“Sur l’alcool“ – 
Un recueil de textes de Charles Bukowski – 
Editions Au Diable Vauvert

Alcool /
Alcool

Un recueil de textes de Charles Bukowski - 
 paru aux Editions Au Diable Vauvert

Charles Bukowski, le célèbre écrivain, aurait eu cent ans cette année si son organisme ne l’avait pas lâché à l’âge de 74 ans en 1994. Le souvenir que beaucoup de nos contemporains en ont, est sûrement celui d’un homme massif, au visage crevassé par une forte acné adolescente, mais aussi par le temps passé en compagnie de la dive bouteille… Bukowski ne faisait pas semblant, comme on dit. Il assumait de boire, de boire beaucoup, mais sans vraiment faire le fier, ou alors uniquement pour choquer ou flatter son auditoire, rien de plus… Beaucoup se souviendront en France de son passage imbibé dans la célèbre émission littéraire Apostrophe, dont il quitta le plateau en cours de route, non pas parce qu’on l’en avait chassé, comme la légende le laisse croire, mais de lui-même car il n’y était pas dans ses baskets… Bukowski buvait pour faire tenir sa carcasse en quelque sorte, et sa vie par la même occasion, « une sorte de colle qui permet de maintenir assemblés mes bras, mes jambes, mon zob, ma tête et tout le reste ». Il boit pour continuer un jour de plus, confiait-t-il. Il ne s’en cachait pas, il ne se cachait pas. L’alcool fut omniprésent dans son œuvre comme il le fut dans sa vie, parce que l’écriture faisait partie intégrante de son existence, et lui permettait aussi de faire tenir cette vie faite de “bonnes“ vieilles habitudes : la boisson, l’écriture, et les courses hippiques, une autre de ses “manies“. L’alcool et le jeu ne l’ont jamais empêché d’écrire pour gagner sa croûte, mais ils lui ont progressivement et tranquillement grignoté le foie et le porte-monnaie, en semant quelques cailloux dans des chaussures usées par l’enchaînement des petits boulots sans intérêt et les verres alignés sur les comptoirs de bars au début, puis quand il était seul dans sa demeure, seul pour se débarrasser des encombrants, ces contemporains qui lui en demandaient trop. « La picole comme substitut à la compagnie des autres, comme substitut au suicide. »

Ce que proposent les Editions Au Diable Vauvert est une sorte d’anthologie, non exhaustive, faite de poèmes ou extraits de nouvelles de Bukowski qui parlent d’alcool. Certains textes sont inédits en français, d’autres sont tirés de son œuvre déjà publiée en France. De 1961 à 1992, on aura droit, chronologiquement à un enchaînement d’histoires et de confessions qui nous en disent plus sur le rapport de l’écrivain à l’alcool et la façon qu’avait la boisson de lubrifier ses rencontres, son écriture et influencer ses aventures professionnelles et personnelles… L’alcool a pu révéler son écriture, la booster ou bien l’endormir. Il n’a jamais été indifférent à son consommateur, et ne l’a jamais quitté, fidèle qu’il a été à l’homme faussement costaud qui lui déroulait le tapis rouge. Bukowski n’a pas toujours bu en écrivant, ou peut-être si, ou alors en fonction de ce qu’il écrivait, de la prose ou de la poésie. Va savoir, d’un texte à un autre, ce qu’il veut nous confesser ou nous faire croire. Et puis, quelle importance cela peut-il bien avoir ? Bukowski reconnaît qu’il est alcoolique, et ça a commencé tôt, pour faire face, ou fuir, une réalité peu reluisante. Alors la boisson c’était son affaire. Il en fera son affaire à toute heure du jour et de la nuit, avant, pendant et après l’écriture. L’alcool l’accompagnera avec bienveillance semble-t-il, même s’il lui en fera baver souvent, à lui faire même titiller la mort. « Il me porte, autant qu’il m’esquinte. » Mais l’alcool n’a jamais détruit les écrivains, en tout cas pas lui, nous explique-t-il. Il n’hésite pas à en faire l’apologie à l’occasion. Jamais il ne trahira celui qui a bercé son existence, même s’il a fallu affronter les inconvénients d’une alcoolisation massive : les gueules de bois au réveil, les baisses de libido ou de tonicité des extrémités sexuées… Les aventures d’un soir et les rencontres sentimentales se sont aussi faites autour de la bouteille. Il partagera cette passion avec certaines femmes, même si ça a pu impacter ses relations… Bukowski présente en fin de compte la picole comme « une forme temporaire de suicide dans laquelle on s’autorise à mourir pour ensuite revenir à la vie. » On fait table rase du passé immédiat, on s’extrait de la normalité de son quotidien, on chasse sa timidité, on reprend confiance en soi, le temps d’un court voyage hors de son corps, hors du monde qui alors « ne te tient plus à la gorge ». Puis on renaît, on repart à zéro, ni vu ni connu j’t’embrouille. L’alcool change la donne, et nous change, le temps des effets, nous confie Bukowski. Le produit lui est devenu incontournable, mais il ne s’en plaint pas…

Si Hank, comme il se faisait appeler, a essayé un temps les stupéfiants, il en est revenu pour se concentrer sur l’alcool dont il pense « qu’il fait danser la muse », au contraire des autres drogues qui détachent l’esprit de la création… Mais si l’écrivain s’était éloigné des autres drogues, ce n’était pas le cas de Jane par exemple, l’une des femmes qui partagera un bon bout de son existence. Mais c’est l’alcool qui restera le lien essentiel, qui établira même le seul lien possible entre les deux tourtereaux, nous explique Cédric Meletta dans sa biographie – récit – enquête sur Bukowski. On en saura plus ici sur l’écrivain et l’homme. Meletta s’attaque à l’acte de création, et veut comprendre d’où Bukowski a pu sortir ces milliers de pages. « J’ai besoin de savoir d’où Buk sort tout ça. Chimiquement, esthétiquement. Élucider la régularité de sa production, comprendre la fabrique d’une poésie totale… » Personne ne pourra dire si l’écriture de Bukowski aurait été différente, dans la forme et le contenu, sans l’alcool. Mais, si le produit faisait partie de sa vie, c’est que l’auteur y trouvait son compte. Et c’est peut-être bien là, pour lui, l’essentiel…   

Thibault de Vivies (Cet article paraitra dans le numéro 17 de la revue DOPAMINE. www.revuedopamine.fr)

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