L’alcool et le travail, liens, impacts et risques associés

Organiser un pot en entreprise pour marquer la fin d’une « grosse » mission ou la signature d’un nouveau contrat, célébrer des moments festifs au bureau (Noël, départ à la retraite, embauche d’un nouveau collaborateur, déménagement, promotion…), boire « une petite » bière entre collègues en afterwork ou chaque fin de semaine…

Parfois rite de passage, d’autres fois prétexte et même condition à la convivialité, quelles que soient les habitudes associées, l’alcool semble avoir toujours fait partie intégrante de la culture des entreprises françaises. Désormais la loi réglemente la consommation d’alcool en entreprise et certaines organisations tendent de plus en plus à reconsidérer son rôle dans le milieu professionnel.

Car le constat est là, la consommation d’alcool peut contribuer fortement à dégrader la santé et le bien être des collaborateurs et aggraver les risques professionnels. Et si la mise en place d’une politique de prévention des conduites addictives au travail doit être impulsée par la direction, il est nécessaire que tous les acteurs de l’entreprise y soient associés pour la rendre efficace. Cette démarche doit en effet être collective.

Mais comment sensibiliser les collaborateurs, les managers ? Comment déconstruire les idées reçues sur cette maladie chronique toujours taboue, dont on ne peut se sortir seul(e) et qui reste encore chargée de fausses représentations ? Quelles sont les aides et les solutions qui existent en entreprise, mais aussi hors du milieu professionnel ? Comment prévenir les conduites addictives au travail sans culpabiliser, mais en libérant la parole, souvent premier pas vers le changement ?

Depuis sa création en 2017, Addict’AIDE Pro propose des outils et des ressources accessibles gratuitement pour accompagner les entreprises dans leur démarche de prévention : près de 70 fiches pratiques et un annuaire qui répertorie les intervenants extérieurs.

L’alcool un phénomène sociétal qui se transpose et se prolonge dans le milieu professionnel

Les chiffres sont là et bousculent. L’alcool est la première substance psychoactive la plus consommée en France. 43 millions de personnes en consomment chaque année et pas moins de 5 millions d’une manière régulière (OFDT – Drogues et addictions – Chiffres clés – 2022). Et même si les chiffres de consommation d’alcool publiés par Santé publique France le 13 juin dernier sont encourageants, ils sont toujours trop élevés. En effet, plus d’un adulte français sur cinq (22 %) dépasse les repères de consommation à moindre risque, à savoir pas plus de 2 verres par jour et pas plus de 10 verres durant la semaine.  

L’alcool est l’un des symboles de la tradition française. Il est associé à la fête, à la convivialité en famille ou entre amis. Célébrer une date spécifique, marquer un événement (diplôme, mariage, crémaillère, anniversaire, vacances, nouveau job…), beaucoup de moments de vie sont des occasions où la consommation d’un verre, voire de plusieurs, est vécue comme un instant de partage, de joie…

L’addiction à l’alcool une maladie chronique

Ancrage sociétal, trinquer dès que l’occasion se présente peut potentiellement construire une habitude, qui si l’on manque de vigilance et d’attention peut se transformer en dépendance, une maladie chronique. Le Pr Laurent Karila psychiatre, addictologue à l’hôpital Paul Brousse à Villejuif rappelle en effet que l’addiction à l’alcool est bien une maladie chronique, au même titre que l’asthme, l’hypertension ou le diabète. Il est bien entendu possible de soigner un épisode de cette maladie, mais pas d’en guérir totalement. Raison pour laquelle il préfère parler de rémission.

Selon lui, plusieurs facteurs peuvent venir potentiellement construire l’addiction à l’alcool :

  • Le développement personnel et la maturité cérébrale
  • Le tempérament (anxiété, nervosité, troubles du sommeil…)
  • La plasticité du cerveau qui s’adapte aux situations
  • La génétique
  • L’environnement dans le cercle personnel et professionnel (stress au travail, accès facilité au produit, habitudes de consommation…)

On comprend alors aisément l’importance de la prévention, que ce soit dans la vie personnelle, comme dans le milieu professionnel. Car ce qui se vit dans sa sphère personnelle se transpose et se prolonge au travail… Avec des effets et des conséquences multiples tant pour le travailleur, que pour l’organisation elle-même.

La consommation d’alcool au travail, quelques chiffres

Les derniers chiffres issus de la Cohorte CONSTANCES montre à quel point l’alcool est présent dans la vie des travailleurs :

  • Parmi la population active, près de 20 % des hommes et 8 % des femmes ont un usage dangereux de l’alcool,
  • 10,7 % des femmes cadres ont un usage dangereux de l’alcool,
  • 27,5 % d’hommes et 11,5 % de femmes connaissent des épisodes d’alcoolisation ponctuelle importante ou « binge drinking » au moins une fois par mois.

