1. Installation de l’addiction De l’usage simple et festif à l’addiction L’addiction a les caractéristiques d'une pathologie chronique, d'installation progressive, avec une évolution émaillée de rechutes, et dont la survenue est déterminée par des facteurs de vulnérabilité. Dans le processus addictif, les modifications progressives du comportement de consommation s’inscrivent dans une temporalité : une initialisation à travers l'impact hédonique positif…
L’addiction a les caractéristiques d’une pathologie chronique, d’installation progressive, avec une évolution émaillée de rechutes, et dont la survenue est déterminée par des facteurs de vulnérabilité.
Dans le processus addictif, les modifications progressives du comportement de consommation s’inscrivent dans une temporalité :
On peut donc considérer schématiquement, avec P-V. Piazza, que ce processus se déroule en trois étapes :
De façon schématique, on pourrait ainsi considérer qu’il existe, à cette phase, deux grands sous-groupes de patients : – un premier groupe dans lequel on retrouve des facteurs de risque d’évolution vers la dépendance; dans ce groupe, la consommation intensive et répétée correspond à une phase préliminaire, souvent courte, de la dépendance qui en constitue l’évolution logique – un second groupe dans lequel les facteurs de vulnérabilité à la dépendance sont peu nombreux ; mais, à l’inverse, les facteurs d’environnement, d’entraînement sont présents. Dans ce groupe, le retour à une consommation contrôlée est beaucoup plus fréquent, notamment lorsque la pression à la consommation décroît (avancée en âge, installation en couple…) ou qu’une démarche de soin est entreprise (une plus grande efficience des interventions brèves dans ce sous-groupe est vraisemblable)
La consommation répétée entraîne des modifications cérébrales fonctionnelles et structurelles de plusieurs neurocircuits, dont ceux de la récompense mais surtout ceux impliqués dans la gestion des émotions, de l’humeur, de la motivation et des apprentissages pouvant affecter les habitudes comportementales et les capacités d’adaptation. Petit à petit, ces modifications changent les propriétés motivationnelles des produits : s’ils ont été pris initialement par plaisir, ils le sont ensuite essentiellement par besoin, avec d’importantes routines comportementales liées à des conditionnements, des automatisations et une perte de flexibilité cognitive.
Le nouveau répertoire comportemental est alors dominé par une perte progressive du contrôle, les consommations devenant fréquentes avec une incapacité à les limiter. Il s’y associe des pensées obsédantes vis à vis du produit, une recherche et une consommation compulsive avec un besoin impérieux (craving) de reproduire la sensation plaisante initiale mais surtout d’apaiser un mal être, la nécessité d’augmenter les doses pour retrouver l’effet initial, et la poursuite de cette consommation quelles que soient les conséquences sous peine d’une souffrance psychique voire physique. Ces modifications persistent même après un arrêt de longue durée, elles sont à l’origine des rechutes fréquentes et impliquent des processus relevant de perturbations de la mémoire.
Pour expliquer cette installation progressive de l’addiction, quatre grands mécanismes complémentaires, qui se déroulent et se renforcent parallèlement, sont nécessaires :
Chez le sujet addict, il y a une survalorisation de l’objet du désir. Sa valeur « récompensant » le souvenir de celle-ci entraîne une motivation majeure : le simple désir est devenu besoin. Le contrôle cortical, raisonnable, est trop limité pour tenir compte du contexte et des conséquences.
Ces quatre grands mécanismes complémentaires s’appuient sur quatre circuits qui interagissent et sont interconnectés :
Auxquels viennent s’ajouter, au fur et à mesure que la dépendance s’installe :
En situation normale, l’équilibre entre ces quatre circuits aboutit aux actions adaptées à notre situation émotionnelle ou de besoin. Le circuit de la récompense donne la valeur d’un besoin, celui de la motivation donne la valeur d’un besoin et répond aux états internes, celui de la mémoire met en jeu les associations apprises et celui du contrôle permet de résoudre les conflits. Chez le sujet normal, la décision d’entreprendre une action vers un but désiré tient compte de l’importance de la motivation pour cet objet, fonction de sa valeur de récompense, elle-même liée au souvenir du plaisir qu’il a entraîné précédemment. Mais, en fin de compte, c’est le contrôle cortical, préfrontal qui évaluera, en fonction du contexte et du désir anticipé et mémorisé, s’il convient d’agir ou de différer l’action.
En cas d’addiction, on assiste à un renforcement de la valeur du produit, aussi bien par la survalorisation du besoin (la saillance) que dans la motivation à s’en procurer, et à l’envahissement des circuits de mémoire avec déconnexion au moins partielle du circuit de contrôle inhibiteur exercé au niveau du cortex préfrontal par les associations corticales. Cela permet de mieux comprendre les attitudes psycho comportementales des sujets dépendants : le cerveau devient hypersensibilisé à la drogue et aux stimuli environnementaux qui lui sont associés, accorde beaucoup moins d’importance aux autres intérêts, objectifs et motivations devenus secondaires par rapport au besoin obsédant du produit.
Les informations qu’envoie tout le cerveau, valeur majeure de la récompense (nucleus accumbens), saillance majeure et donc motivation majeure (cortex cingulaire et cortex orbito frontal), mémoire exacerbée du plaisir (hippocampe) auquel se surajoute le craving (insula), sont devenues impérieuses, correspondant à un besoin perçu comme nécessaire, absolu et vital.
Tout le cerveau est désormais programmé pour reconnaître ce besoin comme primordial. Le contrôle « raisonnable » n’arrive plus à s’exercer, à contrebalancer ces informations de besoin majeur exigeant une action immédiate du cortex préfrontal pour le satisfaire.
Fonctionnement d’un cerveau non-addict (à gauche) et addict (à droite) :
⇒ Le cerveau addict n’est plus en mesure de choisir de consommer ou non le produit.