Un entretien conduit par Christophe Lenoir Inspecteur Général Honoraire des Affaires Sociales

  • D’où vient qu’une politique aussi globale de prévention a été décidée ? Quelle en est l’ambition ?

Si la question des consommations d’alcool est aussi ancienne que les ambiances parfois difficiles du travail dans les usines sidérurgiques, ce n’est (classiquement) qu’à la suite de plusieurs accidents que les choses ont commencé à changer. Ainsi la mise en lumière de ce qu’une enquête sur accident grave n’ait pas mentionné le moindre problème d’alcool sur une ligne où pourtant deux collègues se sont mal coordonnés, l’un des deux étant en état d’ivresse. Puis une autre situation accidentelle mettant en cause téléphone et consommation de cannabis. Il en est résulté une prise de conscience conduisant à ce que les addictions soient enfin traitées au bon niveau.

Mme le Dr DELAHAIGUE l’énonce très clairement : « J’ai accepté de m’occuper de la démarche, à la condition que ce soit bien une démarche de prévention et pas une chasse aux sorcières. On ne peut pas résoudre ce genre de problèmes par la sanction ». La direction de l’usine s’est donc engagée pour aborder ces sujets autrement qu’au coup par coup, de sorte que l’encadrement et la maîtrise postée se sont impliqués, de même que, pour ce qui les concerne, les représentants du personnel. C’est donc ainsi que, parallèlement, les conditions de travail ont été revues et améliorées.

La prévention en santé impliquant la responsabilisation de tous, la 1° des « Dix règles d’or » en usage dans l’entreprise AMAL martèle que « Je suis en bonne condition pour prendre mon travail ».

  • Selon quelles modalités cette politique est-elle organisée et mise en œuvre ?…

La procédure légale requise pour l’adaptation du règlement intérieur a été le vecteur sur le site de Montataire d’une concertation approfondie avec les représentants du personnel et des organisations syndicales. Elle a porté en particulier sur ce qui fut d’abord perçu comme des restrictions aux libertés individuelles concernant les consommations de boissons alcoolisées, de substances psychoactives (stupéfiants et drogues illicites, médicaments…) et les modalités de contrôles. Ainsi, eu égard aux risques qu’induit l’activité de l’entreprise, le taux autorisé d’alcoolémie est limité à 0,3g par litre de sang, c’est-à-dire plus bas que le seuil de référence du code de la route.

Un processus analogue, assorti de sessions d’information et de formation destinées respectivement aux managers et aux représentants du personnel, s’est ensuite élargi aux autres sites. De sorte que l’entreprise dans son ensemble est désormais régie par de mêmes règles, dans une politique préventive équilibrée intégrant le respect de la vie privée. Signe et illustration de cette orientation, le code d’éthique ArcelorMittal est annexé au règlement intérieur.

Pareillement illustratif de cet équilibre, le listage panoramique des métiers et activités à risques concernés par le dépistage de l’alcoolémie et de l’usage de stupéfiants, de substances psycho actives – drogues illicites énonce :

  • « Les activités de management à responsabilité élevée,
  • « Les métiers de management et opérationnels de surveillance ou de contrôle de la sécurité
  • « Les missions de protection des personnes, des installations et des biens
  • « Les opérations demandant un certificat ou une habilitation spécifique pour les réaliser
  • « Les manipulations d’équipements ou de produits dangereux
  • « Les activités réalisées dans une zone réglementée
  • « L’utilisation d’équipements nécessitant une concentration soutenue
  • « Les accès à des zones d’exploitation (risque gaz, circulation d’engins ou de matériels ferroviaires, zones de stockage et/ou manutention) »

Cette volonté de progresser collectivement sur les sujets de santé, assumée par la Direction Générale et les DRH, vise à harmoniser les processus et les pratiques : explicitement nommée, la prise en compte des conduites addictives, non stigmatisante, est intégrée dans une approche plus globale visant également les sujets du tabac, des troubles de la vigilance et du sommeil, des troubles musculosquelettiques (TMS), de la pénibilité au poste de travail, des risques chimiques et CMR (cancer, mutagène et reprotoxiques), des risques cardio-vasculaires. Le portage par tous de cette politique est illustré par l’élargissement de la démarche de vigilance partagée aux risques psychosociaux, dans le but de contribuer à l’identification de situations collectives et/ou individuelles et notamment de harcèlement et de violence au travail en vue de leur prise en charge le plus en amont possible afin d’éviter qu’elles ne s’amplifient.

