Deal, un récit de 6

Dans le Grenoble des années 90, on fait la différence entre les brasseurs et les dealers. Le deal est défini ici comme « achat-revente de drogues », mais si, au passage, on se sert pour son usage personnel, alors on entre dans une autre catégorie, à savoir l’usage-revente. Le brasseur est avant tout un usager qui, pour assurer sa consommation, deal, à l’occasion ou régulièrement, mais sans qu’il soit question d’enrichissement personnel, même si les sommes en jeu ne sont pas nécessairement négligeables. Il fournit aussi ses « amis » ou ses « clients » mais sans que la frontière entre les deux soit véritablement établie… Dans ce récit anonyme à la première personne, particulièrement réaliste, il est donc beaucoup question d’usage. On nous raconte et nous détaille, sous forme de journal de bord, le fonctionnement, l’environnement, les aventures heureuses ou malheureuses d’un jeune brasseur. Cette vie au jour le jour, centrée sur l’usage de substances diverses et variées, cannabis en tête, nous est racontée avec beaucoup de détails et une subjectivité qui tend malgré tout vers une objectivité de regard nécessaire sur cette problématique de l’usage-revente qui concerne beaucoup de personnes consommatrices… Ici, il n’est pas question pour le narrateur d’invoquer la fatalité d’un destin qui décide pour soi d’une trajectoire de vie. Non, tout est assumé comme un choix, ou plutôt une évidence de choix. « La drogue est illégale, interdite, hors la loi. Et alors ? Il faut bien s’en procurer. » La question ne se pose pas. La nécessité fait loi. Alors on fait jouer ses contacts dans un microcosme bien loin à l’époque de l’anonymat que permet aujourd’hui la vente sur internet. On trouve ses connexions, on apprend les codes, on sait y faire ou pas, on acquiert de l’expérience, et on s’installe, plus ou moins confortablement, dans ce système. Certes, l’objectif est de fumer, gober ou sniffer à l’œil, mais il ne s’agit pas que de cela. Il est aussi question de trouver sa place, d’être à sa place, de s’y sentir bien. « Je voulais être ça, car j’étais fait pour ça. C’était une évidence. »… La lecture de ce récit nous permet de plonger au cœur de ce trafic à échelle humaine où les acteurs, les produits, leurs modes de consommation et leurs effets sont décrits avec le recul d’une expérience d’usage et de deal qui nous apporte une somme de connaissances dont il serait bien dommage de se passer. Thibault de Vivies, DopamineCity.fr