
Les chiffres parlent d’eux-mêmes et n’ont jamais été aussi élevés : 1,1 million de Français ont consommé de la cocaïne au moins une fois en 2023, selon le dernier rapport de l’OFDT – Observatoire français des drogues et des tendances addictives paru le 15 janvier 2025. Un chiffre qui a été quasi multiplié par 2 depuis le précédent rapport de 2022 qui en comptait 600 000. Quelles en sont les raisons ? L’usage de la cocaïne est-il toujours uniquement festif ? Le milieu professionnel est-il également impacté ? Quelles démarches préventives mettre en oeuvre au travail face à ce phénomène ? Qui, rappelons-le, place la France aujourd’hui au 7ᵉ rang des pays d’Europe en matière de consommation de cocaïne.
Effets recherchés, conséquences sur la santé physique et mentale, actions de prévention en milieu professionnel ? Les questions sont légion et d’actualité face à une drogue qui est passée d’un usage festif à une consommation dopante notamment au travail pour « bosser non stop », « supporter la pression », « être plus performant ». Dans son focus du mois, Addict’AIDE vous propose de revenir sur cette drogue dont l’usage représente un risque majeur et réel pour la santé et le bien-être des consommateurs, mais aussi pour leurs vies familiale, professionnelle et sociale.
L’usage de la cocaïne en France, un phénomène qui n’est pas nouveau, mais qui se démocratise, même au travail
Une production mondiale en hausse
Avant de s’intéresser à l’évolution de l’usage de la cocaïne en France et à l’augmentation de sa consommation depuis quelques années, revenons rapidement sur un constat sans appel, plus macro-économiques. En effet, dans notre premier partage du mois sur la cocaïne (« Le saviez-vous ? ») nous mettions en relief des chiffres de l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime sur la production mondiale de cocaïne qui n’a jamais été aussi élevée en Colombie 🇨🇴, en Bolivie 🇧🇴 comme au Pérou 🇵🇪 – qui sont les 3 principaux pays producteurs de dans le monde. Ainsi, quand 1 134 tonnes étaient produites en 2010, pas moins de 2 700 l’étaient en 2022, soit à peine deux ans plus tard.
Un usage qui se banalise et de nouvelles typologies de consommateurs
Mais pourquoi une telle augmentation de la consommation en France ces dernières années ? Plusieurs facteurs peuvent l’expliquer. Le prix a globalement baissé avec en miroir une teneur en hausse. La livraison à domicile, qui s’est intensifiée, facilite les usages. A cela s’ajoute une réelle « banalisation » de l’image même de la cocaïne qui est passée d’une drogue qui fait peur à une drogue « familière » perçue comme « beaucoup moins dangereuse qu’il y a 20 ans », selon Ivana Obradovic , directrice adjointe de l’OFDT. Enfin son usage a également évolué. La cocaïne n’est plus seulement « festive », son usage est aussi détourné dans le cadre de conduites dopantes comme des conditions de travail qui génèrent du stress.
« L’usage de la cocaïne au travail, ça existe, il faut arrêter de se voiler la face ! » souligne Hervé Martini , médecin du travail addictologue à l’ALSMT (Association lorraine de santé en milieu de travail).
Les signaux d’alerte en population générale sont bien là via les addictologues et les médecins du travail. Et cela se retrouve donc aussi au niveau professionnel.
« Déjà présente en 2017* dans certains secteurs d’activité (hôtellerie, restauration, art et spectacle, marins pêcheurs…) la consommation de cocaïne a tendance aujourd’hui à se généraliser vers d’autres métiers pour : « tenir », « se réguler au travail », « se donner un coup de fouet ». Même si beaucoup pointent au premier abord le côté festif », ajoute Hervé Martini.
franceinfo partageait d’ailleurs en février dernier une série de témoignages d’actifs aussi bouleversants que variés, des témoignages qui montrent combien l’usage de la cocaïne au travail est bel et bien un fait avéré, qui par ailleurs se répand. Ainsi, Sam** explique qu’il était « obligé d’en prendre pour tenir » quand il travaillait dans la restauration. Quant à Caroline**, médecin devenue dépendante lors de la préparation de sa thèse menée en parallèle de ses heures de garde à l’hôpital, elle confie « je pouvais bosser non-stop et moins dormir, je vivais ma meilleure vie, tout était facile. »
On voit bien l’effet dopant recherché avec la cocaïne qui est, selon le Pr Laurent Karila, psychiatre addictologue à l’hôpital Paul-Brousse de Villejuif (AP-HP) et auteur du podcast Addiktion : « Une drogue stimulante, extrêmement cardiotoxique et neurotoxique ».
