Doctorante en sciences humaines et sociales appliquées à la santé (philosophie, sociologie) au CHU de Nantes et à Nantes Université, à l’UMR1246 SPHERE
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En quoi le concept de « rétablissement » change-t-il notre regard sur le jeu pathologique ?
Longtemps, on a pensé que sortir du jeu pathologique se résumait à une seule chose : arrêter de jouer. Si cette idée est encore bien ancrée dans l’esprit des joueurs en difficulté et de leur entourage, les modèles de soin ont heureusement évolué depuis la fin du XX
ème siècle, laissant la place à des objectifs intermédiaires de réduction de la pratique. Depuis, le concept de
rétablissement s’est imposé.
Derrière ce terme se cache un processus riche, personnel, et qui dépasse largement la question de l’arrêt. En effet, aujourd’hui, le rétablissement est envisagé comme un
processus global, qui inclut le bien-être psychologique, les relations sociales, la stabilité financière, mais aussi la manière de donner du sens à sa vie. Se rétablir, ce n’est donc pas seulement contrôler un comportement : c’est
retrouver un quotidien vivable et riche de sens, mais aussi une place, une identité. Cette vision, issue du champ de la santé mentale, a été progressivement adoptée en addictologie car elle reflète mieux la réalité des parcours : ils sont pluriels, dynamiques, non linéaires, et profondément intimes.
C’est ce que montrent les récents travaux issus du programme de recherche
RECOGNISE, mené depuis 2023.
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Que nous apprend l’étude RECOGNISE sur les parcours de rétablissement ?
L’étude RECOGNISE, menée depuis 2023, avait un objectif clair :
mieux définir ce qu’est le rétablissement dans le jeu pathologique et comprendre ce qui le favorise ou au contraire le limite. Elle s’est appuyée sur deux volets : une revue de la littérature scientifique, enrichie par une réflexion conceptuelle, et une série d’entretiens qualitatifs auprès de 20 joueurs rétablis ou en cours de rétablissement, et 20 professionnels impliqués dans la prise en soins du jeu pathologique.
Ces entretiens montrent que le rétablissement est un
mouvement dynamique, où différentes dimensions de la vie s’influencent mutuellement. Quand une personne améliore ses relations sociales, par exemple, cela renforce son rétablissement. Et inversement, progresser dans le rétablissement rend souvent plus disponible à la vie sociale.
Le processus implique aussi bien des changements concrets sur le plan du comportement de jeu (gestion budgétaire, activités de substitution) que des dimensions plus profondes : introspection, sentiment d’efficacité personnelle, empowerment (c’est-à-dire la reprise de pouvoir d’agir, l’autonomisation), amélioration du bien-être général, redéfinition des priorités, valeurs et objectifs de vie pouvant aller jusqu’à une reconstruction identitaire.
En réalité, le rétablissement est un mouvement, pas une destination. Il inclut des avancées, des pauses, parfois des retours en arrière — comme tout processus de transformation personnelle.
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Quels enseignements pour l’accompagnement des personnes concernées ?
Les résultats montrent clairement que
l’arrêt du jeu n’est pas l’unique indicateur de succès, et surtout, que
chaque personne peut se rétablir à sa manière. Pour certaines personnes, elle est nécessaire ; pour d’autres, des formes de jeu maîtrisé peuvent coexister avec un rétablissement durable. Ce qui compte, c’est que la personne
retrouve son autonomie, parvienne à un certain équilibre de vie et puisse se projeter.
Ces résultats confirment donc l’intérêt de privilégier les parcours individualisés plutôt que les approches standardisées. Ils rappellent aussi que soutenir le rétablissement passe par des actions qui dépassent le champ médical : aider à accéder à une stabilité financière, renforcer le soutien social, travailler l’estime de soi, ouvrir des perspectives professionnelles et enfin, promouvoir la croissance personnelle.
Bref, accompagner la personne dans son ensemble plutôt que seulement cibler son comportement de jeu.
À propos de l’intervenante
Agathe Mansueto est doctorante à Nantes Université, spécialisée en sociologie de la santé. Sa thèse, menée dans le cadre de l’étude RECOGNISE, est dirigée par Marie Grall-Bronnec, Gaëlle Challet et Jean-Benoît Hardouin et s’inscrit dans l’activité de l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes. Elle porte sur la définition et les déterminants du rétablissement dans le trouble lié aux jeux de hasard et d’argent.
Retrouvez
l’interview d’Agathe Mansueto sur le site de l’Institut Fédératif des Addictions Comportementales (IFAC) du CHU de Nantes.