Pourquoi avoir fait cette recherche ?
La consommation problématique de pornographie en ligne est aujourd’hui bien reconnue comme un symptôme majeur du trouble du comportement sexuel compulsif (TCSC). Mais qu’en est-il des autres formes de sexualité numérique ? L’équipe de l’Université de Duisburg-Essen en Allemagne s’est intéressée à ce que l’on appelle les « digisexualités » : un ensemble de comportements sexuels liés aux technologies, depuis la pornographie en ligne et le sexting (première vague), jusqu’aux usages plus récents comme la pornographie en réalité virtuelle ou les robots sexuels (seconde vague). Elle visait à comprendre leur prévalence dans la population allemande, leur lien avec le TCSC et leur évolution selon les générations.
Quel est le but de cette recherche ?
Trois objectifs guidaient ce travail :
- Mesurer la fréquence des comportements digisexuels dans une large population.
- Étudier les différences d’usage entre générations.
- Évaluer le lien entre ces comportements et les symptômes de TCSC.
Comment les chercheurs ont-ils fait pour répondre à cet objectif ?
L’étude repose sur une enquête en ligne menée en 2023 auprès de 3 564 personnes résidant en Allemagne. L’échantillon a été construit pour refléter la diversité de la population selon l’âge, le sexe et la région. Les participants ont répondu à un questionnaire mesurant :
- Leur usage de différentes formes de digisexualités.
- Leur niveau de comportement sexuel compulsif via l’échelle CSBD-19.
- Des données sociodémographiques (âge, sexe, orientation sexuelle…).
Les digisexualités ont été classées en deux vagues :
- Première vague : pornographie, sexting, applications de rencontre.
- Seconde vague : pornographie en réalité virtuelle (VR) et utilisation de sex dolls ou robots sexuels.
Quels sont les principaux résultats à retenir ?
Les digisexualités sont des comportements très répandus : 66.1% des répondants ont déclaré avoir déjà consulté de la pornographie, 30.1% ont envoyé des sextos, 28.7% ont utilisé des applis de rencontre. Cela a permis d’identifier également des usages émergents : seuls 5.3% ont regardé de la pornographie en VR et 3.9% ont utilisé un robot ou des sex dolls. Les digisexualités de seconde vague concerneraient avant tout les jeunes générations, ces pratiques sont bien plus fréquentes chez les moins de 35 ans, notamment la Gen Z.
Il existe un lien fort des digisexualités avec le TCSC, elles sont toutes positivement corrélées avec les scores élevés de TCSC, en particulier les rencontres sexuelles via applications (r = 0,529) et l’usage de sex dolls (r = 0,452). En outre, les corrélations croisées sont importantes, celles et ceux qui pratiquent une digisexualité sont souvent aussi utilisateurs d’autres formes (ex. : pornographie + sexting + robot).
Les auteurs rappellent que la sexualité numérique ne se limite donc pas à la pornographie : une diversité de technologies propose aujourd’hui des expériences sexuelles simulées, immédiates, disponibles et parfois addictogènes. Or ces usages sont fréquemment associés à une perte de contrôle du comportement sexuel, une caractéristique du TCSC. Cela questionne sur l’existence d’offres technologiques toujours plus immersives et donc potentiellement plus addictogènes. L’étude attire aussi l’attention sur la co-occurrence entre sexualité compulsive et les pratiques à risque, comme le chemsex, dont les liens avec les usages numériques et les applications sont bien documentés.
L’essor rapide de l’intelligence artificielle et des dispositifs sexuels sur mesure laisse entrevoir l’émergence d’une troisième vague de digisexualité. Cela impose aux professionnels de le santé mentale et particulièrement aux addictologues de rester vigilants face à ces nouvelles formes de comportements, et de penser des outils d’évaluation et de prise en charge adaptés, comme cela a été fait pour la consommation de pornographie.
Enfin, les auteurs soulignent aussi que les comportements digisexuels ne doivent pas être automatiquement pathologisés : ils peuvent aussi répondre à des besoins d’exploration, d’éducation sexuelle ou d’inclusion. Mais leur association fréquente avec de la souffrance (isolement, perte de contrôle, relations superficielles) appelle à avoir une approche centrée sur le vécu de la personne, de façon nuancée, tout en repérant d’éventuels signes cliniques de pathologie associée.
Points-clés à retenir
Les comportements sexuels médiés par la technologie – ou digisexualités – sont désormais bien ancrés dans les pratiques, notamment chez les jeunes générations. Si la pornographie en ligne reste majoritaire, des usages émergents comme la réalité virtuelle ou les robots sexuels concernent une minorité mais requiert une vigilance de la part des professionnels de santé. Tous ces comportements sont associés, à des degrés divers, au TCSC, avec une corrélation particulièrement forte pour les rencontres sexuelles via les applications. L’étude souligne l’importance de ne pas réduire le TCSC à la seule pornographie, mais d’intégrer l’ensemble des formes de sexualité numérique dans la réflexion clinique, la prévention et la prise en charge en addictologie.
Desbuleux, J. C., Desbuleux, J. F. M., & Fuss, J. (2025). Prevalence of first- and second-wave digisexualities in Germany and their relation to Compulsive Sexual Behavior: Findings from a National Online Survey. Journal of behavioral addictions, 10.1556/2006.2025.00048. Advance online publication.
https://doi.org/10.1556/2006.2025.00048