Par sa détermination collective et l’organisation qu’elle a construite en plusieurs années, l’entreprise AMAL le démontre : plutôt que d’endiguer les effets des addictions, la prévention, dans sa dimension primaire la plus aboutie, nécessite d’articuler anticipation et actions pour « Combattre les risques à la source » (conformément à article L 4121-1 du code du travail), afin que le travail devienne un facteur de promotion de la santé et de bien-être. Cette prévention requiert une dimension collective et pluridisciplinaire organisée en combinant obligations spécifiques de l’employeur, rôle et autonomie de la personne quant à sa propre santé, et accompagnement médical.

Cette dynamique organisée repose sur 3 piliers complémentaires :

  • Des sessions de formation « Take Care» sont déployées sur la base de 5 jours pour les opérateurs incluant en phase initiale un module « santé et addictions ». Ces cessions concernent aussi, en partie, les intérimaires ainsi que les prestataires et sous-traitants homologués. La portée pratique de cette précision est d’importance puisqu’en 2018 le nombre de sous-traitants utilisés par AMAL est d’environ 3000. En outre, une action spécifique est déclinée pour les managers dans le but d’intégrer, à leur niveau, la prévention (safety leadership).
  • Un contrat individuel est proposé pour l’accompagnement des salariés rencontrant des difficultés, soit en mode bilatéral (le salarié et le service de santé au travail), soit tripartite (incluant le manager de proximité, en respectant le secret médical). Les sanctions disciplinaires prévues au règlement intérieur ne sont donc pas la première réponse de l’entreprise.
  • La gouvernance de cette démarche globale, dans chacun des 7 établissements de l’entreprise, est réalisée depuis 2018 par un comité semestriel de prévention des RPS et des addictions piloté et présidé par le chef d’établissement
    • Périodicité : semestrielle.
    • Composition : chef d’établissement, représentant de chaque organisation syndicale, médecin en santé au travail, RH local, représentant(s)manager, représentant QSSE, assistant(e) social(e).
    • Facultativement, selon les sites et l’ordre du jour : représentant(s) des entreprises hébergées, représentant(s) des services transversaux, infirmier(ère)spécialisé(e) en addictologie ou prévention des RPS, psychologue, ergonome, juriste …autres.
    • Bilan et perspectives : parvenue à ce point d’avancement, l’entreprise envisage-t-elle de pérenniser cette politique de prévention ?

Il est avéré que pour l’essentiel, la construction et l’organisation opérationnelle de cette politique générale de prévention résulte de l’implication personnelle de différents responsables, depuis le médecin coordinateur jusqu’à la Direction Générale. Les organisations syndicales agissent en relais, typiquement sur des questions d’ordre individuel, mais il reste des marges de progrès pour agir dans un rôle moteur.

Le PDG s’est formellement engagé à ce que l’entreprise AMAL « promeuve, harmonise et généralise les meilleures pratiques à toutes ses entités » et qu’elle « crée les conditions permettant à ses salariés de préserver leur santé physique et mentale, favoriser leur équilibre de vie et leur bien-être, et d’être accompagnés dans les changement organisationnels et techniques liés au projet (de l’entreprise) ».

Puisque l’ambition affirmée de l’entreprise AMAL est de « Prévenir les RPS et promouvoir le bien-être au travail » en prenant « en compte la réalité de la vie de l’entreprise et celle des hommes et des femmes qui la composent », le prochain objectif est de parvenir à consolider cet ensemble et favoriser dans son appropriation durable, par-delà les personnes actuellement en responsabilité.

Dans ce but, la perspective envisagée actuellement est d’inclure les objectifs stratégiques et la gouvernance de ce vaste dispositif de prévention dans le futur accord QVT (qualité de vie au travail), actuellement en négociation entre la Direction Générale et les organisations syndicales de l’entreprise.

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