Le protoxyde d’azote, un gaz hilarant… mais parfois responsable de lourdes séquelles

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L’interdiction de vente aux mineurs du protoxyde d’azote – le fameux « gaz hilarant » – ne suffit pas. Cette substance continue à être détournée pour des usages récréatifs, au prix d’atteintes neurologiques qui s’accompagnent de séquelles parfois lourdes. Un article de Philippe Arvers paru dans The Conversation.

Il y a quelques années, alors que j’intervenais dans une formation organisée dans le cadre du service sanitaire, Bruno Revol, pharmacien et enseignant-chercheur, nous a relaté le décès d’un étudiant de l’université de Grenoble survenue suite à l’inhalation de protoxyde d’azote. Si ce gaz, mélangé à l’oxygène, est utilisé de longue date dans le milieu médical comme anesthésiant, ce sont d’autres propriétés qui amènent depuis quelque temps un nombre croissant de jeunes gens à détourner son usage : inhaler du protoxyde d’azote provoque en effet fous rires et désinhibition, ce qui lui a valu son surnom de « gaz hilarant ». Au prix, parfois, de graves complications.

Des « air bags parties » à l’invention de l’anesthésie générale

Le protoxyde d’azote, de formule chimique N2O, a été découvert en 1772 par le pasteur anglais Joseph Priestley, connu pour ses travaux de chimiste et de physicien. C’est un autre chimiste britannique, le jeune Humphry Davy, qui découvre ses propriétés euphorisantes et désinhibantes, à la charnière du XVIIIe et du XIXe siècle. Ses expérimentations font alors école : chimistes, médecins, auteurs de théâtre, chirurgiens, poètes… la haute société anglaise organise de mémorables « air bag parties » pour inhaler ce « gaz hilarant », qui trouve aussi le chemin des foires. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que ses propriétés analgésiques (qui apparaissent au-delà d’une concentration de 10 %) sont découvertes. Si la puissance anesthésique du protoxyde d’azote est faible, et ne permet pas de réaliser un acte chirurgical, ce gaz peut cependant être utilisé comme adjuvant. C’est ainsi qu’en association avec l’inhalation d’éther, il a permis de réaliser les premières opérations chirurgicales sous anesthésie générale. Le protoxyde d’azote sera ensuite longtemps utilisé par les chirurgiens-dentistes, pour l’extraction de dents. Il sera également mis à contribution dans la prise en charge des blessés, pendant la Première Guerre mondiale, en lieu et place du chloroforme et de l’éther.

Un anesthésiant encore utilisé aujourd’hui

Incolore et inodore, le protoxyde d’azote présente une grande diffusibilité et une faible solubilité dans les tissus, ce qui explique son court délai d’action. Il n’est pas transformé (« métabolisé ») par l’organisme. Par ailleurs, il est éliminé rapidement par voie pulmonaire, dès lors que l’on arrête son administration. À l’heure actuelle, le protoxyde d’azote est encore utilisé en anesthésie, sous forme d’un mélange composé à 50 % d’oxygène. Appelé MEOPA (Mélange Équimolaire d’Oxygène et Protoxyde d’Azote), ce dernier ne doit pas être confondu avec le protoxyde d’azote pur, comme le souligne le psychiatre Daniel Annequin, spécialiste de la douleur. Peu onéreux, efficace, d’action rapide et réversible, cet analgésique est utilisé lorsqu’il faut réaliser des gestes douloureux de courte durée en dehors du bloc opératoire (changement de pansements douloureux, brûlés, réalisation de ponction lombaire, sutures, etc.). Il est aussi employé dans les salles d’accouchement, pendant le travail obstétrical. En France, le MEOPA est le médicament de référence pour les actes et les soins douloureux pédiatriques. Son utilisation est autorisée en médecine libérale, notamment par les dentistes (avec un embout nasal). S’il peut être parfois à l’origine d’effets indésirables (sensations vertigineuses, nausées, vomissements, agitation ou endormissement…), le rapport bénéfice-risque en faveur de son usage est encore considéré comme positif. Des modalités pratiques d’utilisation en milieu médical ont toutefois été définies, en particulier pour tenir compte de ses effets sur la vitamine B12. C’est cette toxicité qui est notamment responsable des graves effets observés en cas consommation répétée ou chronique de protoxyde d’azote pur, lorsque son usage « récréatif ».

Hors de l’hôpital, des détournements risqués

Le protoxyde d’azote n’est pas utilisé uniquement en milieu médical. Il est par exemple aussi employé dans le monde du tuning automobile, comme comburant afin d’accroître la puissance des moteurs, ainsi que dans le domaine culinaire, en tant que gaz de compression/propulsion, notamment dans les siphons de cuisine tels que ceux utilisés pour la crème chantilly. Ce qui pose problème, c’est que ces cartouches sont détournées de leur usage et inhalées, le plus souvent via des ballons de baudruche. Les effets recherchés par les usagers, souvent des adolescents et des jeunes adultes, sont notamment l’euphorie, l’hilarité, le fou rire, la distorsion des perceptions (auditives, visuelles), la sensation de dissociation, le « flottement », et la désinhibition. Ces effets ne durant que deux à trois minutes, les prises sont souvent répétées. Or, le protoxyde d’azote présente une toxicité neurologique. Il inactive de façon irréversible la vitamine B12. Cette vitamine, essentielle à la fonction nerveuse (ainsi qu’à la formation et à la maturation des globules rouges et à la synthèse de l’ADN) est principalement apportée par les aliments d’origine animale. Stockée dans le foie, elle permet le bon fonctionnement du cerveau (synthèse de neurotransmetteurs) et du système nerveux (myélinisation des neurones). L’inactivation de la vitamine B12 par le protoxyde d’azote réduit petit à petit le stock hépatique et entraîne une carence d’apport neurologique, au niveau cérébral et des neurones.

Les effets sur la santé

Les risques liés à l’utilisation récréative de protoxyde d’azote peuvent être immédiats : brûlures par le froid du gaz libéré directement depuis la cartouche, asphyxie liée au manque d’oxygène et aux troubles cardiaques induits, perte de connaissance, désorientation temporo-spatiale, risque de chute, troubles de la vigilance, vertiges, surdosage avec troubles moteurs et cardio-respiratoires. Les complications, en cas de consommations répétées à intervalles rapprochés ou à forte dose, peuvent être sévères, et parfois irréversibles : dépendance, atteintes neurologiques et neuromusculaires (se manifestant par des douleurs, des pertes de sensibilité, de force au niveau des membres, des troubles de la marche, une incontinence), troubles psychiatriques, atteintes cardiaques et troubles de la fertilité. En savoir plus : www.theconversation.com.

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