“Ce que mon père ne m’a jamais dit“ - Un récit de Juan Pablo Escobar, publié aux Editions Hugo Doc

Autres drogues

Juan Pablo n’en a pas fini avec son père, ni avec sa quête de pardon. Il veut trouver et dire la vérité, toute la vérité, et rien que la vérité pour réussir peut-être un jour à se débarrasser des fantômes du passé, ceux de l’homme auquel il est relié naturellement par un amour filial. Pablo Escobar est mort en décembre 1993. A ce moment-là, Juan, son fils, encore adolescent, avait juré à ses ennemies de se venger. Depuis, ça a fait son chemin dans son esprit et sa route s’est considérablement éloignée de celle de son père. Juan Pablo est architecte à ce jour et donc en aucun cas narcotrafiquant. Mais pour être sûr de ne pas être associé par les Colombiens et le reste du monde au parcours sanglant de son père, Juan va fouiller dans le passé du narcotrafiquant pour en exhumer le maximum d’informations et livrer aux intéressés sa version de la vérité sur un homme dont il est loin de présenter sous un jour favorable. Il n’est pas question en effet pour Juan, contrairement à ce que propose, de son point de vue, un certain nombre de fictions cinématographiques et télévisuelles sur ce sujet, de laisser entendre et de faire croire que participer au narcotrafic est “cool“, glorifiant et que les sommes considérables en jeu justifient des méthodes coupables. L’objectif de Juan est de témoigner du passé criminel de son père et du narcotrafic pour se tourner vers un avenir plus apaisé, et faire en sorte que les paradigmes sautent. Le pardon, la réconciliation et la paix sont les moteurs d’un homme de presque cinquante ans qui souhaite transmettre à son très jeune fils, des valeurs éloignées de celles véhiculées dans le narcotrafic… Après un ouvrage très complet, “Pablo Escobar, mon père“, et un documentaire qui a fait le tour des festivals du monde entier, “Escobar, un héritage maudis“, Juan Pablo Escobar part à la rencontre de celles et ceux qui étaient au coeur de l’action et ont partagé des moments tragiquement complices avec “El Patron“ du Cartel de Medellin. “In frangranti“ (“En flagrant délit“, en français) est le titre original de l’ouvrage, pour signifier peut-être qu’il s’agit ici simplement de lever le voile sur certaines zones d’ombre, compléter ainsi la somme de connaissances déjà acquises sur Escobar, et rétablir quelques vérités. Dans sa présentation, l’auteur nous parle de révélations concernant son père, mais il est fort probable que seuls les connaisseurs de son parcours détaillé s’y retrouveront. En ce qui nous concerne, nous garderons essentiellement en mémoire : les sentiments d’un fils pour son père, reconnaissant envers l’amour que son paternel lui témoignait au jour le jour, mais sans pour autant excuser ses crimes ; les points de vue concernant les politiques prohibitionnistes inefficaces, responsables de la situation du trafic international, et vecteurs de collusions inévitables avec les pouvoirs en place ; enfin, les longs échanges avec différents protagonistes du trafic ou entourage proche, échanges donnant certes quelques éclaircissements sur Pablo Escobar, ses complices et ses ennemies, mais laissant surtout entendre que les générations qui ont suivi n’ont pas toujours été prêtes à reproduire les mêmes schémas. La Colombie en est sortie alors probablement plus apaisée, même si les problématiques en jeu restent d’actualité…

