Buprénorphine d’action prolongée – résultats de l’essai CoLAB

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Préambule : Depuis 2018, deux spécialités de buprénorphine d’action prolongée dépôt (hebdomadaire et/ou mensuelle) sont disponibles dans le monde. Une troisième spécialité implantable (semestrielle) est également disponible dans certains pays. L’Australie est le premier pays à disposer des deux spécialités dépôt et dispose donc du plus grand recul d’utilisation. En France, nous ne disposons que d’une spécialité dépôt : le Buvidal®. Cette…

Préambule :

Depuis 2018, deux spécialités de buprénorphine d’action prolongée dépôt (hebdomadaire et/ou mensuelle) sont disponibles dans le monde. Une troisième spécialité implantable (semestrielle) est également disponible dans certains pays.

L’Australie est le premier pays à disposer des deux spécialités dépôt et dispose donc du plus grand recul d’utilisation.

En France, nous ne disposons que d’une spécialité dépôt : le Buvidal®. Cette spécialité est réservée aux CSAPA et services hospitaliers avec administration par un professionnel de santé. Si cette spécialité est commercialisée, l’absence de prise en charge financière ou de budget dédié réduit profondément son accès. Ainsi, faute de moyen, cette galénique n’est pas proposée aux patients qui pourraient en bénéficier.

Ici, l’objectif est de présenter les résultats de l’essai australien sur une forme d’action prolongée pour voir l’intérêt ou non de cette galénique. Les résultats concernent une spécialité non disponible en France mais il est intéressant de voir ce qu’apporte ce type de galénique, plus que la spécialité en elle-même pour se faire une idée.

Introduction :

Les médicaments de substitution (MSO) que sont la méthadone et buprénorphine sont efficaces pour réduire les consommations illicites d’opioïdes, les dommages, les infections, les activités criminelles, les décès…

Mais malgré ces nombreux bénéfices, on retrouve également des risques, surtout lorsqu’ils sont mésusés (injection du MSO) ou pris en trop grande quantité (seul ou associé) avec le risque de décès par overdose. Pour limiter ces risques un encadrement voire une supervision des prises au moins à l’initiation sont fréquemment mis en place dans les centres de par le monde. Ces mesures sont contraignantes (déplacements, couts…) pour le patient et peuvent être source d’abandon des soins.

En Australie, la supervision est très longue (3 mois quotidiennement, avant de pouvoir bénéficier de prises non supervisées hebdomadaires). Compte tenu des distances et des horaires souvent réduits dans les centres d’addictologie, les patients peuvent prendre leur MSO sous supervision d’une pharmacie, mais les honoraires de dispensations sont à la charge du patient ce qui est un frein à l’accès aux MSO.

C’est pour ces raisons entre autres que les formes à action prolongée ont un réel succès dans ce pays.

L’étude en question (CoLAB) a pour objectif principal d’évaluer la rétention dans le traitement à 48 semaines et pour objectifs secondaires les effets potentiels du traitement sur la consommation de substances, la santé mentale et physique, le fonctionnement social et sur la qualité de vie.

Méthode :

Il s’agit d’un essai en ouvert, simple bras, multicentrique (7 centres dont 5 équivalents CSAPA, 1 médecin généraliste, une clinique communautaire). Proposé aux adultes (18-65 ans) qui étaient déjà traités par buprénorphine sublinguale entre 8 et 32 mg par jour.

NB : AMM jusqu’à 32 mg en Australie.

Le produit injecté était le Sublocade® (Indivior®) 300 mg les deux premiers mois puis 100 mg ou 300 mg tous les 28 jours suivants.

NB : Sublocade® n’a pas d’AMM Européenne à cause d’un excipient (reprotoxique) présent en quantité trop importante par rapport aux normes européennes, mais pas aux Etats-Unis, Australie…

Le laboratoire peut en revanche demander une AMM par procédure nationale comme ça a été fait dans les pays nordiques.

Les suivis avaient lieu tous les 28 jours pendant 48 semaines.

Des échelles d’évaluation du sevrage (The Subjective Opiate Withdrawal Scale (SOWS)), de qualité de vie (Assessment of Quality of Life (AQoL-4D)), de douleur, de craving, de satisfaction (Treatment Satisfaction Questionnaire for Medication (TSQM)), … étaient administrées. De plus, il était demandé de rapporter la consommation passée via une échelle australienne (Australian Treat ment Outcome Profile (ATOP)).