La prévention des conduites addictives au travail, une responsabilité collective

Les conséquences d’une conduite addictive à l’alcool sont très nombreuses, tant sur le plan physique, psychique, sociétal, familial et bien entendu professionnel. Elles impactent évidemment le malade lui-même, l’exposant à de nombreux risques, mais aussi son entourage, et engendrent différents types de comportements : désintérêt, sentiment d’impuissance, silence, regard qui se détourne, jugement, mise à l’écart… Alors si aider une personne souffrant d’addiction à l’alcool n’est pas si simple, comme le souligne le Pr Laurent Karila, surtout dans une société qui valorise encore l’alcool à chaque occasion, ne rien faire et ne rien dire n’est pas la solution non plus, bien au contraire.

Ariane Pommery, formatrice et patiente experte en addictologie, évoque l’une des paroles d’un médecin addictologue qui l’a marquée par le bon sens même de ces propos :

« Se taire car on a peur de blesser la personne addicte en parlant est une véritable erreur, ne lui parlez pas et vous êtes sûr de la tuer ».

Selon Ariane, le silence tue plus en effet que le produit et elle aurait aimé pour sa part, quand elle était malade, qu’un collègue, un manager lui parle, mais ils ont tous détourné le regard…

Le rôle et les actions des patients experts en entreprise

Anciens addicts, ayant pris du recul sur leur maladie, ils ont suivi un parcours de formations diplômant en addictologie, et travaillent désormais à prévenir les conduites addictives en milieu professionnel. Ils ne sont, ni des médecins du travail, ni des managers au cœur de l’entreprise, ils sont bel et bien des intervenants extérieurs.

Leur but n’est en aucun cas de pointer, de juger, de stigmatiser. Ils œuvrent à libérer la parole, sans la parler à la place de… Comment ? Hervé Kercret, formateur et patient expert addictions explique que ses interventions prennent la forme « de formations, d’actions de sensibilisation, et même d’accompagnements ». Les patients experts favorisent le questionnement, seul levier pour aider les travailleurs dans l’entreprise à changer leurs regards, à observer la situation autrement, à prendre davantage conscience de leur propre comportement, ou à cesser simplement de détourner le regard sur un collègue en difficulté. Ils donnent des clés, éclairent, déculpabilisent, ouvrent les esprits. Ils ont vécu cette maladie, l’isolement lié, les conséquences sur leur travail, le désintérêt de leur hiérarchie, ils connaissent les signaux d’alerte. Ils conseillent sur les aides qui existent en interne à l’entreprise (médecins et infirmiers du travail, assistantes sociales …) et les aides potentielles en externe (groupes de paroles, associations, addictologues…). Ils interviennent auprès des différentes strates de l’entreprises (directions, management, salariés).

Les signaux qui peuvent alerter sur un comportement addictif à l’alcool au travail

Retards au travail de plus en plus fréquents, rendus de travaux ou de missions dans des délais prolongés, endormissement au travail, désengagement, perte de motivation, d’implication, perte de confiance en soi et d’estime de soi, isolement et éloignement social… Ils sont nombreux les premiers signaux, et pourtant très souvent ils ne suffisent pas à alerter. Bien que la prévention des conduites addictives semble se renforcer dans les entreprises en France, encore trop souvent ces signaux ne sont pas suffisamment pris en considération. Hervé en témoigne :

« Personne n’a pu voir la progression de ma conduite addictive avant qu’il ne soit trop tard. »

Résultat ? Les personnes à risque en entreprise sont laissées de côté, dans un réel isolement, menant potentiellement à aggraver la situation, avec des conséquences délétères à la fois sur leur santé  mais aussi sur la performance sociale et économique de l’organisation. 

En France, des solutions existent afin d’aider les personnes dépendantes ainsi que leur entourage : des consultations spécialisées dans les hôpitaux mais aussi en dehors dans les CSAPA (Centre de soin, d’accompagnement et de prévention en addictologie), des groupes de paroles, des forums d’entraide, comme le Forum Addict’AIDE animé par des patients experts addictions, des groupes Facebook, comme le groupe privé : Addictions et alcool : ensemble on est plus forts

Et sur notre portail professionnel Addict’AIDE Pro retrouvez des fiches pratiques consacrées au risque « alcool », notamment :

« Alcool et travail : quel sont réellement les liens et les risques associés ? 

« Point juridique : le pot d’entreprise »

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