Sentiment d’appartenance à un groupe, de faire partie d’une communauté, lien social, valorisation des compétences psychosociales, des savoir-faire spécifiques, ressenti d’accomplissement des objectifs, renfort de la confiance en soi, de l’estime de soi, amélioration des conditions de vie (pouvoir d’achat, organisation quotidienne, bien-être), sens, perspectives… Le travail favorise tout cela, et bien plus encore, à condition bien entendu qu’il se déroule dans des conditions satisfaisantes, et dans un cadre bienveillant et positif. L’Organisme mondial de la Santé (OMS) le pointe dans ses études, les professionnels de santé (addictologues, psychiatres, psychologues, médecins…), le confirment également : le travail est l’un des leviers du rétablissement des malades (maladies chroniques, addictions…) et des personnes vulnérables. Des publics souvent éloignés de l’emploi et qui pourtant sont favorables en grande partie à un retour à l’emploi face à un taux d’emploi faible en santé mentale, de seulement 15 à 35% pour les addictions selon l’Organisation mondiale de la Santé.
Pour un retour à l’emploi ciblé, positif et plus durable, l’insertion professionnelle des personnes qui souffrent de troubles addictifs requière un accompagnement sur plusieurs volets, des bénéficiaires d’un côté et des entreprises qui recrutent de l’autre. Et ce, dans une démarche plus inclusive, innovante. Addict’AIDE vous propose de revenir sur ce sujet central pour l’optimisation du rétablissement des personnes malades, et qui apporte également une réponse pertinente aux dispositifs de recrutement déployés par certaines entreprises qui peinent à recruter.
Le travail : un levier pour un retour à une vie satisfaisante pour les personnes souffrent de troubles addictifs ?
Julien Cabé, psychiatre addictologue au CHU de Clermont-Ferrand, en charge de 2 unités dont un hôpital de jour en addictologie, nous a partagé ce mois-ci son regard d’expert. Il nous précise que le rétablissement, c’est : « non seulement de ne plus avoir de symptômes de la maladie (ce que l’on appelle la rémission et non la guérison, car il est question ici de maladies chroniques) mais surtout un retour à une vie pleinement satisfaisante ».
Selon lui, le travail exercé dans des conditions agréables et décentes permet ce retour à une vie satisfaisante. Et bien entendu, même s’il n’est pas le seul facteur à le favoriser, il y participe grandement. Le constat est là : le travail réduit les risques de consommation, de rechute, d’isolement social… Et des dimensions du rétablissement sont améliorées : sentiment d’efficacité personnelle, meilleur contrôle sur sa vie, confiance et estime de soi renforcées, sécurité financière plus stable…
Le travail, une valeur qui contribue au rétablissement
Dans nos sociétés, pour beaucoup persiste l’idée selon laquelle ne pas travailler est pénalisant, stigmatisant. D’ailleurs, toujours selon Julien Cabé, certains de ses patients en addictologie affirment ne pas supporter l’étiquette « handicap », car ils ont l’impression que cela les place dans une case qui n’est pas la leur. Du coup, l’insertion professionnelle est un levier dont ils vont se saisir de façon importante, au-delà de leurs difficultés, car ils ont envie de travailler, le travail étant aussi une valeur pour eux. « En addictologie, nous identifions leurs compétences plus que nous leur imposons des stratégies toutes faites. Par les compétences identifiées et renforcée, ils vont être davantage en mesure de pouvoir avancer dans leur rétablissement ».
L’autonomie financière et le lien social retrouvés, grâce au travail
Exercer une activité professionnelle permet aux patients de mieux se rétablir, car ils retrouvent également une vie satisfaisante qui leur offre l’opportunité de mieux s’alimenter selon leurs envies, d’offrir des cadeaux à leurs proches, d’avoir plus de loisirs et même d’envisager des congés… Finalement, de retrouver du sens et du plaisir de vivre.
De plus, le lien social, qui est un des fondamentaux de l’humain, est renforcé avec un cercle relationnel professionnel présent et générateur d’un sentiment d’appartenance, de cohésion, de sécurité…
En pratique, quelles solutions pour améliorer l’insertion professionnelle des personnes qui souffrent de troubles addictifs ?
En résonance avec la méthode IPS (Individual Placement and Support ou soutien à l’emploi) est né le programme ADD’Pro. Déployée depuis 10 ans en France, la méthode américaine IPS a pour objectif de favoriser l’entrée sur le marché du travail dans des entreprises dites classiques, donc à priori non adaptées pour des personnes atteintes de troubles mentaux. Le programme expérimental ADD’Pro s’appuie sur une collaboration tripartite, d’une part les addictologues, psychiatres et soignants en santé mentale, d’autre part, l’association Cecler, spécialisée dans l’insertion professionnelle des publics vulnérables, et enfin les entreprises des territoires. ADD’Pro est actuellement déployé en Auvergne.
