“Les oiseaux de passage“ Un film de Ciro Guerra et Cristina Gallego

L'histoire d'un jeune homme qui entre dans le trafic de cannabis pour payer la dot de son mariage...

Cannabis

Dans la région désertique de Colombie où nous embarque ce film, en salle depuis le 10 avril, le peuple amérindien Wayuu semble vivre en paix grâce au maintien d’équilibres ancestraux fondés sur le respect des traditions, des codes d’honneur et valeurs claniques. Mais à la fin des années soixante souffle un vent de basculement des valeurs où les traditions se confrontent à la modernité. Les jeunes générations commencent à bousculer les anciens et l’on veut parfois aller plus vite que la musique, ou du moins plus vite que celle imposée par les ainés qui réclament que les événements importants de la vie, ainsi que les affaires, se traitent avec patience et suivant un modus operandi qu’il ne faut pas négliger…

Le conte qui nous est proposé ici prend sa source en 1968 et se prolongera jusque dans les années 80. Rapayet est un jeune homme qui sait ce qu’il veut. Et pour conquérir Zeida, la jeune femme sur laquelle il a jeté son dévolu, il est prêt à tout. La dot officielle qui lui est réclamée se mesure en nombre de chèvres, de vaches et de colliers. Il faudra donc bien trouver l’argent pour les acheter… Rapayet est tenace et opportuniste. Ayant repéré que de jeunes hippies, en séjour récréatif dans sa région, étaient en recherche de cannabis, il décide de se lancer avec son ami Moises, dans le deal de marijuana. Un oncle à lui produit la plante dans les hauteurs de la région et est prêt à la lui fournir. Rapayet commence par de petites livraisons, mais ne s’arrêtera pas là et entrera en affaire avec un certain Bill, américain qui lui réclamera des livraisons de plus de plus importantes… Le jeune Wayuu arrive à ses fins, il peut honorer la dot et ainsi épouser sa promise. Le joli conte est en ordre de marche mais la vie de famille ne sera malheureusement pas un long fleuve tranquille… Les armes font leur apparition dans le clan au fur et à mesure que le business grossit et que les enfants grandissent. Rapayet reste attaché à ses valeurs familiales et claniques et mène ses affaires “en bon père de famille“ pourrait-on dire, c’est à dire sans faire d’esbroufe. C’est un homme d’affaire sérieux et adulte qui tient à préserver la tranquillité et la paix dans sa communauté. Malheureusement, son ami Moises est lui bien plus arrogant, beaucoup moins stable, se laisse plus facilement aller à dépenser son argent et à en mettre plein la vue… Un jour, au moment d’échanger avec les américains marchandises contre dollars, Moises, sur un coup de sang abat froidement deux des trois américains… Les armes ont parlé ce jour-là et ne cesseront par la suite de faire entendre leur voix. Rien ne sera jamais plus alors comme avant. Les règlements de compte se succéderon… L’échelle de la violence va monter d’un cran. L’honneur, les corps et les esprits des uns et des autres seront mis à rude épreuve, et les valeurs et principes claniques voleront en éclat…

N’essayons pas d’imaginer une fin heureuse à ce conte sanglant en cinq actes. Préserver sa famille, la protéger, et protéger le clan dans son ensemble, ne sera pas ici une mince affaire. Rapayet et Zeida, son épouse, sont coincés entre deux générations : celle de leurs parents qui tient à préserver intacts des codes d’honneur et des valeurs qui excluent tout compromis ; et celle qui suit qui met de côté tout principe, et place dans la vie matérielle la seule espérance de bien-être. Rapayet et Zeida sont à la fois respectueux des traditions et des valeurs familiales mais en même temps pragmatiques quand il s’agit de préserver la paix, la sécurité et les biens acquis… Même si un conte peut vite se transformer en fable, avec la morale qui l’accompagne, attention de ne pas entrer dans la facilité, et considérer que c’est le produit, en l’occurrence la marijuana, et son trafic, qui est la cause de tous les maux. La soif de reconnaissance, le désir d’accumuler de la richesse, de se protéger au risque de s’encombrer d’armes à feu, tout ça en tentant de préserver sa culture ou au contraire de s’en exclure, sont suffisamment de portes d’entrée vers un ailleurs peuplé parfois de rêves ou d’une réalité plus sombre qu’on l’avait envisagée…

 

Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #04 de le revue DOPAMINE

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