Alcool, tabac, cocaïne : des antidiabétiques pour traiter les addictions, le potentiel thérapeutique des agonistes GLP-1

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Le point avec le Dr Ewen Kervadec - Université de Bordeaux.

Initialement développés comme antidiabétiques hypoglycémiants et popularisés sur les réseaux sociaux du fait de leur effet favorisant la perte de poids, les analogues du GLP-1 (glucagon-like peptide 1) comme le sémaglutide (Ozempic, Wegovy, Rybelsus) ou l’exenatide (ByettaBydureon) font désormais l’objet d’investigations pour d’autres indications comme les troubles de l’usage de substances (TUS), notamment de l’alcool, du tabac ou de la cocaïne. Ces dernières années, des études précliniques et de pharmacovigilance ont présenté des données encourageantes contribuant à un intérêt grandissant pour les agonistes du récepteur GLP-1. Ces molécules pourraient représenter de nouvelles stratégies médicamenteuses dans le traitement des addictions, notamment en raison de leurs propriétés modulatrices du système de récompense, du contrôle de l’inhibition, et du système de stress. Néanmoins ces perspectives sont tempérées par les résultats des quelques études publiées jusqu’à présent. En effet, si les témoignages anecdotiques et données observationnelles collectées suggéraient par exemple un effet bénéfique de l’exenatide ou du liraglutide (des analogues GLP-1 plus anciens) sur la consommation d’alcool, le seul essai clinique contrôlé randomisé publié de l’exenatide versus placebo était négatif. Malgré un intérêt croissant pour le sémaglutide, molécule plus récente, les données de pharmacovigilance restaient limitées, rendant nécessaires des études supplémentaires. C’est dans ce contexte qu’un essai clinique randomisé contrôlé récent a été réalisé, publié dans JAMA Psychiatry par Hendershot et al. (2025). Dans cette étude, les auteurs ont cherché à évaluer les effets d’une injection hebdomadaire de sémaglutide chez des adultes avec un trouble de l’usage de l’alcool (TUA) mais ne recherchant pas activement à modifier leur consommation d’alcool (ou à perdre du poids). Cet essai clinique de phase 2 a combiné une approche ambulatoire et des évaluations en laboratoire en conditions expérimentales afin d’examiner les effets du sémaglutide. L’étude s’est déroulée sur 9 semaines, durant lesquelles les participants ont reçu soit le médicament actif (sémaglutide avec augmentation progressive de la dose : 0,25 mg → 0,5 mg → 1,0 mg), soit un placebo, suivies d’une visite d’évaluation finale à la semaine 10. Ce protocole d’introduction du sémaglutide suivait le schéma habituel utilisé pour le diabète, sans atteindre les doses plus élevées généralement prescrites pour la perte de poids. Le critère de jugement principal était l’auto-administration d’alcool en laboratoire, mesurée avant le début du traitement et entre les semaines 8 et 9, lorsque la dose administrée de sémaglutide était de 0,5 mg/semaine. Cette dernière injection à 0,5 mg/semaine a été retenue comme point d’évaluation du critère principal, en accord avec la durée de l’étude et le protocole d’introduction calqué sur celui du diabète. Par ailleurs, d’autres paramètres évaluant la consommation d’alcool des participants ont été suivis de manière prospective à travers des consultations hebdomadaires tout au long de l’étude. A l’issue de l’étude, les participants ayant reçu le sémaglutide ont globalement consommé moins d’alcool et atteint des niveaux d’alcoolémie inférieurs par rapport au groupe placebo lors de l’épreuve de consommation d’alcool en laboratoire.  En revanche, lorsque l’on évalue la consommation d’alcool dans la vie quotidienne des participants, le sémaglutide n’a pas réduit le nombre total de jours de consommation, mais a significativement diminué la quantité d’alcool consommée durant les jours de consommation. De plus, une réduction du craving a été observée par le biais de la Penn Alcohol Craving Scale, suggérant un effet potentiel sur l’envie intense, persistante et involontaire de consommer. Un autre résultat intéressant concerne l’usage du tabac : parmi les participants consommant des cigarettes, le groupe sémaglutide a présenté une réduction plus marquée du nombre de cigarettes fumées par rapport au groupe placebo. Cette étude met ainsi en avant le potentiel du sémaglutide à agir sur plusieurs TUS et justifie la poursuite des recherches pour mieux comprendre son efficacité et son potentiel en addictologie. Sur le plan neurobiologique, les analogues GLP-1 diminuent l’intensité des signaux dopaminergiques induits par l’alcool ou la nicotine en inhibant l’activation de neurones dopaminergiques dans l’aire tegmentale ventrale (VTA) et le noyau accumbens (NAc), ce qui pourrait altérer le conditionnement et la motivation à la consommation de ces substances. Par ailleurs, les