L’addiction au travail, un facteur de risque professionnel, de quoi s’agit-il et comment mieux la prévenir ?

Incontestablement, l’addiction au travail, aussi nommée workaholisme dans la plupart des médias, n’est pas à prendre à la légère au sein des organisations. Trouble comportemental encore mal connu, référencé et considéré, il est bien souvent confondu avec un excès de travail ou un surinvestissement professionnel. Mais il est bien question ici d’une addiction et, par définition, d’une perte de liberté de s’abstenir de travailler, en raison d’une pression interne générée par de multiples facteurs. Oui, l’addiction au travail est un trouble complexe dont les conséquences sur la santé psychique et physique sont aussi variées que lourdes d’impacts sur tous les pans de la vie : professionnelle, familiale, amicale et sociale.

Dans un monde où la réussite professionnelle semble s’imposer de plus en plus comme un curseur de valeur. Dans une société où l’on peut être (sur)sollicité en continu, où les limites et les frontières entre vie professionnelle et vie privée semblent de plus en plus tenues, le risque de développer le workaholisme s’intensifie, avec en miroir une méconnaissance d’une addiction génératrice de bien des maux. L’addiction au travail, de quoi est-il précisément question ? À partir de quand faut-il réellement s’inquiéter de son rapport au travail ? Existe-t-il une prévention ciblée et quel type de prise en charge est possible ? Addict’AIDE, qui au fil du mois de juin vous a proposé des éclairages et des témoignages autour de ce sujet sociétal majeur, revient dans son focus mensuel sur l’addiction au travail, ses facteurs déclenchants ou aggravants, ses effets et les leviers possibles d’une prévention en milieu professionnel.

L’addiction au travail, de quoi s’agit-il précisément ?

C’est dans les années 70 que le psychologue américain Wayne Oates pose des mots concrets sur ce trouble comportemental, qu’il qualifie alors de workaholisme, par analogie avec l’alcoolisme (contraction des mots « work »/travail et « alcoholism »/alcoolisme). Le rapport pathologique d’une personne à son travail est alors formulé et pointe l’évidente réalité d’une addiction encore méconnue, ou même prise en compte. Mais, de quoi est-il réellement question quand on évoque l’addiction au travail et comment ne pas la confondre avec un investissement intense dans son travail ? Comme toutes les addictions, cela se caractérise par une perte de contrôle, une incapacité – pour de multiples raisons que nous évoquerons plus loin dans l’article – à décrocher de son travail. Une impossibilité à ne pas travailler avec en écho une négligence évidente sur les autres pans de sa vie extraprofessionnelle.

« Il est question d’un rapport pathologique au travail qui se manifeste apparemment par un hyper-engagement, un hyper-investissement. Mais ce n’est pas la quantité de travail effectuée qui définit l’addiction, mais bien davantage le rapport même que la personne entretient avec le travail. Celui-ci devient un levier indispensable à l’équilibre de vie, lui permet d’éprouver du plaisir et d’éviter de se sentir mal. La personne ne peut plus s’en passer, car c’est la seule solution pour elle d’être satisfaite et même d’aller bien ».

C’est ainsi que Marie Grall-Bronnec, psychiatre addictologue, professeure de psychiatrie et d’addictologie à la faculté de médecine de Nantes, apporte de la clarté sur ce trouble addictif. Et d’ajouter :

« Malgré les remarques que peuvent lui faire son entourage sur le fait qu’elle travaille trop, malgré l’observation qu’elle peut elle-même en faire aussi, la personne qui souffre d’addiction au travail n’arrive plus à faire autrement, alors qu’il n’y a aucune contrainte objective imposée par le cadre du travail ».

Le temps de travail effectif n’est pas un marqueur de l’addiction au travail !

Un article de la BBC souligne qu’il y a une réelle différence entre les workaholics et les personnes très engagées dans leur travail. Le curseur se niche dans l’assiduité. Les personnes très engagées se concentrent sur une priorité à accomplir (une échéance qui requiert des efforts additionnels), puis reprennent une routine de travail plus équilibrée avec les autres domaines de leur vie (sociale et familiale). Elles maîtrisent leur capacité à décrocher après cette période de travail intense. Pour les personnes qui souffrent d’addiction au travail, vous l’aurez compris, impossible de trouver cet équilibre. Leur propre pression interne les oblige, malgré elles, à se sentir occupées pour éviter de ressentir insécurité, culpabilité, anxiété. On est bien loin d’un comportement contrôlé : le travail est une solution pour limiter leur mal-être.

Quels sont les facteurs déclencheurs ou aggravants du workaholisme ?

Cédric Julien, médecin du travail dans le service de prévention et santé au travail du CHU de Montpellier, et administrateur de l’ANMTEPH, l’affirme sans détour :

« Cette addiction comportementale existe, elle fait partie des risques psychosociaux et donc professionnels encore méconnus et mal évalués. Sensibiliser les travailleurs et les employeurs est indispensable, agir à sa prévention l’est tout autant. »

Mais pour œuvrer à une bonne prévention, à la fois ciblée, organisée et articulée autour de multiples leviers, il est avant tout intéressant de se questionner sur ce qui peut déclencher et parfois même aggraver le workaholisme ?

Les divers facteurs de risques environnementaux

Ils sont multiples et différents d’un individu à un autre. Ils varient en effet selon la personnalité, l’histoire personnelle, le contexte familial, la culture, les traditions, la construction émotionnelle, la santé (mentale, physique) et le mode de vie de la personne.

