Le principal handicap, dans les années 1990, c’est qu’on m’appelait toujours au dernier moment. On me faisait venir quand il n’y avait presque plus rien à faire, que le salarié avait été planqué pendant des années dans un placard.

Josiane

C’est ce qui était arrivé à Josiane, une psychologue clinicienne travaillant dans une agence gouvernementale. Un jour, sa DRH m’appelle et me demande de venir en urgence parce que sa salariée « ne va pas bien ».

J’arrive à l’agence un matin, me présente et demande le bureau de Josiane. On m’indique le 4e étage. Je monte, et rentre dans un premier bureau pour demander où je peux trouver Josiane.

« Elle n’est pas au 4e, me dit-on. Je pense qu’elle est au 2e étage. »

Je descends donc au 2eétage. Je sors de l’ascenseur, et demande à nouveau son bureau.

« Écoutez, Josiane n’est plus au 2e étage. Elle y a été mais maintenant elle est au 4ème.

  • Mais j’en viens du 4e.
  • Ah bon ? C’est bizarre… Allez donc voir au 3e. Elle doit être dans le service de Mme Durand au 3e étage. »

Au 3e, même réponse :

« Josiane est au 4e.

  • Mais j’en viens du 4! »

Un peu excédé, je redescends au bureau de la DRH. Pour la énième fois, on me répond qu’elle est au 4e étage. Pour la énième fois aussi, je répète que j’en viens et qu’elle n’y est pas. On avait perdu Josiane !

Après de nouveaux échanges, je monte finalement au 6e, et là, on me répond enfin que Josiane est dans le bureau au fond du couloir.

 

Je frappe à la porte et lorsque je l’ouvre, une odeur pestilentielle s’échappe de la pièce et vient me piquer les narines. Je regarde autour de moi et je m’aperçois que le bureau de Josiane n’est pas un bureau : c’est une réserve à papier.

Josiane est là, assise dans sa réserve, à ne rien faire. Elle sent mauvais. Elle a du scotch sur ses lunettes cassées. Elle est édentée. Enfin bref, Josiane est une clocharde d’entreprise qu’on a planquée dans une réserve à papier.

Je me présente. J’entame la conversation avec elle et je lui demande ce qu’elle fait comme métier. « Moi, je fais des photocopies, me répond-elle. Les gens m’apportent des papiers à photocopier et je fais les photocopies pour eux. » Je lui demande de me montrer. Toute contente, elle m’amène à la photocopieuse pour me faire voir comment ça marche. Mais ça ne marche pas…

« Ah, mince, elle est en panne, dit Josiane toute déçue.

  • Ça fait longtemps qu’elle est en panne ?
  • Oui, mais je pensais qu’ils l’avaient réparée. »

 

Patrick

Voilà à quoi ressemblait la vie de Josiane au travail… Elle passait ses journées seule, assise dans sa réserve à papier, à attendre que le temps passe. Personne ne venait la voir. Ses collègues ne savaient plus comment l’aborder, ni comment s’y prendre avec elle.

Démunis, ils avaient fini par l’ignorer et faire l’autruche devant cette situation embarrassante.

Josiane était devenue une clocharde d’entreprise car personne n’avait su comment lui parler ni comment l’aider.

Compte tenu de l’importance de l’entreprise (750 salariés), je n’ai eu aucun mal à convaincre la DRH à mettre en place une politique de gestion sur les risques addictifs.

Le tabou, la peur des retours négatifs et des critiques acerbes ont très vite pris le pas sur le besoin de prévention. J’ai alors proposé à la DRH de présenter le projet en amont au comité de direction et à leur tout puissant CHSCT. Cette initiative a été très positive car l’ensemble des participants a admis l’existence d’un problème sérieux avec la consommation de produits psychoactifs sur les différents postes de travail.  

Pourtant, le déroulé d’un plan global de prévention sur les risques liés à la consommation de drogues et d’alcool en milieu professionnel leur a semblé trop lourd. Ils voulaient, dans un premier temps, apprendre à instaurer un dialogue entre les encadrants et les salariés en difficulté avec les produits (ou apprendre aux encadrants à communiquer avec les salariés en difficulté avec les produits). J’ai donc décidé de faire intervenir la ligue française d’improvisation avec qui je travaillais déjà depuis longtemps. Le challenge était de faire comprendre aux responsables de l’entreprise (direction, cadres, médico-social-drh) que leur approche n’était pas du tout la bonne.

Deux acteurs d’improvisation ont joué plusieurs scénettes de mises en situation demandées par les participants afin de mettre le doigt sur leurs erreurs. Ils ont immédiatement constaté leurs maladresses (mauvaises attitudes, représentations fausses et interprétations négatives, vocabulaire inadapté) Ensuite, les acteurs ont rejoué les scénettes avec toutes les corrections nécessaires. L’ensemble des participants à ce stage a très vite admis que leur pratique habituelle était mauvaise et même néfaste.

Cette formation aura permis à cette entreprise de savoir aborder un sujet tabou en toute confiance, de s’interroger sur les attitudes à adopter face à un salarié victime d’une addiction et de responsabiliser chacun sur son propre rôle

Pour plus de témoignages et d’informations, lire le livre de Patrick Buchard « Il suffit d’une rencontre« 

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