ADD’Pro, partir des compétences et du projet de la personne
Il s’agit d’une méthode inclusive. L’idée n’est pas de partir d’un projet professionnel idéalisé pour travailler autour, mais bien d’accompagner les personnes vers et dans l’emploi, par la prise en compte préalable de leurs compétences. C’est une stratégie « Place and train », c’est-à-dire que la personne est mise en situation de travail, puis accompagnée ensuite à lever les freins qu’elle pourrait rencontrer. « Cette démarche peut favoriser des parcours professionnels réussis et plus durables, quelles que soient les pathologies des personnes » souligne le Dr Julien Cabé, qui expérimente le projet ADD’Pro avec l’association CeCler.
Plusieurs prérequis pour la réussite de cette insertion professionnelle
* Mener une recherche intégrée, en milieu ordinaire, et non en milieu particulier comme les entreprises adaptées. Il s’agit vraiment de mettre les personnes accompagnées en situation dite classique.
* Individualiser l’accompagnement : choisir avec la personne un domaine qui peut l’intéresser en résonance avec ses compétences, son profil, ses savoir-faire, puis maintenir un suivi individualisé et régulier, rythmé entre l’association CeClerc et l’hôpital de jour.
* Pas d’exclusion : quel que soit le profil de la personne, des solutions existent. L’équipe ADD’Pro œuvre pour lui trouver un environnement de travail qui lui soit favorable.
* Implication des personnes : les bénéficiaires sont partie prenante et acteurs des décisions qui sont prises. Ils sont accompagnés dans la coordination. De l’information leur est communiquée car souvent, ils ne sont pas forcément informés sur tout ce qui existe et de tout ce qui est possible en milieu de travail…
* Pragmatisme : pas de perte de temps, ni de projet irréaliste, mais un objectif de réussite dans un parcours professionnel qui fonctionne. Les experts en insertion professionnelle du programme ADD’Pro visent des placements rapides vers l’emploi en mobilisant la personne sur des immersions professionnelles via des stages ou des chantiers collectifs, pour tendre vers une efficacité de la démarche. Éviter d’attendre 8 à 9 mois pour commencer un travail, placer rapidement la personne dans un contexte dans lequel elle se sent bien, qu’elle peut tester.
ADD’Pro, un accompagnement des personnes vulnérables, mais aussi des entreprises
Pour que le champ de l’insertion professionnelle puisse fonctionner, un double accompagnement est mené. Tout d’abord personnalisé et individualisé auprès de chaque bénéficiaire comme précédemment décrit (reprise de confiance en soi, redéfinition d’un projet professionnel, remise à l’emploi progressif, etc.), mais aussi avec les entreprises. Et ce, afin de les accompagner dans un processus de recrutement différent.
L’association CeClerc et ses chargés d’insertion professionnelle échangent avec les entreprises du territoire, souvent confrontées à des difficultés de recrutement, sur leurs besoins. Elles les accompagnent ensuite sur la redéfinition de ces besoins afin qu’ils soient en corrélation avec les compétences, les savoir-faire des bénéficiaires qui sont à la recherche d’un emploi.
« Fréquemment, au cœur des dispositifs plus classiques liés à l’insertion professionnelle, et notamment dans le cadre du service public de l’emploi (France Travail, Cap emploi, les missions locales…) un seul modèle est proposé. C’est alors au bénéficiaire en recherche d’emploi de s’adapter à ce modèle. Avec le programme ADD’Pro, nous partons du besoin de la personne accompagnée : ses compétences, sa situation, ce qu’elle peut apporter à l’entreprise, et ce qu’elle souhaite. Et en lien à son projet individuel, nous démarchons les entreprises qui proposent des postes correspondant à ce projet. Nous restons en lien avec ces entreprises. Il s’agit d’une démarche innovante qui est un plus pour les entreprises qui peinent à recruter », nous explique Elisabeth Boschert cheffe de service du Pôle intégration et territoire pour l’association Cecler. Un pôle qui intervient sur 2 axes principaux : l’intégration des publics étrangers, et l’insertion professionnelle des publics considérés comme éloignés de l’emploi.
Une démarche tripartite qui trouve sa plus-value à travailler ensemble
L’association CeClerc est le lien entre la personne accompagnée et l’entreprise, entre la personne accompagnée et l’hôpital de jour. Ce qui permet, en cas de rechute, de désengagement ou d’absences, de garder un lien avec elle et de favoriser un meilleur retour à l’emploi.
Autre point positif de cette démarche tripartite, une montée en compétences des équipes de l’hôpital de jour. Souvent centrées sur les aspects de soin en interne, elles accèdent ici à des clés de compréhension sur un système en milieu ouvert. Les équipes d’accompagnement à l’insertion professionnelle de CeClerc montent également en compétences sur la question des addictions, changent leurs représentations et améliorent leurs accompagnements. L’entreprise enfin, trouve ici une autre façon de renforcer son employabilité et adapte son système de recrutement pour soutenir ses performances économiques et sociales. Autant d’acteurs qui trouvent toute une plus-value à travailler ensemble.
Muriel Gutierrez (Amande épicée)