Bilan d’activité du programme SAFE

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Autres drogues

Analyse d'un programme de livraison de matériel de réduction des risques en France

La fourniture de matériel à usage unique permet de réduire les risques des usagers de drogues. Les auteurs rappellent que c’est l’une des stratégies la plus efficace pour réduire les contaminations par le VIH ou les hépatites mais également les infections de la peau et des tissus mous. La fourniture permet aussi aux consommateurs de rentrer dans les soins ou programmes de substitution tout en diminuant les risques sociaux. Les actions de réduction des risques jouent également un rôle important dans les overdoses.

En France, il a fallu attendre 1987 et un décret du ministre de la Santé de l’époque pour permettre la vente de seringues en pharmacie sans prescription. En 1990, les premiers programmes d’échanges de seringues se mettent en place et en 1994 la substitution aux opiacés démarre. C’est la loi de 2004 qui instaure la réduction des risques et des dommages (RDRD).

En 2005, les CAARUD (Centres d’Accueil et d’Accompagnement à la Réduction des risques pour Usagers de Drogues) sont ouverts, ce qui permet aux usagers de s’approvisionner en matériels mais également de recevoir tous les conseils associés. En parallèle, les CSAPA (Centres de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) sont créés pour la partie soins et prise en charge des addictions.

Malgré cette avancée dans la RDRD, tous les usagers n’ont pas accès à ces structures. Les raisons sont multiples mais la localisation et les horaires d’ouverture en sont les principales. En pharmacie, c’est le coût et le manque de confidentialité qui est rapporté par les usagers. Le maillage territorial des CAARUD (majoritairement en milieu urbain) exclut les milieux ruraux, poussant donc les consommateurs à réutiliser leur matériel avec tous les risques décrits ci-dessus. Les auteurs rappellent les nombreuses études internationales qui montrent l’impact de l’absence de structure de RDR en milieu rural.

C’est à partir de ce constat, que le programme de l’association SAFE est né en 2011 avec pour objectif d’envoyer du matériel par colis postal, mais également d’assurer les conseils comme dans tout CAARUD.

L’objectif de cet article est de présenté le bilan de 7 années de fonctionnement.

Mode de fonctionnement :

Le programme fonctionne sur la base d’une demande par téléphone ou par mail. Le professionnel de l’association donne ses conseils et des informations le cas échant, puis saisit la commande/demande de l’usager. L’usager dispose d’un identifiant unique pour que ses commandes ne soient pas nominatives. La gestion de cet anonymat se fait à l’aide d’un logiciel ad hoc et validé par la CNIL. Ce logiciel permet de collecter toutes les données (âge, sexe, produits et modes de consommation, historique de commandes, adresse…) et d’éditer le rapport d’activité.

Ensuite, la commande est préparée et sera expédié dans un colis neutre. C’est la Poste qui acheminera le colis suivi en 48h à l’adresse choisie par l’usager (France métropolitaine et outre-mer).

Méthode :

Pour évaluer le dispositif, 300 questionnaires de satisfaction ont été envoyés entre avril et juin 2018 aux usagers. Ce questionnaire anonyme était intégré au colis avec un manuel d’explication et une enveloppe pré timbrée pour le retour.

Il était prévu d’analyser les résultats par zone géographique, en découpant en 4 zones prédéfinies par l’INSEE et qui va de la zone 1 qui correspond aux villes (18 millions d’habitants) à la zone 4 qui représente le monde rural et ses 2,5 millions d’habitants.

Résultats :

Ceux issus du logiciel :

  • 1920 usagers ont utilisé ce dispositif en 7 ans pour plus de 10 000 colis envoyés.
  • En 2011, ils étaient 42 usagers pour 71 colis et en 2018, 881 usagers pour 3118 envois postaux.
  • 6 millions d’unités de matériel dont 1 720 295 seringues.
  • 97 % du matériel envoyé est à destination de la voie injectable contre seulement 3 % pour la voie inhalée.
  • Des millions de flyers, USB, CD-ROM… concernant des informations sur les pratiques ont été joints aux colis à leur intention mais également pour les diffuser autour d’eux (bouche-à-oreille).
  • 25 % des utilisateurs de ce dispositif sont des femmes, c’est plus que dans les CARRUD (18 %).
  • 170 sont dans des pratiques de Chemsex dont 119 en 2018 contre 1 en 2012 et 18 % d’entre eux sont dans une zone rurale. Pour la majorité, ce sont des slammeurs (= injecteurs).
  • 87 % ont un logement, contre 50 % en CAARUD.
  • 82 % sont injecteurs, 94 % multi voies (injection, sniff, inhalation).
  • 1035 sont des consommateurs d’opiacés dont :
    • Héroïne : 484
    • Buprénorphine : 280
    • Skénan® : 255
    • Méthadone : 16
  • 735 sont des consommateurs de psychostimulants dont :
    • Cocaïne : 406
    • Crack : 329
    • NPS (majoritairement 4-MEC et x-MMC) : 152
  • Les principales raisons évoquées pour utiliser ce service sont :
    • la distance : 680
    • les horaires et/ou le matériel non disponible ou en quantité limité : 442
    • l’anonymat et la peur de la stigmatisation : 310

Les auteurs montrent que s’il y a autant d’usagers urbains que ruraux (rapporté à la population), les motivations sont différentes.

Résultats issus de l’enquête et des 96 réponses (32%) reçues :

  • 72 % déclarent ne plus réutiliser sa seringue
  • 81 % ne réutilisent plus son aiguille
  • 99 % déclarent ne plus partager son matériel (aiguille et/ou seringue)
  • Concernant les autres matériels, le partage est diminué de 9 à 26 %
  • Environ 1 patient sur 2 déclare une amélioration de son état de santé grâce à l’accès à du matériel de RDR via ce dispositif.
  • Jusqu’à 80 % déclarent que leurs consommations sont plus sécurisées.

Les auteurs rappellent que pour pouvoir utiliser ce dispositif, un accès à internet et/ou à un téléphone est indispensable, ce qui peut exclure certaines personnes précaires qui n’en disposeraient pas.

La question des femmes, peu représentées dans les études, est également abordée avec un constat : elles utilisent plus ce dispositif qu’elles ne viennent dans les CAARUD.

La notion de la stigmatisation joue un rôle essentiel dans la réussite d’un tel dispositif.

Enfin, la question des chemsexeurs à la recherche d’anonymat s’approprient l’outil de RDR.

Ce dispositif unique à la France attire des usagers européens (Belges, Espagnols et Suisses) qui souhaiteraient pouvoir en bénéficier. Malheureusement, en l’absence de financements spécifiques et du coût d’un envoi à l’international, cela ne peut se faire.

Un modèle assez proche s’est même exporté aux Etats-Unis en 2017 (https://nextdistro.org) pour faire tomber la barrière de la distance et ainsi faciliter l’accès au matériel de RDR aux Américains.

En conclusion, ce dispositif est utile particulièrement à ceux qui n’ont pas accès aux CAARUD (milieu rural) ou ceux qui ne veulent pas y aller (comme par exemple les chemsexeurs ou les femmes). Le public principal est un injecteur polyconsommateur. L’expansion du programme s’est faite essentiellement par les moyens digitaux (forum internet) et le bouche-à-oreille. Ce dispositif a montré qu’il réduit les échanges et réutilisations de matériels ce qui devrait se traduire par une réduction des contaminations. Des projets de dépistages à partir de papier buvard, mais également des formations à l’utilisation de naloxone sont en cours comme la recherche de partenaire et de fonds pour se développer.

Un article de Mathieu Chappuy

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