Plusieurs effets cliniques et complications liées à la consommation de cocaïne
Toujours selon le Pr Laurent Karila, notre expert du mois :
« Le risque d’accidents coronariens est multiplié par 24, une heure après une prise, même dès la première ! Après l’alcool, c’est la drogue qui induit le plus de dépressions et de tentatives de suicide chez les personnes les plus vulnérables. »
Les conséquences de la consommation de cocaïne peuvent être immédiates, variées et générer de graves complications cardiaques (accident coronarien, troubles du rythme), mais aussi neurologiques (crises d’épilepsie, AVC…). Le Pr Laurent Karila souligne également d’autres impacts sur la santé. Quand elle est sniffée, la cocaïne provoque des lésions de la cloison nasale, du palais. À cela s’ajoutent des complications infectieuses liées au partage de matériel et à la désinhibition induite par la cocaïne (relations sexuelles non protégées). Sur le plan de la santé mentale, la cocaïne peut engendrer un phénomène de paranoïa, des épisodes délirants aigus, des attaques de panique, une dépression voire des conduites suicidaires.
Des solutions de soins existent pour traiter la dépendance à la cocaïne
Le Pr Laurent Karila coordonne depuis 2009 un programme de soins sur 12 mois qui s’appuie sur les compétences complémentaires d’une équipe pluridisciplinaire : médecins, infirmières spécialisées en addictologie, psychologues… Ce programme comporte des traitements médicamenteux, des entretiens motivationnels, une thérapie cognitive et comportementale, un soutien psychothérapeutique, et une prise en charge des complications et des comorbidités somatiques et psychiatriques. Il se séquence en étapes à atteindre à 3, 6, 9 et 12 mois. Dans un premier temps en mode ambulatoire, l’hospitalisation est possible, si nécessaire.
« Ce programme est long et lourd, mais il offre des résultats significatifs s’il est bien structuré. » précise le Pr Laurent Karila.
Cocaïne : comment prévenir en milieu professionnel ?
Dans ce contexte de forte augmentation des consommations consommation, les employeurs doivent s’interroger et « aller au-delà du simple test de dépistage, pour déployer une démarche efficace de prévention au cœur de l’organisation » souligne Hervé Martini.
Les deux points d’entrée pour informer et sensibiliser : les salariés/agents et les employeurs
Des ateliers spécifiques proposés aux salariés ou agents vont favoriser l’ouverture du dialogue et influer sur les représentations. Comment perçoivent-ils la cocaïne ? Dans quel but est-elle consommée au travail ? Quelles conséquences en milieu professionnel ? L’objectif ici est de travailler sur la nature même de l’image qu’ils ont du produit pour ensuite appréhender, via la diffusion d’informations, les impacts sur leurs pratiques et les risques professionnels en lien avec la consommation de cocaïne.
Pour les employeurs, ce qu’il faut prendre en compte, c’est la nature même de l’organisation du travail. Quelle politique est déployée ? Quels sont les rythmes de travail ? Comment est évalué le risque en lien avec la cocaïne ?
Le médecin du travail peut, avec son équipe pluridisciplinaire, travailler de concert avec l’employeur sur le DUERP (Document unique d’évaluation des risques professionnels) afin d’y inclure les substances psychoactives (risques et prise en charge). Cette démarche peut aussi être l’occasion pour l’employeur de se questionner sur la qualité de vie et les rythmes de travail.
« Depuis 2 ans, les demandes d’accompagnement sont régulières », constate Hervé Martini.
Un bref rappel sur les trois niveaux de la prévention
Le niveau primaire vise à diminuer les risques. Il a pour cible l’ensemble des salariés ou agents et s’intéresse à l’environnement et aux pratique de travail. Le but est de déployer un intérêt collectif et une vigilance partagée. C’est par exemple atténuer les facteurs de risque dans l’organisation du travail, comme la survalorisation du temps de présence, ou encore fragmenter le travail en limitant les heures supplémentaires sur de courtes durées.
Le niveau secondaire a pour objectif de réduire la prévalence de la consommation de cocaïne par un repérage précoce et une prise en charge d’un collaborateur par le service de prévention et de santé au travail. Il s’agit de limiter l’installation des troubles et l’apparition de dommages trop importants. Pour cela, les managers doivent être formés aux conduites addictives afin notamment de savoir détecter les signaux faibles et gérer les comportements inhabituels.
Enfin le niveau tertiaire, a pour objet d’accompagner sur le plan psychosocial un collaborateur concerné par une consommation de cocaïne et de l’orienter vers le médecin du travail, qui pourra lui proposer une prise en charge dans une structure spécialisée. L’objectif est aussi d’accompagner le collaborateur à sa réinsertion professionnelle et sociale après son rétablissement.
En savoir plus :
Retrouvez la fiche pratique Addict’AIDE Pro « Cocaïne et autres produits psychostimulants : la fausse bonne idée pour surperformer au travail« .
Sources et mentions :
* Baromètre Santé publique France
** Les prénoms ont été modifiés.