« Si l’organisation du travail peut participer à l’émergence du workaholisme, ce n’est pas elle qui entraîne le comportement addictif ! Cette addiction est multifactorielle et relève aussi de la vulnérabilité individuelle, du contexte dans lequel la personne se construit, évolue, même si des éléments dans l’organisation du travail peuvent contribuer à l’apparition et au maintien de cette addiction », nous précise Marie Grall-Bronnec, qui ajoute par ailleurs que la valorisation narcissique peut aussi contribuer à la naissance ou à l’expansion du workaholisme. « Généralement, quand il y a une addiction, on se trouve face à des personnes qui peuvent être un peu fragiles sur le plan narcissique, manquer de confiance en elles. Elles peuvent ainsi trouver dans le travail une réponse à ce déficit narcissique : un travail qui les valorise, qui les fait se sentir utiles… ».

Si nous revenons sur le climat organisationnel au sein du travail comme facteur potentiel de déclenchement ou d’optimisation de cette addiction, on peut pointer notamment l’incitation aux heures supplémentaires, les encouragements à considérer et banaliser finalement le travail en dehors des heures habituelles de la part des supérieurs, mais aussi l’esprit de compétition entretenu entre les différents collègues d’un même secteur… Pour Cédric Julien, qui œuvre au sein des organisations en tant que médecin du travail à renforcer la sensibilisation des salariés/agents et des employeurs sur ce risque psychosocial réel aux impacts multiples (sur le collaborateur comme sur la bonne marche de l’organisation), il est aussi essentiel de prendre en considération d’autres facteurs de risque psychosociaux qui peuvent être intriqués : exigences émotionnelles, conflits de valeurs, ressentis forts d’insécurité de la situation de travail, perte d’estime de soi, exigence importante au travail, faible autonomie et latitude décisionnelle.

Conséquences du workaholisme sur la santé ?

Elles sont multiples également (physiques et psychiques), avec notamment de l’épuisement, une hausse du stress, des difficultés d’endormissement (préoccupations liées à des questions de travail), accompagnées de troubles du sommeil, d’anxiété, de dépression ou encore de troubles psychiatriques. L’addiction au travail peut entraîner également d’autres conduites addictives (alcool et médicaments pour calmer l’anxiété, stimulants pour booster l’éveil et optimiser sa capacité à effectuer un nombre d’heures important…).

Des complications additionnelles peuvent aussi être constatées, telles que des pathologies somatiques, de l’hypertension … Ces impacts sur la santé physique et psychique, ont des répercussions sur la vie professionnelle, personnelle, familiale et sociale, et entraînent bien souvent de l’isolement, des conflits avec l’entourage, une perte d’investissement dans les activités domestiques ou de loisirs… À l’heure où la santé mentale a été érigée en grande cause nationale 2025 par le gouvernement, on mesure toute l’importance d’une prévention régulière et renforcée en milieu professionnel.

L’addiction au travail, une prévention possible autours de deux leviers complémentaires !

Selon Cédric Julien, le workaholisme ne fait pas partie des évaluations systématiques lors des visites médicales notamment. En santé au travail, la question du rapport au travail est un sujet qui semble pourtant crucial de questionner, notamment quand sont évoquées des situations de risques psychosociaux (souffrance au travail…).

« Pour l’aborder, il est utile de s’intéresser à la vie personnelle du collaborateur : ses loisirs, ses temps de repos… Cela permet bien souvent de constater des débordements de la vie professionnelle sur la vie familiale et sociale. Parler de cette addiction finalement peu connue ou mal estimée lors de ces visites peut amener les collaborateurs à prendre conscience de leur propre relation au travail, pour ensuite faire la part entre les périodes de surcharges ponctuelles et les comportements compulsifs et irrépressibles visant à soulager un mal-être ou à se créer un plaisir. C’est en ouvrant le champ des questionnements que l’on peut alors initier une vraie prévention. »

Des actions préventives auprès de salariés/agent et des employeurs

Des temps individuels de suivi avec les salariés et/ou agents lors notamment des visites médicales…

Des actions plus collectives organisées par les services de prévention et de santé au travail, en lien avec les employeurs, les collaborateurs :

  • Ciné-débats, tables rondes autour des risques psychosociaux qui permettent de poser des éclairages sur les addictions en général et le workaholisme en particulier.
  • Interventions multiples de sensibilisation en milieu professionnel : colloques, séminaires, formations, réunions, ateliers…

Des conseils psycho-organisationnels aux employeurs.

L’intégration dans le champ des RPS (risques psychosociaux) dans le DUERP (document unique d’évaluation des risques professionnels).

Dans le monde du travail, on constate combien cette addiction est encore mal comprise et finalement peu identifiée. Mais dès que les dirigeants réalisent ce qu’elle est réellement et ses multiples impacts sur la santé de leurs collaborateurs et de leurs propres organisations, une vraie prise en considération des moyens de prévention et des réflexions sur les actions à déployer s’opère, ce qui est plutôt encourageant !

Retrouvez notre fiche pratique : Qu’est-ce que le workaholisme et comment le reconnaître ? | Les addictions en milieu professionnel – Addict’AIDE Pro

Retrouvez l’article de l’Institut fédératif des addictions comportementales (IFAC) : https://www.addictaide.fr/comprendre-et-surmonter-laddiction-au-travail/

 

Muriel Gutierrez (Amande épicée)

Retour