La prévention des conduites addictives en milieu hospitalier : l'exemple de la mission FIDES

La prévention des risques professionnels est une obligation inscrite dans la loi pour les employeurs, quelles que soient les organisations, qu’elles soient du secteur privé ou public. Les conduites addictives font partie des risques identifiés en milieu professionnel et leur prévention requiert la mise en œuvre de dispositifs adaptés à la spécificité de chaque organisation, tant sur le plan organisationnel, que structurel, économique ou social. On évoque souvent la prévention des conduites addictives au sein des entreprises à destination des salariés du privé, mais qu’en est-il précisément dans la fonction publique, et plus précisément dans le secteur hospitalier ?

Variétés de métiers œuvrent chaque jour au bon fonctionnement des hôpitaux en France et aux soins des patients. Qu’ils soient médecins, anesthésistes, chirurgiens, infirmiers, aides-soignants, agents administratifs, brancardiers, assistants sociaux…, les agents et contractuels du secteur hospitalier, travaillent au quotidien dans un environnement qui n’est pas épargné par le risque de conduites addictives.

Les conditions de travail spécifiques au milieu hospitalier et la facilité d’accès à des produits psychotropes sont des facteurs aggravants de développer des conduites addictives aussi bien pour le personnel soignant que non soignant. Avec qui plus est un impact direct sur la qualité des soins administrés aux patients. Des dispositifs de prévention existent, ils ont été élaborés en résonance avec la spécificité de cet environnements professionnel.

Addict’AIDE vous propose de revenir plus en détail sur la prévention des conduites addictives en milieu hospitalier, et les moyens déployés pour un accompagnement ciblé et spécifique.

Le milieu hospitalier, des conditions de travail spécifiques, des facteurs de risques accrus

Le secteur hospitalier est un milieu de travail très spécifique qui peut se révéler particulièrement stressant et complexe à vivre au quotidien. Si l’alcool, puis le tabac, sont les substances les plus fréquemment en cause, le personnel hospitalier est particulièrement exposé aux addictions aux médicaments de type benzodiazépines, hypnotiques, opiacés… L’accessibilité à des substances addictives et l’exposition quotidienne à celles-ci fait courir un risque aux professionnels concernés. Un risque qui impacte tout autant les personnels soignants et non soignants avec en écho des conséquences qui peuvent être majeures sur la prise en charge des patients : impacts sur la sécurité des personnes, risque vital, altération significative de la qualité des soins administrés, comportements inappropriés…

Certaines professions sembleraient plus exposées que d’autres, tels les médecins anesthésistes-réanimateurs, les professionnels de santé en médecine d’urgence ou encore en psychiatrie… Bien entendu il ne s’agit pas de catégoriser et peu d’études à date pointent d’ailleurs des chiffres sur les consommations de substances psychoactives chez les soignants. Cela dit dans l’une de nos fiches dédiée sur le sujet et accessible sur la plateforme Addict’AIDE Pro une étude menée entre 2001 et 2005 auprès de 3 476 anesthésistes-réanimateurs souligne que le risque de décès par agents intraveineux (overdose accidentelle ou volontaire) est estimé entre 10 et 15 % sur 5 à 10 ans.

Plus largement, selon une autre enquête réalisée par Stétos en 2015 avec l’implication du CPNS (Centre des professions libérales de santé) et des syndicats de professionnels de santé, 14 % des professionnels de santé estiment être, ou avoir été, concernés par une conduite addictive. Des comportements addictifs qui peuvent être liés notamment à des consommations de médicaments, mais aussi de tabac, d’alcool…

De nombreux facteurs aggravants sont soulignés : des études longues et éprouvantes, des conditions et un environnement de travail générateurs de stress, un excès de charge mentale, la confrontation régulière au mal-être, à la maladie, à la souffrance, à la mort… Mais aussi des horaires de travail extensibles et des gardes multipliées souvent par manque d’effectifs… Autant de réalités qui peuvent conduire à diverses formes de vulnérabilités (burn-out, épuisement, dépression…) pouvant par écho conduire à des comportements addictifs.

« À l’hôpital, contrairement aux autres milieux professionnels, on ne détermine pas de postes à risque spécifiques. Tous les postes sont susceptibles d’exercer une influence sur le patient, et donc, tous les postes sont à risques. Certains peuvent avancer – Moi je suis un brancardier, je pousse un chariot, donc ça n’impacte en rien – Mais en réalité si, tout peut avoir un effet non vertueux. Il n’y a pas que le chirurgien qui est en train d’opérer qui est concerné, même si les médecins ne sont bien évidemment pas du tout épargnés par ce risque », nous partage Sarah Coscas, psychiatre addictologue et responsable de la mission FIDES.