Petit résumé du contenu des chapitres proposés dans l’ouvrage… Commençons par une rencontre avec Aaron Seal, le fils de Barry, fameux pilote de ligne talentueux et téméraire qui a su travailler aussi bien pour la CIA, la DEA et le Cartel de Medellin. Le père de famille fut assassiné en février 1986 sur ordre de Pablo Escobar après que des photos compromettantes du narcotrafiquant soulevant des valises de cocaïne furent prises par le pilote au Nicaragua et transmises aux autorités américaines. Si Juan  Escobar, le fils de Pablo n’a pas suivi les traces de son père, il n’en fut pas de même pour Aaron, le fils de Seal, qui s’aventura, lui, un temps dans le trafic de drogue pour finalement abandonner la partie après avoir “rencontré Dieu“ en prison. Quand Juan cherche le pardon pour le crime commis par son père, Aaron, lui, met en avant les choix délibérés de son père qui a agi en connaissance de cause. Aucune rancoeur chez Aaron, aucune haine ne subsiste, juste la douleur d’avoir perdu très jeune un père et l’envie de se reconstruire sur les ruines du passé. Les deux fils de… se retrouvent sur l’idée qu’il faut abandonner cette guerre contre les drogues et faire plutôt “la paix avec elles“. Il subsiste une forme de complicité entre les deux hommes, complicité qui repose sur un vécu commun en quelque sorte, même si c’était à distance. La réconciliation entre bourreaux et victimes ne peut se faire que quelques décennies plus tard et qu’indirectement… Une autre rencontre, tout aussi chargée d’histoire et d’émotion est celle de Juan avec William Rodriguez Abadia, le fils d’un des deux frères qui dirigeaient le Cartel de Cali, grand partenaire, puis concurrent du Cartel de Medellin et qui finit même par précipiter sa chute. La discussion tourne autour des véritables raisons de la guerre que se sont livrée les deux cartels, des ressentiments de part et d’autre, de philosophie du business à l’opposé l’une de l’autre, la corruption d’un côté, la terreur de l’autre, mais aussi de la protection qu’ont accordée les frères Rodriguez à Juan, sa petite soeur et sa mère à la mort de Pablo, et enfin des héritages sanglants laissés par les uns et les autres… D’autres éclaircissements suivent grâce tout d’abord à la rencontre avec Ramon Isaza, un puissant chef paramilitaire qui joua un rôle dans la traque de Pablo Escobar. Une autre rencontre, avec Otty Patino, l’un des fondateurs du groupe armé révolutionnaire M-19, permet de mieux comprendre les liens établis dans la douleur entre Pablo et le mouvement dans les années 80, et de révéler les nombreuses facettes du patron du Cartel de Medellin. Rencontrer par ailleurs  Luz, une cousine de son père qui l’accompagna dans ses tout derniers jours, donne l’occasion à Juan d’en savoir un peu plus sur l’état d’esprit de Pablo Escobar à ce moment-là, un homme traqué, isolé, déboussolé et bien plus inquiet du sort qui serait réservé à sa famille qu’à son propre sort. Il se savait parvenu au terme de l’aventure et ne prenait alors plus aucune précaution concernant une sécurité sur laquelle il était jusque-là pourtant très à cheval… Pour finir, la rencontre avec celui qui se faisait appeler Finevery, le super assistant d’Escobar, puis fabriquant à ses heures de cocaïne, nous éclaire sur le mode de rémunération du Cartel et sur les méthodes féroces de règlement des conflits internes… Toutes ces rencontres sont l’occasion de revenir avec le recul du temps sur les épisodes clés du parcours de Pablo Escobar…

Juan rétabli aussi la vérité sur certains membres de l’entourage, proche ou moins proche, de son père, et sur certains événements souvent déformés par les fictions, notamment, d’après Juan, la fameuse série Narcos. Un chapitre entier est consacré aux correctifs à apporter aux informations délivrées dans la série télévisée… Bien évidemment, la fiction prend souvent quelques libertés avec la vérité, mais ce qui pourrait sembler anecdotique pour le téléspectateur lambda, ne l’est pas pour Juan Pablo Escobar qui tient à ce que rien ne soit déformé, diabolisé à outrance, ou même banalisé. Comme nous l’avons dit précédemment : la vérité, toute la vérité, rien que la vérité… Néanmoins, celle que propose le fils de Pablo Escobar, qui n’avait que seize ans à la mort de son père et qui n’était pas auprès de lui au moment des prises de décisions, est forcément à considérer avec distance, car elle repose sur des témoignages d’hommes et de femmes qui savent à qui ils s’adressent et qui, même si leur sincérité n’est peut-être pas à remettre en cause, ont une mémoire qui, avec le temps, est inévitablement sélective… 

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