
Au travail, il y a les drogues que François (le prénom a été changé) administre à ses patients, et il y a celles qu’il prend. Evoquant les somnifères pour « ne pas perdre une minute à ne pas dormir », les injections de glucide « pour tenir une journée sans pause déjeuner », et la cocaïne pour, cette fois, « ne pas dormir pendant les douze heures de garde », l’infirmier anesthésiste tient à faire sa mise au point : « Je ne suis pas un cas isolé. »
Dans les réponses à l’appel à témoignages lancé par LeMonde.fr au sujet du recours à des substances licites et illicites au travail, les professionnels de la santé sont légion. Il y a, par exemple, cette stagiaire qui « piochait dans la pharmacie de l’hôpital ». Et ce médecin « retrouvé faisant un malaise sur son lieu de travail parce qu’il était shooté au Diprivan », un anesthésiant puissant, dont l’usage est réservé au personnel médical.
Mais la santé n’est pas le seul secteur touché. Loin de là. Le recours à des produits psychoactifs concerne « tous les métiers », comme le relève Marie Pezé, docteure en psychologie et psychanalyste, autrice de Burn-out pour les nuls (First, 2017). Cette dernière, qui regrette qu’aucune étude d’envergure ne soit menée sur les pratiques addictives au travail, a constaté que les salariés de certains secteurs ont davantage recours à des produits psychoactifs que d’autres : elle cite le bâtiment et les travaux publics (BTP), l’agriculture et la pêche, la restauration ou encore la sécurité.
L’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), qui a lancé il y a un an une expérimentation dans trois régions de France afin de dresser un état des lieux des addictions en milieu professionnel, appelle à « inscrire la prévention des addictions dans le champ de l’amélioration des conditions de travail ».
Selon l’Agence, qui travaille en partenariat avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), les entreprises doivent également sortir « du jugement moral et évacuer toute sanction des salariés ».
« Il faut que les entreprises reconnaissent que leurs employés ont besoin de ces substances pour tenir le coup. »
En attendant que l’Anact rendent ses conclusions, en mai 2018, le gouvernement a lancé, lundi 27 novembre, par le biais de la Midelca, une plate-forme baptisée « Addict’Aide », pour informer les salariés sur les mécanismes de l’addiction.
Après avoir « brisé le tabou », en confiant à sa hiérarchie ses problèmes d’addiction, Marie-Pierre a eu l’occasion de se pencher sur le thème de l’addiction dans le cadre de son travail. Signe, selon elle, que si « le travail peut favoriser une addiction, il peut aussi aider à s’en sortir ».