Essai / “L’extase totale“ de Norman Ohler

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Cet essai du journaliste et réalisateur allemand Norman Ohler nous en apprend beaucoup sur les relations que l’Allemagne du IIIème Reich, et en particulier Hitler, entretenait avec les psychotropes consommés en masse malgré une politique d’état hygiéniste particulièrement prohibitionniste envers les usages, ceci en réaction avec les années vingt de la République de Weimar.

En arrivant au pouvoir en 1933, les nazis vont effectivement s’efforcer d’éradiquer les usages de substances comme la morphine et la cocaïne, usages considérés comme responsables de la dégénérescence du peuple allemand. Mais en même temps, il est demandé à “l’Allemagne de se réveiller“, et aux Allemands d’être performants pour participer au mieux à la reconstruction du pays.

En 1938, les laboratoires Temmler sortent un nouveau produit, la pervitine, une méthamphétamine qui permettait, au-delà de d’euphorie qu’elle procurait, de masquer la fatigue et de couper la faim. Le peuple allemand, dans toutes ses composantes sociétales, s’empara alors du médicament miracle consommé légalement et à profusion, et dont les publicités en ventaient les vertus en mettant bien entendu de côté les effets secondaires et risques de dépendance.

Quand la guerre éclata en 1939, et qu’il fut question d’envahir la Pologne, la Belgique et la France, ce stimulant efficace tomba à pic pour que la Blitzkrieg soit menée en un temps record. Trente-cinq millions de doses de pervitine furent commandées par la Whermacht et bel et bien consommées par des soldats sous amphets qui marchaient et combattaient jour et nuit sans se poser de question.

Mais le produit ne circulait pas que dans les rangs des combattants de première ligne. Les chefs, et donc aussi le premier d’entre eux, à savoir Adolphe Hitler, ont bénéficié de ce remontant pharmaceutique qui ne fut pas le seul à être consommé régulièrement et en quantité apparemment non négligeable.

Norman Ohler a plongé dans les archives militaires de Fribourg pour y découvrir les carnets et rapports médicaux du docteur Theodor Morell, médecin personnel d’Hitler, qui transcrivait minutieusement tout ce que son “Patient A“ consommait tous les jours, et plusieurs fois par jour, essentiellement en injection.

Le “furher“ était particulièrement attentif à pouvoir assumer ses responsabilités et accomplir les tâches afférentes à sa fonction, et même si son médecin fut l’objet de contestations fortes dans l’entourage du chef nazi car soupçonné de charlatanisme, ce dernier le défendra jusqu’au bout. Il considérait que Morell était le seul à réussir à le booster chimiquement, mais aussi à le soulager des douleurs récurrentes qui apparurent surtout après l’attentat de 1944 auquel Hitler échappa miraculeusement, mais dont il conserva des séquelles qui le poursuivront jusqu’à son dernier jour.

Les archives montrent alors qu’à partir de ce moment-là, ce sont jusqu’à quatre vingt préparations différentes, à base d’amphétamines, cocaïne mais aussi d’opiacés comme l’eucodal, qui furent le quotidien médicamenteux d’un homme enfermé dans son bunker qui ne voulait pas accepter la défaite d’une armée allemande en déroute.

Difficile de dire dans quelle mesure les décisions prises par Adolphe Hitler ou par ses principaux généraux comme Rommel et Göring, eux aussi consommateurs de stimulants et opiacés, furent guidées par leurs usages de psychotropes, mais une chose est sûre, du moins concernant Hitler, c’est que ces produits lui ont permis de tenir debout et de poursuivre une tâche macabre dont il ne faudrait pas croire qu’elle n’aurait pas été accomplie sans ça.

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