Un entretien conduit par Christophe Lenoir Inspecteur Général Honoraire des Affaires Sociales
- Pour quelle(s) raison(s) une action globale et volontariste sur la santé a-t-elle été décidée par la direction générale du groupe EDF, en incluant la question des addictions ?
Dans un environnement en pleine évolution, la dimension humaine est au cœur du projet stratégique du Groupe EDF, les dirigeants soulignant qu’il s’agit d’un élément clef de la performance.
Cette affirmation au titre de sa responsabilité d’entreprise est ainsi énoncée sur le site internet du groupe : « Pour faire face à ses enjeux industriels et commerciaux, EDF se doit de rester un employeur socialement responsable et engagé, référent en termes de santé, professionnalisme et d’implication de ses salariés, en développant leurs compétences et la diversité de leurs profils. »
Inscrite dans la durée, cette stratégie pour la santé impliquant les nombreuses entités du groupe EDF (160 000 salariés dont plus de 120 000 en France) est une composante de la politique de Responsabilité Sociale et Environnementale (RSE) du groupe, en faisant officiellement référence à plusieurs des objectifs mondiaux de développement durable adoptés par l’ONU :
- Objectif 3 : Permettre à tous de vivre en bonne santé et promouvoir le bien-être de tous à tout âge
- Objectif 4 : Assurer l’accès de tous à une éducation de qualité, sur un pied d’égalité, et promouvoir les possibilités d’apprentissage tout au long de la vie
- Objectif 5 : Parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles
« L’intégrité des femmes et des hommes de notre entreprise et de nos prestataires est une priorité absolue. Pour atteindre cette ambition, le Groupe s’est fixé 2 priorités :
– éradiquer durablement les accidents mortels dans le Groupe ;
– préserver la santé et la sécurité de tous nos salariés, sous-traitants et parties prenantes. »
En lien assumé avec les risques psychosociaux (RPS), les pratiques addictives sont analysées comme des pathologies d’acquisition et/ou d’adaptation, entraînant des perturbations complexes du cerveau et modifiant le comportement. La publication de positions co-construites avec les managers, les médecins du travail et les représentants du personnel sur le sujet de la prévention des pratiques addictives a été initiée dès 2013, en déclinaison de l’accord relatif au dialogue social dans le domaine de la santé signé à EDF SA en 2010 avec plusieurs organisations syndicales : Force Ouvrière, CFDT, CFE-CGC. Il s’agit pour le groupe EDF dont les entreprises comportent de nombreux postes de travail à risque (production, conduite de machines-outils, surveillance, astreinte, déplacement…) de consolider sa politique santé-sécurité, et même d’être une référence.
Et actuellement « L’ambition 2030 » du groupe EDF consiste expressément à « Intégrer les meilleures pratiques des groupes industriels, en matière de développement humain : santé/sécurité, diversité hommes/femmes, promotion sociale ».
- Comment cette stratégie est-elle déclinée, selon quelles modalités est-elle mise en œuvre ?
Les politiques RSE et santé sécurité du groupe EDF sont débattues notamment dans le cadre de son comité d’entreprise européen.
Les Exigences du Groupe EDF pour le Management de la Santé Sécurité sont regroupées dans un fascicule des « Exigences BEST » (Building Excellence in Safety Together) qui précisent « ce que nous avons tous besoin de mettre en œuvre pour devenir une référence dans le domaine de la Santé Sécurité ». Dans cet objectif de leadership, les règles BEST organisent la gestion des évènements, celle des prestataires et fournisseurs, l’évaluation et la gestion des risques, le pilotage, la formation et le développement des compétences, et la gestion des changements.
Pour la mise en œuvre des grands objectifs de santé / sécurité du travail, réaffirmant son ambition « zéro accident du travail et zéro impact sur la santé » concernant les salariés et les prestataires, le groupe EDF a notamment mis en place :
- Le comité stratégique Santé Sécurité composé de dirigeants désigné par chaque membre du COMEX,
- L’organisation d’un reporting régulier pour suivre les avancées en santé au travail ;
- Dix « règles vitales » que les salariés et prestataires doivent connaître et respecter ;
- La collecte et le traitement de situations dangereuses et le partage du retour d’expérience qui en est fait.
Le dialogue social sur la prévention de la santé au travail se concentre sur les risques cardio-vasculaires, les troubles musculosquelettiques (TMS), les troubles anxiodépressifs, les pratiques addictives. Le premier sujet traité par le GNST fut les pratiques addictives, aboutissant à la publication d’un recueil « Prévention des pratiques addictives » regroupant (en 28 pages) 9 fiches de recommandations.
