“Walla Walla“ Un roman de Elsa Boyer

Autres addictions comportementales

Ce roman, publié aux Editions P.O.L, nous envoie à Walla Walla ville qui existe bel et bien dans l’Etat de Washington à l’ouest des Etats-Unis, dans une région connue pour ses vignes. Mais attention, elle existe tout autrement dans ce récit dont on comprend assez vite qu’il nous emmène ailleurs qu’en 2019, dans une époque où de nouveaux outils connectés existent. Le Psychotek, outil-programme, offre par exemple à tout un chacun une connexion-thérapie grâce à une interface en lien direct avec le cerveau qu’elle stimule… Avec cet outil, qui donne accès à un “visage thérapeute“ et à des images virtuelles projetées devant soi, l’utilisateur peut viser la source de son angoisse, de sa difficulté, et la désintégrer. Le Psychotekest un refuge, un doudou numérique à disposition là tout de suite maintenant, le bien-être à portée de main. L’utilisateur peut choisir une émotion à travailler, un décor, des figurines, des gestes, des paroles, mais le lancement de la simulation peut tout de même être refusé par un thérapeute virtuel qui affirmerait que certaines zones du cerveau doivent pour le moment être laissées au repos…

A Walla Walla, Lauren, mère au foyer, vit avec Matt dans une maison construite par la mère de son mari, Gail, et dans laquelle la jeune femme passe ses journées d’ennui à boire de l’alcool, accompagnée par ses objets électroniques. Ancienne championne de Wolley-Ball, et athlète super-active, la voici enfermée, rideaux fermés, dans son hyper-connexion aux réseaux où les images d’elle qu’elle a sélectionnées alimentent ses différents profils… Lauren ne sort plus de chez elle et laisse les chiens seuls dehors… Matt, fils à Maman qui a hérité de milliers de pieds de vigne, est aussi un grand consommateur des réseaux. Il y fabrique et y collectionne des souvenirs de lui à coups de JPEG, de GIF, petites vidéos qui tournent en boucle, ou de hashtags qui solennisent des instants de vie parfois insignifiants. Il vit à travers et au travers de ces réseaux… En quête d’envies, de désirs ou d’émotions fortes qui ont du mal à surgir, on compense au rabais en attendant que ça vienne…

A Walla Walla vit aussi Janet, une amie de la famille, présentatrice du journal d’actualités de la télévision locale. Son plaisir est d’annoncer aux téléspectateurs toutes les mauvaises nouvelles du moment, mais sans cligner des yeux… Janet est une femme infaillible, ou presque, en quête de perfection, qui ne laisse rien au hasard, qui aime tout planifier, cerner, contrôler et se réjouit de la déchéance des autres. Sa seule faille, un fils, Jarvis, qui lui échappe désormais et sur lequel elle n’a plus aucune prise… Elle aimerait pouvoir entrer dans son cerveau et bidouiller ses connexions pour qu’il revienne à elle…

A Walla Walla, il y a aussi un pasteur, riche et célèbre, qui prêche, à la manière des grands shows américains, “la bonne parole“ populiste, et soulève les foules avec des discours de fin du monde. Il propose qu’un mur soit érigé pour protéger la ville du monde extérieur. Ce pasteur, aux allures d’un Donald Trump, est le symbole même de cette société de consommation addictogène qui propose toujours plus, plus vite et plus fort, sous la protection d’un seigneur laïc ou religieux… Et même si l’on dit de lui que c’est un personnage comique, ses partisans sont en nombre, et relaient ses prêches sur les réseaux sociaux… Matt est un grand fan, hypnotisé par ces discours de haine assumée et ces propositions de replis sur soi. Il est désormais accro aux annonces d’un homme qui a pris le contrôle de son cerveau et, comme il le dit, lui a rendu le monde évident…

Les discours politiques et/ou religieux abreuvent le peuple de paroles sensées ou insensées, les exultent ou les écoeurent, les gavent ou les vident, tout ça sans aucune modération. Le relais se fait en ligne à grands coups de poncifs et d’affirmations douteuses… Les problématiques addictives associées souvent aux cyberconnexions sont une réalité qui dépasse largement le cadre des outils à proprement parlé et des modes d’interaction qu’ils mettent à disposition. Les discours, programmes, vérités ou contre-vérités qui circulent peuvent aussi être la source de l’addiction. Ils rassurent, stimulent, endorment, perturbent en mettant en jeu dans le cerveau les mêmes processus que les psychotropes…

 

Ce texte est la version courte d’un article paru dans le numéro #03 de le revue DOPAMINE

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