Depuis une vingtaine d’années, de nombreuses études se sont intéressées à l’addiction au travail qui pourrait toucher jusqu’à 10% des travailleurs dans les pays occidentaux. Les façons de définir et d’évaluer l’addiction au travail ne sont néanmoins pas encore consensuelles. Il est donc difficile d’en déterminer la prévalence dans une population à risque, de même que d’en faire le diagnostic dans le contexte d’une prise en charge individuelle, ou encore d’évaluer l’efficacité de stratégies thérapeutiques ciblant cette addiction. Les addicts au travail auraient tendance à se fixer des objectifs trop élevés, à s’engager de manière compulsive dans le travail et à avoir du mal à distinguer la vie privée de la vie professionnelle jusqu’à délaisser leurs proches. L’addiction au travail a de nombreux points communs avec d’autres conduites addictives, notamment le besoin irrépressible (craving) de travailler, la présence de symptômes de sevrage à l’arrêt du travail et un temps consacré au travail toujours plus important. Contrairement à l’engagement excessif dans le travail, l’addiction au travail se caractérise par une absence de plaisir, un sentiment d’inefficacité et une baisse de la performance au travail ainsi que des émotions négatives incluant une perte d’intérêt pour l’activité professionnelle et une baisse de l’estime de soi. Ce trouble est également associé à une dégradation des relations interpersonnelles, notamment au travail, du fait de la tendance à se focaliser sur ses propres objectifs sans se soucier des autres. Ainsi, l’addiction au travail a été associée à une dégradation de la santé physique et psychique.
Différentes échelles d’évaluation ont été proposées pour repérer l’addiction au travail. Celle qui a fait l’objet du plus grand nombre de publications est la Workaholism Battery (WorkBAT). Cette échelle n’est cependant pas basée sur le repérage des critères habituels de dépendance tels que la recherche d’un craving, de symptômes de sevrage ou d’un phénomène de tolérance. Si l’on veut pouvoir utiliser les stratégies habituelles de la prise en charge d’une addiction dans le cadre de l’addiction au travail, celle-ci doit être définie en se basant sur les critères diagnostiques d’une addiction. C’est ce que propose la Work Addiction Risk Test (WART). Néanmoins la validité de cette échelle n’est pas encore totalement établie, principalement pour les raisons suivantes : – les études qui ont testées la WART ont eu recours à des groupes particuliers de sujets qui n’étaient pas représentatifs de la population générale, incluant même parfois des sujets qui n’avaient pas d’activité professionnelle ; – les seuils proposés pour définir la sévérité de l’addiction au travail ont été déterminés arbitrairement ; – il n’y a pas de consensus sur le nombre de facteurs qui composent l’addiction au travail telle que définie avec la WART. Cette étude avait donc pour objectif d’apporter des éléments de réponse sur ces trois aspects afin de faciliter une meilleure utilisation de la WART en pratique clinique courante.
Les auteurs ont utilisées les données issues de 1 286 volontaires âgés de 18 à 64 ans et inclus dans une cohorte nationale représentative de la population hongroise. Il s’agissait d’un échantillon des participants de cette cohorte qui avaient répondu aux 25 items de la WART et qui travaillaient plus de 40 heures par semaine. En se basant sur cet échantillon, les différentes composantes de l’addiction au travail identifiées dans les précédentes études n’étaient pas retrouvées. En revanche, quatre facteurs composant l’évaluation de l’addiction au travail avec la WART étaient retrouvés : Engagement excessif, Impatience, Acharnement, Envahissement. L’engagement excessif (Overcommitment) correspond à la tendance à travailler de manière compulsive. Dans le cadre de l’activité sportive, la pratique compulsive a été associée dans des études antérieures à un risque accru d’accident et de troubles du comportement alimentaire et conduit in fine à une baisse des performances. L’Impatience (Impatience) se réfère à la frustration induite par la perte de contrôle et les objectifs irréalisables fixés pour soi-même et pour les autres. Cette impatience traduit une certaine impulsivité, c’est-à-dire le besoin d’une gratification immédiate et de forte intensité. La combinaison de l’Acharnement (Hardworking) et de l’Envahissement (Salience) conduit à une négligence des relations sociales et à une restriction des activités extra-professionnelles. Plus le temps passé au travail était important, plus les scores à ces quatre composantes de l’addiction au travail augmentaient. Seuls les items qui étaient suffisamment associés l’une de ces dimensions étaient retenus, et ceux qui pouvaient être associés à plusieurs dimensions ont été supprimés. Cela a permis de réduire le nombre d’items à 17. Un seuil à 51 au score total de cette version révision de la WART permettait de repérer les individus présentant un risque élevé d’addiction au travail et des conséquences négatives sur leur santé mentale.
Cette étude permet de fournir aux chercheurs ainsi qu’aux cliniciens une version de la WART plus robuste permettant de repérer l’addiction au travail en population générale avec un seuil correspondant à d’excellentes valeurs de sensibilité (90%) et de spécificité (99%). Cette version a également l’avantage d’être plus courte que la version initiale, réduisant ainsi le temps de passation. Parmi les études ultérieures à effectuer au regard de ces résultats, il reste notamment à définir s’il existe différents sous-types d’addiction au travail et ses liens avec le perfectionnisme. Quoiqu’il en soit, l’amélioration de cet outil de repérage rapide et facile d’usage de l’addiction au travail devrait permettre d’en faciliter l’usage en pratique clinique courante, notamment en médecine générale, en santé au travail, en psychiatrie et en addictologie. Les auteurs rappellent néanmoins qu’il ne s’agit bien que d’un outil de repérage, c.-à-d. qu’un entretien clinique est nécessaire pour confirmer le diagnostic. Cette version révisée de la WART sera également utile aux chercheurs pour poursuivre leurs études sur l’addiction au travail et ses liens avec l’état de santé physique et mental, notamment concernant les risques d’épuisement professionnel, de dépression et de co-addictions. Elle pourrait également être utilisée pour tester l’efficacité de traitements spécifiquement dédiés à l’addiction au travail, basés par exemple sur la thérapie cognitivo-comportementale.
Par Guillaume Airagnes.