En complément, un guide pratique a ensuite été publié à l’attention des managers intitulé « Faire face à l’addiction », précisant que les managers sont en position de contributeurs essentiels de la politique de Santé Sécurité.
Une actualisation des recommandations pour la prévention des pratiques addictives est en cours dans le cadre du GNST. La validation attendue en juin 2019 concerne d’une part 5 fiches de synthèse actualisées qui traitent 1) la définition et la problématique, 2) le document unique, 3) les facteurs de risques qui conduisent à l’addiction, 4) la sensibilisation et la formation, 5) les pratiques addictives et le travail : quelle conduite à tenir ? (Respectivement par le représentant de l’employeur, les collègues de travail, le service de santé au travail) et d’autre part 3 fiches DRH Groupe sur la politique d’entreprise et la prévention, les repères réglementaires, les aspects techniques des tests urinaires et salivaires.
Tandis que le syndicat Force Ouvrière a suspendu sa participation au GNST et que le syndicat CFDT n’a pu être rencontré, le syndicat CFE-CGC insiste pour que la politique de santé ne dérive pas sur le terrain disciplinaire via la généralisation des dépistages. La direction soutient que les consultations requises pour réaliser dans chacune des entités la modification des règlements intérieurs en matière de contrôle de l’alcoolémie et de stupéfiants a permis de s’affranchir de tabous habituels et d’amorcer un dialogue social concernant les addictions et leur prévention.
En amont du guide de prévention, le syndicat CFE-CGC précise aussi avoir réalisé une enquête interne sur les addictions ayant démontré le besoin de concevoir et diffuser des outils pour chacun des acteurs. En ce sens, les différents acteurs EDF s’accordent pour mettre en avant le concept de vigilance partagée qui s’appuie sur la confiance, la bienveillance et la transparence au sein des collectifs de travail pour identifier les risques et définir les actions de prévention. Cette approche privilégiant la dimension collective de la prévention implique que direction et management garantissent les conditions pour que chacun se sente responsable de son entourage professionnel et encouragent les regards croisés, les revues de pairs et le partage au sein des équipes.
Les médecins soulignent que leur mission légale de sensibilisation et de prévention des addictions est grandement facilitée par l’engagement volontariste de l’entreprise, car elle appelle une déclinaison sur chacun des sites en incluant les prestataires. L’outil de repérage RPIB promu par la Haute Autorité en Santé (outil d’aide au Repérage Précoce et Intervention Brève : alcool, cannabis, tabac chez l’adulte) se déploie d’une manière croissante au sein des services de médecine du travail du groupe EDF au fur et à mesure de la formation des équipes. L’observatoire pluriannuel national de veille et de recherche en santé au travail EVREST (Evolution et Relations en Santé au Travail) comporte un collectif actif incluant EDF au sein des IEG (Industries de l’Energie et Gazières). Ce dispositif fonctionne par questionnaire, construit en collaboration par des médecins du travail et des chercheurs, pour pouvoir analyser et suivre différents aspects du travail et de la santé de salariés. En particulier les facteurs de RPS, parfois à l’origine d’augmentation des conduites addictives. Le thème des addictions est ressorti des travaux de ce collectif IEG, en pointant le besoin de promouvoir des outils d’auto-évaluation.
- Quel bilan, quelles perspectives pour cette politique de prévention des addictions ?
Depuis plusieurs années, l’expression des salariés du groupe EDF vis-à-vis de leur travail est analysée via un socio-scope interne et qui comporte 24 questions issues de la grille faisant référence, dite « grille Gollac » sur le travail et les risques psycho-sociaux.
Tous les acteurs s’accordent sur la qualité des documents produits et l’ampleur des actions de sensibilisation. Au-delà des substances illicites et de l’alcool, il convient d’élargir le champ aux médicaments psychotropes et aux addictions sans produit et comportementales. De même, par-delà les contrôles réalisés à l’entrée des sites du groupe EDF, le besoin d’information collectives de tous les acteurs est permanent, en raison des changements de personnels, de l’évolution des pratiques et des tâches.
Pour amplifier la sensibilisation de tous, les services EDF viennent de créer (1° trimestre 2019) un outil e-learning d’auto-évaluation sur les pratiques addictives en s’appuyant sur les conseils de spécialistes (dont le Pr Reynaud).