Introduction
L’usage de produits du tabac par les jeunes constitue depuis longtemps un enjeu de santé publique aux États-Unis comme en France¹. Les taux de tabagisme chez les jeunes ont diminué de façon constante depuis la fin des années 1990 aux États-Unis²,³. Toutefois, une augmentation importante de l’usage de la vaporette (« vapotage ») chez les jeunes depuis 2017 a inversé cette tendance générale à la baisse de la consommation de produits nicotiniques⁴. Cela suscite des inquiétudes quant au fait que les cigarettes électroniques pourraient annuler des décennies de progrès et créer une nouvelle génération de personnes dépendantes à la nicotine⁵.
Objectifs de l’étude
Il est essentiel de comprendre dans quelle mesure ces craintes sont étayées par des données probantes, afin d’éclairer les décisions politiques relatives à la réglementation des cigarettes électroniques et des autres produits nicotiniques.
Méthodologie
Les auteurs ont utilisé des données transversales issues du NYTS (National Youth Tobacco Survey), qui a été mis en place en 1999 et utilise une procédure d’échantillonnage en grappes à trois niveaux pour recruter un échantillon représentatif à l’échelle nationale d’élèves de la 6
ème à la Terminale. Les participants fournissent des données sur un ensemble de variables liées à l’usage du tabac au moyen d’un questionnaire anonyme (administré sur papier jusqu’en 2018, puis en ligne à partir de 2019).
Sarah Jackson et collaborateurs ont analysé les données des élèves du secondaire (de la 3
ème à la Terminale, âgés de 14 à 18 ans) interrogés entre 2014 et 2023, car les questions sur la dépendance à la nicotine ont été posées de manière constante au cours de cette période.
L’usage de produits nicotiniques a été catégorisé en fonction des déclarations des participants concernant leur consommation au cours des 30 derniers jours de cigarettes, d’autres produits du tabac combustibles, de produits sans fumée/non combustibles et de vaporettes.
La dépendance nicotinique a été définie selon deux critères :
(a) de fortes envies de consommer du tabac au cours des 30 derniers jours, et
(b) le désir d’utiliser des produits nicotiniques dans les 30 minutes suivant le réveil.
Résultats
L’usage au cours des 30 derniers jours de tout produit contenant de la nicotine a diminué, passant de 24,5 % (intervalle de confiance à 95 % = 22,5 %–26,6 %) à 19,6 % (16,8 %–22,4 %) entre 2014 et 2017. Il a ensuite fortement augmenté, atteignant 31,4 % (29,0 %–33,7 %) en 2019 (principalement en raison de la hausse de l’usage de la vaporette), puis a chuté pour atteindre
son niveau le plus bas à 12,5 % (10,9 %–14,1 %) en 2023.
La proportion de personnes déclarant des symptômes de dépendance à la nicotine était nettement plus faible, mais a suivi une évolution similaire au fil du temps. Par exemple,
la proportion déclarant des envies fortes a diminué, passant de 7,8 % (6,6 %–9,0 %) à 5,5 % (4,3 %–6,7 %) entre 2014 et 2017, a augmenté à 7,9 % (6,8 %–9,0 %) entre 2017 et 2018, est restée stable jusqu’en 2020, puis
a chuté pour atteindre son niveau le plus bas à 2,5 % (1,9 %–3,1 %) en 2023.
Bien que les symptômes de dépendance aient toujours été les plus fréquents chez les fumeurs de cigarettes, ils sont devenus de plus en plus répandus parmi les personnes n’utilisant que des cigarettes électroniques après 2017.
Conclusions
Bien que les jeunes qui vapotent soient plus susceptibles de commencer à fumer par la suite (une association mise en évidence dans de nombreuses études longitudinales), les données disponibles ne soutiennent pas l’existence d’un effet passerelle net et substantiel à l’échelle de la population.
Si le vapotage était un facteur causal majeur dans l’initiation au tabagisme, on s’attendrait à observer une rupture claire dans la tendance à la baisse du tabagisme chez les jeunes à partir de la période de forte progression du vapotage entre 2017 et 2019, même en tenant compte des autres politiques de lutte contre le tabac.
Or, des pays comme les États-Unis ont connu une diminution du tabagisme chez les jeunes amorcée bien avant l’introduction de la cigarette électronique, et cette tendance à la baisse s’est poursuivie malgré l’essor du vapotage. Cela suggère que tout effet passerelle au niveau individuel est soit limité, soit efficacement compensé par d’autres interventions.
Ainsi, bien qu’un effet passerelle puisse exister chez certains individus, les données indiquent que son impact à l’échelle populationnelle est trop faible pour influencer les tendances globales.
Cela rejoint les conclusions de notre étude, publiée en octobre 2023 (
Dautzenberg et al.).
Références bibliographiques
¹Observatoire Français des Drogues et Tendances addictives (2025). Drogues et addictions, chiffres clés 2025, 19 p.
²Mejia MC, Adele A, Levine RS, Hennekens CH et al. Trends in cigarette smoking among United States adolescents.
Ochsner J. 2023;
23(4): 289–295.
³Nelson DE, Mowery P, Asman K, Pederson LL et al. Long-term trends in adolescent and young adult smoking in the United States: Metapatterns and implications.
Am J Public Health. 2008;
98(5): 905–915.
⁴Sun R, Mendez D, Warner KE. Trends in nicotine product use among US adolescents, 1999-2020.
JAMA Netw Open. 2021;
4(8):e2118788.
⁵Matthews J, Matthews M, Cherian V. A cloud of addiction: How vaping has created a new generation of addicts.
Br J Gen Pract. 2023;
73(suppl 1):bjgp23X734325.
Dr Philippe Arvers (1,2,3)
1 – Observatoire Territorial des Conduites à Risques de l’Adolescent (MSH-UGA)
2 – 7ème Centre Médical des Armées (76
ème Antenne médicale de Varces)