de tabac. Ils citent des études montrant un risque réduit de cancer du poumon et de broncho-pneumopathie chronique obstructive, et en déduisent un risque de mortalité d’autant réduit.

 

2e critère : l’impact de la e-cigarette sur les adolescents n’ayant jamais fumé de cigarettes traditionnelles. Le fait que l’expérimentation de la e-cigarette puisse favoriser le passage à l’usage de tabac est l’un des arguments les plus souvent mis en avant lorsqu’on parle des risques de la e-cigarette. En pratique, les études montrent que ce phénomène reste pour l’instant extrêmement limité (cf. la récente enquête européenne publiée dans Addiction également, et rapportée sur Addict’Aides.). Par ailleurs, il est toujours difficile que l’expérimentation de tabac pourrait être induite par le vapotage, d’autant plus à l’adolescence qui est par définition une période d’expérimentation multiple. Enfin, d’autres études montrent que les adolescents expérimentateurs exclusifs de e-cigarettes arrêtent en majorité très rapidement cet usage, alors que les fumeurs de cigarettes qui vapotent poursuivent l’utilisation des dispositifs au moins aussi longtemps que l’usage de tabac.

 

3e critère : l’impact de la e-cigarette sur l’usage de tabac. Les auteurs citent plusieurs études récentes indiquant que plus l’usage de la e-cigarette est régulier, plus cela est associé avec le fait d’être un ex-fumeur ou bien d’avoir réduit son usage de tabac. Les bonnes études dans ce domaine doivent comparer cette population avec des populations de fumeurs qui ne vapotent pas. Dans les essais cliniques, l’efficacité de la e-cigarette pour arrêter le tabac n’est toutefois pas exceptionnelle. Elle se situe à des niveaux similaires à ceux de la substitution par patchs. Mais, dans la vraie vie, ce n’est peut-être pas l’objectif de tous les vapoteurs d’arrêter immédiatement et complétement le tabac. Par ailleurs, les auteurs soulignent que les vapoteurs sont plus fréquemment des fumeurs ayant déjà essayé d’arrêter dans le passé. Les vapoteurs ne sont donc vraisemblablement pas des fumeurs « comme les autres », et ce facteur doit être considéré dans les études à venir.

 

4e critère : l’impact de la e-cigarette sur les anciens fumeurs. Autrement dit, est-ce qu’il est fréquent que des anciens fumeurs reprennent un usage de nicotine avec une e-cigarette ?  Ici encore, les auteurs soulignent que l’analyse de ce critère devra se baser sur une comparaison avec des sujets qui reprennent directement le tabac. Cela permettra de mettre en exergue l’intérêt de réduction des risques de la e-cigarette. Les rares études qui ont exploré cette question semblent montrer un taux de reprise de tabac très faible chez les ex-fumeurs qui reprennent l’usage de e-cigarette (5 à 6%), et le plus souvent cet usage de tabac n’est pas quotidien.

 

5e critère : l’impact (bon ou mauvais) des politiques de santé. Les auteurs estiment que les politiques de santé ont un rôle crucial dans la manière dont la e-cigarette est présentée et utilisée par la population. Une réglementation libérale de ces dispositifs favorise une utilisation au long cours de ces derniers, par opposition à des politiques de santé visant à présenter la e-cigarette essentiellement comme une aide à l’arrêt du tabac.  Les états où il existe un âge minimal d’achat de produits de vapotage sont ceux où les taux de vapotage sont les plus réduits parmi les adolescents, et ceux où la consommation de tabac est la plus importante.

 

Il y a plusieurs commentaires à cet article princeps. Par exemple, Becky Freeman, du Centre de Santé Publique de Sydney (Australie), estime également que les produits de vapotage pourraient être la « silver bullet » (la « balle d’argent ») pour mettre un terme aux fléaux du tabac (cf. l’éditorial du même numéro de Addiction sur ce sujet). Mais toutefois, l’auteure souligne que pendant que les spécialistes s’interrogent sur la manière d’évaluer la e-cigarette et son impact comparé à celui du tabac, les usagers n’attendent pas leurs conclusions et participent au succès commercial de ces dispositifs. L’auteure conclue que les politiques de santé publique ne sont certainement pas le principal facteur expliquant la réussite ou l’échec d’un niveau de dispositif pouvant avoir un rôle en matière de santé.

Addiction Classics : les études de Lee Robins sur l’usage d’héroïne des vétérans du Vietnam.

heroine-vietnamLes « Addiction Classics » reprennent les classiques de la littérature addictologique, les points que tout addictologue devrait connaître. Ce mois-ci, Addiction revient sur les études Robins sur les GIs américains partis au Vietnam. Pendant leur séjour, le taux d’usage d’héroïne était de l’ordre de 34% , avec un taux de dépendance de 20%. Dans l’année qui a suivi le retour des soldats aux USA, seuls 1% d’entre eux présentaient encore des critères d’addiction.

Les résultats de Robins se heurtèrent à beaucoup de critiques et d’incrédulité, car l’addiction était considérée (déjà à l’époque..) comme une maladie chronique définitivement « gravée » sur les individus. Comme souvent pour les articles qui ont marqué l’histoire de l’addictologie (on pensera aux travaux du couple Sobell), les auteurs ont été accusés de fraude scientifique, sans que cette accusation fût jamais démontrée.

En réalité, l’étude de Robins est l’une des premières illustration de la nature bio-psycho-sociale de l’addiction, qui est, comme on l’entend souvent, le fruit de la rencontre entre un individu, un produit, et un environnement. Ici le GIs, livrés parfois aux traumatismes des combats,  souvent à l’ennui, loin de leur cadre habituel de vie, ont développé pour une fraction importante d’entre eux des comportement de prise d’héroïne, produit facilement disponible sur place. De retour dans leurs foyers, l’environnement était différent et la plupart ont arrêté.

De nombreux parallèles peuvent être fait avec des questions beaucoup plus actuelles de nos sociétés. Par exemple, les conduites de binge drinking, fréquentes et quasiment « culturelles » dans certaines populations d’étudiants, s’estompent après 25-30 ans dans la grande majorité des cas, lorsque les individus se mettent à travailler et à faire des enfants. La fête n’est « plus leur truc ». Seule une faible proportion de sujets maintient un comportement d’usage d’alcool à risque voire évolue vers un vrai trouble d’usage.