“Une touche de couleur“, Une bande dessinée de Jarrett J. Krosoczka

Autres drogues

L’auteur de cette bande dessinée, publiée aux Editions Delcourt / Encrages doit beaucoup à son grand-père car c’est lui, en partie, qui l’a élevé suite à la défection d’une mère et l’absence totale d’un père. Ce récit retrace le parcours éducatif d’un jeune garçon, puis d’un jeune homme, qui a dû faire face, à distance, à l’addiction de sa mère… On ne peut raconter le parcours de Jarrett en faisant abstraction du parcours de sa mère Leslie. Même si ces deux parcours ne se sont croisés, du moins à partir d’un certain âge du petit garçon, qu’à l’occasion de rencontres éphémères, on ne peut culpabiliser ou condamner à la va-vite une mère qui a dû affronter son addiction à l’héroïne en mettant alors à distance, indépendamment de sa volonté, son enfant… Raconter son histoire familiale c’est pour Jarrett retraverser un ensemble de petits bouts de vie en compagnie de ses proches sans vouloir à tout prix accumuler des indices sur les raisons d’un éloignement maternel. De la naissance à l’obtention de son diplôme d’art graphique, le parcours de Jarrett a été accompagné tout du long par son grand-père et sa grand-mère… 

Leslie, sa mère, est tombée enceinte, assez vite, d’un homme qu’elle ne reverra plus. Les toutes premières années de Jarrett et de sa mère sont celles d’un couple mère-enfant sans ombrage. Jarrett se souvient peu de ces années. Il ne garde en souvenir que les inconnus qui allaient et venaient dans la maison sans savoir encore qu’à ce moment-là déjà l’héroïne avait fait son entrée dans la vie de sa mère qui prenait de moins de temps avec lui où alors se mettait, ou le mettait, dans des situations inconfortables. Quand Leslie est arrêtée et placée en détention, ce sont les grands-parents de Jarrett qui prennent en charge leur petit-fils. A l’âge de quatre-cinq ans, Jarrett a l’occasion de revoir sa mère qui séjourne dans un centre d’accueil. La rencontre ne dure que le temps d’une journée et la nouvelle séparation est tout aussi douloureuse que la précédente… Les années passent. L’école primaire suit l’école maternelle. Peu de coups de fil de la part de sa mère, mais des courriers réguliers. Aucune nouvelle rencontre avant longtemps, à l’exception d’un anniversaire surprise organisé par Leslie, en présence de quelques camarades de Jarrett… Le manque de sa mère sera compensée en partie par la connaissance d’un nouveau voisin, du même âge que lui. Les deux gars seront amis et se suivront de près durant de nombreuses années… 

La révélation, c’est ainsi que la nomme Jarrett, a lieu quand il a peut-être sept ou huit ans. Il apprend de son grand-père que sa mère était usagère depuis l’âge de treize ans – sans qu’il soit dit de quel produit il s’agissait – mais que l’héroïne débarqua dans son parcours à l’adolescence. Jarrett accueille la nouvelle avec bien entendu beaucoup de chagrin, et toutes les représentations erronées sur fond de préjugés que le jeune garçon a sur “La drogue“ suffisent à le conditionner en partie pour les prochaines rencontres avec sa mère… Le jeune collégien se réfugiera dans le dessin, domaine dans lequel il excellera. Jarrett ne retrouve sa mère qu’à l’âge de quinze ans, dans un foyer. La rencontre est plus froide de la part du jeune adolescent qui va entrer au lycée… Le jeune homme travaille dur et est accepté dans un très bon lycée spécialisé dans les études graphiques. Sa mère fait des apparitions impromptues à la maison pour voir son fils, mais l’ambiance est souvent lourde. Leslie en dira plus à son fils sur son passé, et expliquera son parcours… Un vide subsiste tout de même dans ce parcours, c’est pour Jarrett le visage de son père, celui qui correspond au nom découvert sur son acte de naissance… Jarrett ira à la rencontre de son père, rencontre qui se passera très bien. Entre-temps, malheureusement, Jarrett s’est éloigné de sa mère. Elle ne pourra pas assister à sa remise de diplôme mais, suite à son apparition à un thanksgiving familial chez ses grands-parents, les relations mère-fils seront plutôt bonnes, du moins jusqu’à ce qu’une énième overdose éloigne définitivement Leslie de son fils… 

Ce récit fait la part belle aux sentiments diffus, équivoques et ambivalents qui animent un fils mis à l’écart de sa mère pour les raisons évoquées dans cette bande dessinée, et sans qu’il faille en dire beaucoup plus. Chaque parcours d’usager est suffisamment unique dans son rapport aux autres, qu’il serait présomptueux d’en tirer des conclusions hâtives ou des leçons de vie… 

Thibault de Vivies 

(Cet article est la version courte d’un article paru dans la revue DOPAMINE.)

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