La bigorexie est une addiction, liée à la pratique excessive de l’exercice physique, qui peut toucher autant les sportifs dits amateurs, que les sportifs de haut niveau et professionnels des métiers du sport. Depuis 2011, elle est reconnue comme maladie par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et par le CIO (Comité olympique international). Elle fait partie des addictions comportementales. Il…
La bigorexie est une addiction, liée à la pratique excessive de l’exercice physique, qui peut toucher autant les sportifs dits amateurs, que les sportifs de haut niveau et professionnels des métiers du sport. Depuis 2011, elle est reconnue comme maladie par l’OMS (Organisation mondiale de la Santé) et par le CIO (Comité olympique international). Elle fait partie des addictions comportementales. Il s’agit d’une pathologie, souvent peu identifiée, parfois confondue, ou encore inconnue, qui peut pourtant entrainer d’autres troubles (alimentaires, autres addictions…) et qui n’est pas sans conséquences pour la santé mentale comme physique.
La pratique du sport et de l’exercice physique est bien entendu fortement recommandée pour la santé et l’épanouissement personnel et collectif, mais que se passe-t-il quand elle devient excessive, incontrôlable et même nécessaire pour le maintien de son bien-être émotionnel, corporel ? Que se passe-t-il quand cette pratique se fait dévorante, qu’elle crée de tels déséquilibres que les autres pans de la vie passent au second plan ? Quand la recherche constante de performance, de fréquence supplante le plaisir ? Quand les blessures surviennent et qu’elles sont ignorées ?
Addict’AIDE vous propose dans son focus du mois de revenir sur cette maladie, pour mieux en comprendre les mécanismes, les effets et les solutions de prévention possibles, afin de vivre la pratique du sport et de l’exercice physique comme un réel plaisir ressenti comme bienfaisant et épanouissant et non comme un besoin incontrôlable et seul générateur du circuit de la récompense (neurotransmetteurs de dopamine, sérotonine, endorphine…).
Avant de revenir sur les effets et les conséquences d’une pratique excessive de sport ou d’exercice physique, intéressons-nous quelques instants à la définition même de la bigorexie. Voici un terme qui est passé dans le langage courant, mais qui initialement et dans la sémantique traduisait une addiction à la prise de masse musculaire, d’ailleurs souvent associée à des troubles du comportement alimentaire. Le terme Bigorexie est ainsi issu de « big » (« gros », « grand » en anglais) et de « orexie » (appétit en grec).
« L’addiction à l’exercice physique peut générer un trouble du comportement alimentaire. Par exemple : « Je ne me suis pas entraîné ce matin, donc je ne mange pas ». L’alimentation n’est alors plus vécue comme un besoin naturel, physiologique, mais exclusivement comme un outil de prise de masse musculaire. » explique le Dr Michaël BISCH psychiatre addictologue, vice-président de la Fédération Française d’Addictologie, responsable de l’Europe du Sud et de l’Ouest à l’International Society of Addiction Medicine (ISAM) et notre expert du mois.
On ne va évidemment pas écrire le contraire, le sport, c’est bon pour la santé ! Et sa pratique est non seulement recommandée mais nécessaire pour le bien-être, la condition physique et la prévention de certaines pathologies. Mais, et c’est là le piège, pratiqué à outrance ou de façon déséquilibrée, l’exercice physique se transforme en une nécessité indispensable pour ne pas se sentir mal, pour ne pas éprouver de l’inconfort émotionnel et physique. Et la bascule dans la bigorexie opère. Camille GALLINARI, médecin du travail et coach sportive, notre parole d’actrice durant ce mois d’août, le dit sans détour :
« Oui, le sport, c’est bon pour la santé, mais attention aux excès ! » Quant au Dr Michaël Bisch, de préciser : « L’addiction à l’exercice physique est sans doute la maladie qui se cache le mieux derrière un mode de vie ultra-sain. »
Mais que se passe-t-il dans le corps pour que l’excès s’installe, entraîne un comportement addictif avec un phénomène de perte de contrôle sur la fréquence, un besoin irrépressible d’augmenter la quantité, l’intensité, la répétition des exercices physiques, pour se sentir toujours mieux ?
Lors de la pratique, le corps sécrète d’abord l’un des neurotransmetteurs du « circuit de la récompense », en l’occurrence de l’endorphine. Ce neurotransmetteur a pour effet de réduire les douleurs et de créer un ressenti plaisant, anxiolytique à la fois euphorisant et apaisant après un exercice. D’autres neurotransmetteurs interviennent également, telle la fameuse hormone du plaisir : la dopamine. Ce circuit chimique communique donc au cerveau des informations sur le lien de causalité entre l’exercice physique et le ressenti bien-être. Le sportif atteint de bigorexie va aller toujours plus loin afin de retrouver ce sentiment de confort, augmentant la fréquence, la recherche de performance… Pour avoir « sa dose », comme pour toute autre addiction.
« À l’extrême, avant d’aller courir, la personne ne prend pas un antalgique pour soulager une douleur qui est un signe d’alerte et signale qu’il faut arrêter de courir, mais pour ne pas sentir la douleur quand elle va pratiquer du sport. » – Dr. Michaël Bisch.