Prévenir et prendre en charge les conduites addictives dans la fonction publique hospitalière

La mission FIDES, prévenir les conduites addictives auprès du personnel de l’AP-HP

La Mission FIDES (confiance en latin) a été créée en 2006 par les Pr. Michel Reynaud et Amine Benyamina avec la Direction Générale de l’AP-HP, afin de développer une politique de prévention des conduites addictives auprès du personnel (soignants et non soignants) de l’AP-HP.

« La mission FIDES sensibilise, forme et prend en charge les professionnels de l’AP-HP sans jugement, ni stigmatisation. Elle impulse une démarche de prévention des conduites addictives au sein de tous les établissements de l’AP-HP en s’articulant autour de 3 axes : la prévention, la gestion des risques et l’accompagnement des professionnels en difficulté » précise Karina RODRIGUEZ – coordinatrice de la mission FIDES, rattachée au Département Santé, Qualité de Vie et Conditions de Travail de l’AP-HP.

  • La prévention : la mission FIDES mène des actions de sensibilisation auprès de l’ensemble des personnels hospitaliers, ainsi qu’un accès à une formation complète sur le repérage des conduites addictives. Ce travail est conduit en collaboration avec les établissements et les Groupes hospitalo-universitaires de l’AP-HP afin de renforcer l’intérêt d’organiser ces actions en interne.
  • La gestion des risques : la mission FIDES accompagne à différents niveaux toutes les directions de l’AP-HP pour leur permettre de déployer une politique de prévention adaptée à leurs établissements.

« Nous fournissons un kit d’outils clés en main qui est retravaillé spécifiquement avec chacun des acteurs de l’établissement : la direction, les RH, les préventeurs, les médecins du travail, les représentants du personnel, les assistants sociaux, les cadres… Ensuite nous les épaulons dans la mise en place d’actions de sensibilisation sur le terrain. Par exemple : « Comment agir en cas de situation de crise face à un professionnel sous l’emprise d’une substance ? Comment se comporter face à un professionnel en situation de trouble addictif chronique ? » détaille Karina RODRIGUEZ.

En parallèle de ces démarches une formation spécifique sur site est proposée afin de permettre le repérage des signaux d’alerte, d’aborder le sujet avec le professionnel en difficulté et de l’orienter.

  • L’accompagnement des professionnels en difficulté : en collaboration avec la collégiale d’addictologie, la mission FIDES œuvre pour privilégier l’accès aux soins de l’ensemble du personnel de l’AP-HP, en faisant en sorte que les délais d’attente soient diminués et en essayant de proposer un rendez-vous dans un service arrangeant pour le professionnel (proche de son domicile ou de son lieu de travail). Le but étant de faciliter au maximum l’accès aux soins et de ce fait les prises en charge.

La mission FIDES n’a pas pour objectif d’intervenir dans un cadre disciplinaire, mais de renforcer, dans le cadre d’actions mises en œuvre avec tous les acteurs concernés, une démarche de prévention et d’accompagner de la meilleure façon possible les professionnels en difficultés.

La prévention des conduites addictives en milieu hospitalier, l’affaire de tous

L’objectif de la mission FIDES n’est pas de faire de la prévention pour les personnes qui souffrent officiellement d’un trouble addictif, mais pour celles à risque.

« Il est crucial que chacun se sente autorisé à dire quelque chose dès lors qu’une consommation considérée comme un peu limite est observée », souligne Sarah Coscas, qui attire notre attention sur un point d’importance, la prévention, c’est l’affaire de tous. « Le simple fait de dire à son collègue « T’as pas l’air en forme, t’as l’air fatigué » peut faire bouger les lignes et engendrer une prise de conscience. »

Tout l’enjeu de la Mission FIDES, c’est de faire comprendre que parler, ce n’est pas dénoncer, mais aider. En formation, Sarah Coscas et Karina Rodriguez entendent souvent « Ça ne me regarde pas… c’est de la délation… il ou elle risque du disciplinaire ». Les personnes ont réellement l’impression d’aider leur collègue en ne disant rien.

Elles évoquent alors l’aspect juridique et notamment la non-assistance à personne en danger lorsqu’on laisse un collègue partir et prendre sa voiture alors que l’on sait qu’il est alcoolisé ou bien lorsqu’un collègue doit pratiquer des soins à un patient alors qu’il n’est pas dans son état normal.

Le fait d’en parler tous ensemble est un vrai élément déclencheur qui fait dire : « C’est vrai, au début il n’était pas comme ça et on l’a tous vu se dégrader mais on faisait comme si de rien n’était car il traversait une mauvaise période…le pauvre on ne l’aurait pas aidé… ». Ces échanges permettent une vraie prise de conscience de l’importance d’en parler et surtout sur le fait qu’il s’agit d’une maladie.

La mission FIDES aide les professionnels à communiquer entre eux, à trouver les bons mots, à donner les clés pour favoriser une orientation la plus adaptée possible, ce qui permet un accompagnement, puis une prise en charge adéquate.

Murielle Gutierrez (Amande épicée)

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