La partie statistique détaillée est présente dans l’article original.

Résultats :

Entre mai et novembre 2019 : 100 personnes ont été incluses.

Age moyen 44 ans et ¾ d’hommes.

L’opioïde illicite problématique consommé dans les 3 mois précédant cette inclusion était l’héroïne à 55 %, suivi des médicaments pour 44 % d’entre eux.

A l’inclusion, ils étaient en moyenne depuis 2,2 ans sous substitution continue et 60 % avaient plus de 16 mg de buprénorphine. 90 % déclaraient ne pas avoir de symptômes de sevrage.

Le nombre de jour moyen entre deux injections mensuelles de buprénorphine dépôt était de 29 jours.

Le taux de rétention à 48 semaines était de 75 % contre 86 % à 6 mois.

25 sortants dont 16 par choix, 2 pour incarcération, 1 pour hospitalisation, 1 pour effet indésirable, 3 perdus de vu, 2 retours à la forme sublinguale.

La grande majorité des patients ont eu le schéma classique à savoir 100 mg après les deux premières administrations à 300 mg. 5 % sont restés à 300 mg et quelques patients ont eu les deux selon les périodes.

Sur les 3 premiers mois, 17 % des patients ont nécessité des prises complémentaires de buprénorphine sublinguale en moyenne à 8 mg et pendant 5 jours.

Sur les 3 mois suivants, ils n’étaient plus que 3 et un seul sur le deuxième semestre de l’étude.

  • Les consommations d’héroïne (-20%) et les injections (-25%) ont chuté.
  • Les autres consommations (sauf cannabis qui n’a pas changé) ont également été réduites d’environ 10 à 20 % sous buprénorphine d’action prolongée.
  • Le craving des opioïdes a été réduit de 40 %.
  • Le retour à l’emploi a progressé de 60 %.
  • Les douleurs ont diminué.
  • La qualité de vie et la satisfaction des patients ont augmenté.

Concernant la sécurité, 91 % des patients ont eu au moins un effet indésirable dont la moitié imputé au médicament et/ou à son injection. Le plus souvent, il s’agissait de symptômes de sevrage, de céphalées, constipations, nausées, d’un état léthargique auquel il faut ajouter les douleurs au site d’injection. Aucun syndrome de sevrage sévère, de trouble hépatique sévère ni d’overdose ou de décès.

Perspectives :

Cette étude de vie réelle post commercialisation confirme les données obtenues précédemment et sont totalement en adéquation avec les études sur le Buvidal®.

Les taux de rétention semblent supérieurs aux études sur la forme sublinguales (autour de 50 % à un an).

Les auteurs soulèvent la question de l’accessibilité à cette nouvelle forme galénique qui améliore la prise en charge des patients tout en réservant l’administration aux professionnels de santé. Les auteurs suggèrent que les pharmacies pourraient administrer un produit prescriptible par certains médecins généralistes (addictologues ?).

Sans revenir sur tous les bénéfices qu’apportent ces galéniques prolongées, les auteurs rappellent qu’il est important que le patient puisse choisir et que ceux qui disposent de prises non supervisées, seraient probablement moins intéressés.

Parmi les limites de cette étude, la COVID qui a limité les déplacements et peut être modifier les co-consommations. Les patients étaient déjà engagés dans le soin (déjà sous substitution) et la puissance est assez faible (100 patients).

Néanmoins, cette étude confirme les autres sur le potentiel intérêt de ces formes galéniques.

En conclusion, ces nouvelles galéniques semblent prometteuses, tout au moins pour certains patients. Les expériences australiennes mais également européennes vont toutes dans le même sens.

Il est regrettable qu’à fin 2021, les CSAPA et services d’addictologie à qui incombe la prescription n’aient pas les moyens financiers d’acheter ces médicaments pour les proposer aux patients qui le souhaiteraient. A ce jour, c’est une perte de chance pour ces derniers. Espérons que la DGS et nos ARS puissent nous proposer un financement adéquat (engagement de remboursement sur rapport d’activité, budget dédié ?) dès début 2022.

Parallèlement, il serait intéressant de prévoir un circuit ville adapté (injection par le pharmacien ?) pour que les médecins généralistes qui prescrivent déjà la buprénorphine sublinguale, en relais ou non, puissent également proposer cette galénique à leurs patients.

Par Mathieu Chappuy

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