Le Dr Michaël Bisch souligne que s’il est nécessaire de rester prudent sur les typologies de personnes à risque, ou de celles qui sont les plus touchées par la bigorexie, quelques facteurs de vulnérabilité peuvent toutefois être mis en évidence :
Il apporte également une attention sur un autre phénomène qui peut être générateur de bigorexie :
« Il se peut aussi que l’on sous-diagnostique les jeunes femmes qui pratiquent des sports de fitness en plein essor (body pump, body combat…) et qui sont parfois en difficulté avec le contrôle de leur masse musculaire et graisseuse ».
Camille Gallinari apporte un éclairage additionnel en lien avec la profession exercée :
« Les métiers exigeants sur le plan physique qui nécessitent le maintien d’une forme physique, des entrainements fréquents (pompiers, militaires, BTP…) ou en lien direct avec le sport (sportifs de haut niveau, métiers du sport en général) sont des professions plus exposées au risque de développer cette addiction ».
Concernant les sportifs de haut niveau, notons que les critères d’addiction à l’exercice physique diffèrent. En effet, en population générale, ce critère repose sur le fait que la personne réduit ses autres pratiques (sociales, amicales…) au profit du sport. Mais l’activité sportive très intense est normative chez les sportifs de haut niveau. Pour eux, le critère d’addiction est lié à l’arrêt total de toutes autres activités (critères fixés en 2019 par le Comité International Olympique/consensus du CIO sur la santé mentale des athlètes).
Pour le Dr Michaël Bisch, cette maladie chronique, a aussi une forte composante environnementale, avec des facteurs de vulnérabilité individuelle qui varient bien entendu d’une personne à une autre. La part environnementale de la bigorexie est liée pour beaucoup à l’essor des influenceurs sur les réseaux sociaux, qui définissent les standards d’une personne musclée, et posent comme critère et valeur sociale la recherche de la performance, du dépassement de soi… en incitant à augmenter la quantité, l’intensité et la fréquence de la pratique sportive.
« Un Instagrammer très populaire (Casquette Verte) affirmait lors d’une interview : « L’ultratrail, c’est accessible à tout le monde en quelques mois. » C’est faux ! Car seuls 5 ou 10 % des Français sont capables de courir 10 km sans s’arrêter, quelle que soit l’allure. Donc affirmer que vous allez pouvoir faire 170 km avec 10 000 m de dénivelé positif, non. Ce sont des pratiques extrêmes, éprouvantes qui nécessitent plusieurs mois de préparation musculaire et cardiovasculaire, et cela requiert beaucoup, beaucoup plus de temps pour les articulations. Cette recherche de performance est génératrice bien souvent de blessures » – Dr. Michaël Bisch
L’addiction à l’exercice physique est un facteur de risque qui peut avoir des impacts variés sur différents pans de la santé :
Selon Camille Gallinari, pratiquer de manière saine un sport ne peut avoir que des impacts très positifs sur le travail. Ce qui pose problème, c’est la pratique dans un contexte pathologique. Dans ce cas, les risques peuvent être de plusieurs natures :
« L’abstinence n’est évidemment pas le bon traitement ! Il ne s’agit pas d’arrêter l’activité physique, qui encore une fois est une pratique saine et un levier de bonne santé physique et mentale. Devenir sédentaire n’est donc pas la solution, car cela peut générer d’autres risques pour la santé. L’équilibre et la mesure dans la pratique de l’activité physique sont donc deux essentiels à privilégier. » – Dr Michaël Bisch
D’une façon générale, il semble intéressant de se questionner sur son propre lien avec sa pratique : est-ce une une priorité pour moi ? Me reste-t-il suffisamment de temps pour faire d’autres choses que j’aimerais faire en dehors de mon sport ? Est-ce que ma pratique sportive a des répercussions négatives sur ma santé physique, mentale ? … De même, se questionner sur le regard de son entourage quant à sa pratique est éclairant.
Pour Camille Gallinari, qui est, rappelons-le, médecin du travail et coach sportive, le repérage précoce et l’intervention brève ne devraient pas se limiter uniquement aux produits (tabac, alcool, cannabis…) qui ont certes un impact psychoactif qui n’est évidemment pas présent avec les addictions comportementales. Pour autant, selon elle, les répercussions de la bigorexie pour les personnes et leurs entreprises sont bien réelles, et devraient être davantage questionnées lors de la visite médicale du travail. Des questions simples pourraient en effet déjà alerter le salarié et l’aider à une prise de conscience :
« Il est intéressant de promouvoir la pratique sportive, mais également d’évaluer le risque de dépendance et ses conséquences. Ce n’est pas uniquement la fréquence ou la durée, c’est plutôt une question d’équilibre avec les autres champs de sa vie qu’il est important d’évaluer. »
Quand le métier requiert des entraînements réguliers, une bonne forme physique, il est alors conseillé, pour maintenir cet équilibre, de pratiquer, hors du travail, des activités qui ne sont pas en lien avec le sport : loisirs artistiques, culturels, passer du temps entre amis, en famille…C’est-à-dire d’autres centres d’intérêts qui vont aussi être sources de plaisir et d’accomplissement.
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