La mort sait, semble-t-il, se gaver de bières quand l’occasion se présente d’enterrer un buveur invétéré. L’homme est bel et bien décédé et enterré, mais rien ne l’empêche de continuer à boire sa boisson préférée comme pour conjurer son sort funeste.
Cette immortalité de circonstance, et sûrement transitoire, lui donne l’occasion de se refaire une petite tournée et d’engranger de nouveaux souvenirs de buveurs de bière…
Cette longue nouvelle, parue pour la première fois en 1978, n’est peut-être pas une ode du narrateur au “pain liquide“, terme utilisé à l’origine pour désigner cette boisson alcoolique, mais simplement un ultime adieu d’un homme à sa carrière de buveur.
Tout au long de ses pérégrinations de mortel déjà mort, sans qu’il se soit d’ailleurs rendu compte tout de suite qu’il était passé de l’autre côté, le narrateur enchaîne les bières, avec discrétion inévitablement, peut rentrer chez lui pour se reposer, son appartement n’ayant pas été réinvesti, puis repartir sur les routes imbibées où l’alcool l’attend et sait remplir alors ses fonctions, comme il le faisait du vivant du buveur.
Il lui permet de supporter sa nouvelle condition, “putain de mort aussi sale que la vie, finalement“, de se consoler que Louise Brook, actrice américaine des années trente, n’ai jamais tourné avec Murnau, ou alors d’achever de tuer ses angoisses. La bière l’accompagne donc dans la mort et lui permet de supporter cette nouvelle vie, “cette zone intermédiaire où il traînait depuis pas mal de temps déjà.“, et sa solitude de revenant ou de buveur de bière. Tous sont des solitaires, nous dit-il. Seul dans son cercueil, il avait déjà su profiter de son stock de George Killian’s, fameuse bière irlandaise, pour retrouver sa bonne humeur et gagner la force nécessaire à faire “voler en éclats le bois du couvercle“ et soulever la pierre tombale.
De l’oeuf ou de la poule, de la mort ou de la vie, qui est à l’origine de l’autre, et qu’est-ce que la bière vient faire encore là si ce n’est apaiser les tourments d’une existence en mode survie pour un narrateur qui avait déjà du mal à être présent et à s’affirmer de son vivant…
Ce texte pas si sombre, et même résolument vivant finalement, nous invite à ne pas oublier qu’un usage d’alcool, ou autres drogues, n’est finalement qu’une porte d’entrée dans la fiction, celle d’une personne consommatrice qui sait comment se faire du bien tout en prenant le risque de se faire du mal.
La noirceur, mais tout en sensibilité, qui se dégage ici, est celle qui habitait son auteur, Jean-Pierre Martinet, mort en 1993 à l’âge de 48 ans suite à quelques années d’alcoolodépendance…
Thibault de Vivies,
DopamineCity.fr
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