“Philippines, sur ordre du président
“, Un documentaire de Olivier Sarbil et James Jones, diffusion ARTE

Autres drogues

Quand Rodrigo Duterte prend ses fonctions à la présidence des Philippines en juin 2016, il comptait bien mettre fin au “problème de la drogue“ en un rien de temps et en se comparant publiquement à Hitler, exigeant une forme de solution finale pour éliminer tous les usagers, dealers et barons du trafic de drogue. Malheureusement, les phrases chocs du nouveau président philippin furent suivies des actes, et les morts se comptent désormais par milliers, consécutifs à des exécutions dont une bonne partie peut être officiellement, mais aussi officieusement, attribué à la police… Depuis l’assassinat d’un lycéen à Caloocan, un des districts de la métropole de Manille, et les manifestations publiques qui l’ont accompagné, réclamant que cette guerre sanglante à la drogue cesse, Duterte demandera que l’escalade de la violence policière soit revue à la baisse, tout en exigeant malgré tout que le combat continue avec détermination et fermeté… Les exécutions ont diminué ces derniers temps mais n’ont pas cessé. Le trafic de drogue non plus d’ailleurs. Gageons que le mandat de Duterte, président populiste qui reste très populaire au sein de la population, sera malheureusement renouvelé en 2022 et que l’homme, dénué de toute mesure, trouvera encore et toujours de bonnes raisons de poursuivre cette lutte acharnée, mais vaine bien entendu, contre le trafic. Cette économie de survie, du moins dans les quartiers déshérités, ne fait qu’accompagner la croissance des inégalités sociales dans une métropole ou les gratte-ciel côtoient sans mauvaise conscience les bidonvilles…

Le documentaire donne la parole à tous les acteurs, ou presque, de cette problématique de la lutte contre les usages et les trafics. Il manque peut-être une visite, sûrement instructive, des centres de cure. Un séjour de six mois est proposé aux usagers arrêtés comme alternative à des années de prison… Entre des jeunes des bidonvilles, dans le viseur de la police, et un directeur de pompes funèbre, qui reconnaît que les affaires se portent bien depuis l’élection de Duterte, on ira faire un tour dans les familles des victimes, dans les commissariats et prisons surpeuplées, mais aussi dans les rangs de la police de Caloocan pour comprendre son état d’esprit et ses méthodes… Les deux réalisateurs suivent, entre autres, à partir de septembre 2017, le nouveau commandant de cette police, Jamar Modequillo, dans sa prise de fonction, son rapport autoritaire à ses hommes, son état d’esprit guerrier et intransigeant face aux usagers et aux trafiquants, ainsi que ses certitudes justifiant des paroles et des actes loin d’être catholiques. Son équipe est sur le pont tous les jours et met tout en oeuvre pour arrêter, sous prétexte d’usage et de trafic, les indésirables des quartiers pauvres. Cette impunité accordée par le Président Duterte semble légitimer toute forme d’arrestation, musclée ou non, et même plus… Bien entendu, aucune exécution sommaire policière ne sera filmée ici, mais dès que la caméra est éteinte, un policier confie au micro du réalisateur que la police est en partie responsable des meurtres perpétrés dans les rues de Manille sans que les coupables ne soient jamais arrêtés. Des inconnus à moto exécutent des suspects, de ceux qui sont inscrits sur une liste de noms longue comme un bras armé, visiblement en partie sur ordre de la police…

Le père d’Alex, un des jeunes des bidonvilles interrogé avec ses amis, a été victime de ces exécutions sommaires alors qu’il attendait tranquillement des clients dans sa moto-taxi. Il rejoindra donc les milliers de morts, victimes de cette guerre antidrogue, dont une partie est ramassée par Orly Fernandez, directeur de pompes funèbres qui justifie la politique meurtrière de Duterte par la folie qu’engendre pour lui l’usage de drogue. Il est toujours plus facile de légitimer la violence policière par celle, présumée, des usagers sous effets ou en manque… Alex, les membres de son microgang, mais aussi les familles des victimes, n’ont pas le même regard sur les membres d’une police qu’ils considèrent comme en guerre contre les pauvres, puisque ces derniers sont les plus touchés par “cette guerre à la drogue“. Les faits semblent leur donner raison, ou du moins mettre en évidence que ce sont effectivement les plus faciles à atteindre. Ils sont en première ligne dans cette guerre civile sanglante de laquelle le président Duterte ne pourra pas sortir grandi, soyons-en sûrs. Ses opposants, muselés jusque-là, commencent à faire entendre leur voix, soutenus qu’ils sont dans leur contestation par la cour pénale internationale qui a ouvert une enquête préliminaire sur Duterte et les milliers d’exécutions sommaires aux Philippines…