Cette revue de la littérature, publiée dans
Drug and Alcohol Dependence Reports, révèle que l’exposition simultanée au cannabis et au tabac pendant la grossesse peut entraîner des risques plus importants pour le développement de l’enfant que l’exposition à une seule de ces substances. Cette recherche, première du genre à examiner spécifiquement les effets de cette double exposition, souligne l’urgence de repenser les stratégies de prévention et d’accompagnement.
Un phénomène à la croissance préoccupante :
Alors que la légalisation du cannabis progresse dans de nombreux pays et que les perceptions de sa dangerosité diminuent, la co-consommation avec le tabac pendant la grossesse devient plus fréquente. En effet, dans les pays à revenu élevé, jusqu’à 22% de femmes enceintes rapportent consommer du cannabis, et 45% d’entre elles consomment aussi du tabac. La co-consommation des 2 substances est le deuxième pattern de consommation le plus répandu pendant la grossesse, après la consommation de tabac seul. Cette tendance est alarmante, d’autant plus que les effets de cette double exposition restaient jusqu’à présent largement méconnus.
L’analyse de 46 études scientifiques révèle un constat préoccupant : la combinaison cannabis-tabac amplifie les risques associés à chaque substance. Les enfants exposés aux deux substances pendant la grossesse présentent des répercussions plus marquées que ceux exposés à une seule substance.
À la naissance, ces enfants souffrent plus fréquemment de retards de croissance physique. Leur poids, leur taille et leur tour de tête sont moins développés. Les malformations congénitales sont également plus fréquentes. Cet effet néfaste sur le développement physique est le domaine avec le plus haut niveau de certitude dans la littérature.
Les effets persistent au-delà de la naissance, sur le plan comportemental. Les enfants exposés aux deux substances montrent davantage de difficultés d’internalisation (anxiété, dépression) et d’externalisation (troubles du comportement, agitation). Leur capacité à réguler leurs émotions semble également impactée.
Du côté physiologique, les perturbations pourraient notamment toucher le système de réponse au stress. Les enfants présentent des niveaux anormaux de cortisol, l’hormone du stress, suggérant un dérèglement durable de leurs mécanismes d’adaptation. L’obésité infantile est également plus fréquente lorsque les enfants ont été exposés au cannabis et au tabac.
Comment expliquer ces effets amplifiés ?
D’abord, au niveau du placenta, organe vital qui nourrit le fœtus :
- En effet, les récepteurs du cannabis et de la nicotine sont présents dès le premier trimestre de grossesse au niveau du placenta. Quand les deux substances se fixent sur leurs récepteurs respectifs, elles pourraient endommager les tissus placentaires et perturber les échanges entre la mère et le fœtus, qui reçoit alors moins d’oxygène et de nutriments, compromettant son développement.
- Ensuite, cannabis et tabac pourraient interférer avec les mêmes systèmes de neurotransmetteurs, messagers chimiques essentiels au bon fonctionnement neuronal.
- Enfin, le système hormonal qui régule le stress pourrait également subir un double impact. L’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HPA), crucial pour l’adaptation au stress, pourrait se développer anormalement sous l’influence combinée des deux substances.
Il existe évidemment des limites dans l’état actuel des connaissances. La plupart des études se basent sur des auto-déclarations de consommation de substance, qui peuvent parfois sous-estimer la consommation réelle. De plus, peu d’études considèrent les quantités consommées ou la puissance du cannabis utilisé. Or, la teneur en THC (principal actif du cannabis) a considérablement augmenté ces dernières décennies, rendant les anciennes études potentiellement obsolètes.
Ces résultats appellent à repenser les approches de prévention et d’accompagnement, afin de mieux cibler les risques liés à cette co-consommation encore largement négligés. L’urgence est d’autant plus grande que les tendances sociétales évoluent rapidement. La banalisation du cannabis, couplée à l’essor des cigarettes électroniques, pourrait accélérer les phénomènes de co-consommation pendant la grossesse. Il est également important de savoir que même si dans cette étude, l’exposition au cannabis et au tabac venait principalement de la consommation de femmes enceintes, il a été montré que les expositions
indirectes aux mêmes substances pourraient seraient aussi porteuses de risques. De futures études sur la consommation du/de la partenaire, et de la présence dans l’environnement de la personne enceinte de ces substances sont à réaliser afin d’évaluer ces risques.
Mathilde ARGOTE, chercheure postdoctorale
McGill University, Montréal, Canada
The Douglas Mental Health University Institute, Verdun, Canada
En savoir plus :
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/40988858/
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