analogues GLP-1 renforcent la transmission GABAergique, augmentant l’inhibition neuronale dans des régions comme l’amygdale et le cortex préfrontal, ce qui pourrait conduire à réduire l’impulsivité et le craving. De plus, les analogues GLP-1 présentent des effets anti-inflammatoires, médiés par une action centrale et impliquant notamment les récepteurs opioïdes δ et κ, qui pourraient être bénéfiques en diminuant l’inflammation neurobiologique, facteur contributif aux troubles de l’usage de substances. Grâce à leur longue demi-vie et leur bonne diffusion au niveau cérébral, ces molécules offrent une action prolongée compatible avec la prise en charge de maladies chroniques comme les addictions. Contrairement aux précédents essais cliniques, cette étude se distingue car elle inclut des participants ne recherchant pas un traitement de leur TUA. La réduction de la consommation d’alcool observée sans qu’il y ait une volonté explicite des participants de diminuer leur consommation suggère qu’il ne s’agirait pas d’un effet adjuvant d’une démarche volontaire d’abstinence ou de réduction de l’usage mais d’un effet pharmacologique propre sur le mécanisme du TUS sans nécessité d’une démarche active, évoquant un effet addictolytique. Autre observation intéressante, en comparaison des médicaments actuellement approuvés, tels que la naltrexone ou l’acamprosate, les tailles d’effet sont plus importantes dans cette étude pilote. Enfin, l’effet transversal addictolytique sur l’alcool et le tabac pourrait présenter des bénéfices substantiels à l’échelle de la population générale compte tenu de la prévalence élevée de l’association TU alcool et tabac. Cependant, s’agissant d’un essai pilote unique, la prudence s’impose. De plus, des effets indésirables potentiels à type de troubles gastro-intestinaux, de pancréatite, ou même de cancer de la thyroïde en cas de traitement prolongé sont rapportés par ailleurs. Pour le moment, la plupart des études contrôlées publiées concernent l’exenatide et le dulaglutide (deux études concernant l’alcool, deux études concernant le tabac, et une étude concernant la cocaïne), avec au total des résultats mitigés et hétérogènes concernant une efficacité dans le TUA ou le TUT (cf. Martinelli et al. 2024 pour une revue plus complète de la littérature). De plus, bien que ces molécules représentent une piste thérapeutique prometteuse en addictologie, leur effet de perte de poids nécessite une vigilance particulière en cas d’utilisation dans une population présentant une addiction mais sans excès de poids, notamment pour le trouble de l’usage de psychostimulants d’ores et déjà anorexigènes. De même, le risque de constipation et d’occlusion intestinale limite leur utilisation auprès de patients avec un trouble de l’usage des opiacés. Depuis 2023, les autorités sanitaires françaises dont l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) et l’Assurance Maladie ont renforcé la surveillance des médicaments à base de sémaglutide en raison de leur usage détourné à des fins amaigrissantes, largement relayé sur les réseaux sociaux et ayant entraîné des tensions d’approvisionnement privant ainsi certains patients diabétiques de leur traitement. De nouvelles restrictions ont été mises en place en février 2025, chaque prescription d’un agoniste des récepteurs GLP-1 devant désormais être accompagnée d’un justificatif médical, attestant que le médicament est prescrit dans le cadre de son autorisation de mise sur le marché (AMM). Si leur potentiel thérapeutique en addictologie suscite un intérêt croissant, ces molécules font aussi l’objet d’un phénomène de « hype » préoccupant autour de leurs effets amaigrissants, renforcé par une médiatisation excessive et un usage détourné qui brouillent la perception de leur véritable utilité médicale. Ces évolutions récentes soulignent donc la nécessité d’étudier l’efficacité addictolytique de ces médicaments dans des études méthodologiquement rigoureuses afin de déterminer si un jour les agonistes GLP-1 seront insérés dans la prise en charge des addictions. Analyse de l’article : Hendershot, C.S., Bremmer, M.P., Paladino, M.B., Kostantinis, G., Gilmore, T.A., Sullivan, N.R., Tow, A.C., Dermody, S.S., Prince, M.A., Jordan, R., McKee, S.A., Fletcher, P.J., Claus, E.D., Klein, K.R., 2025. Once-Weekly Semaglutide in Adults With Alcohol Use Disorder: A Randomized Clinical Trial. JAMA Psychiatry. DOI 10.1001/jamapsychiatry.2024.4789 Analyse critique de l’article réalisée par le Dr Ewen Kervadec, docteur en médecine, psychiatre, année recherche en M2 de Biostatistiques, Axe Addiction du Laboratoire SANPSY (Sommeil, Addiction et Neuropsychiatrie) CNRS UMR 6033 de l’Université de Bordeaux. En savoir plus : https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/39937469/

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