Malheureusement, il est parfois arrivé qu’on m’appelle trop tard.

Je me souviens d’un cas tragique. Après un pot de bouclage dans les locaux d’un grand quotidien, un journaliste avait pris sa moto et s’était tué sur la route en rentrant chez lui à 2 heures du matin. Huit jours plus tard, le journal en question m’appelle en urgence pour prendre un rendez-vous afin que je mette immediatement en place un plan de prévention. J’ai été obligé de refuser. Je leur ai expliqué que ce n’était pas le moment, que les gens étaient dans le deuil et qu’il fallait attendre.

Dans l’idéal, bien sûr, il aurait fallu prendre des mesures avant l’accident. Les pots de bouclage étaient quotidiens au sein du journal. Ils avaient même été signalés dans les procès-verbaux du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Les gens s’en plaignaient mais la consommation d’alcool ne diminuait pas.

Malgré les alertes, la direction n’a pas bougé et ce qui devait arriver arriva. Il y a eu un mort. Et là, ils se sont dit qu’il était peut-être temps de faire quelque chose. C’est suite à cet accident qu’ils m’ont appelé. Alors, certes, on peut toujours mettre en place un plan de prévention pour les salariés vivants, mais cela ne fera pas revenir les morts…

Quand on m’appelle trop tard, cela finit toujours mal, soit par un licenciement, soit par un décès. Alors il vaut mieux anticiper. Parce que plus on intervient tôt, mieux ça vaut. « Mieux vaut prévenir que guérir » comme on dit. Ou devrais-je même dire : « Mieux vaut prévenir que laisser mourir. »

Quelques mois après, les représentants du personnel ont demandé de me revoir et suite à notre entretien, ils ont exigés l’accord de la direction pour mettre en place, dans leur journal, une politique de prévention des risques liés à l’alcool et aux drogues illicites.

J’avais déjà remarqué, lors de mon premier rendez-vous, la très grande implication des délégués du personnel ainsi que la pertinence de leurs questions. Leur détermination avant et après l’accident a obligé la direction d’accepter de former dans un premier temps : le médecin du travail et quatre syndicalistes aux techniques préventives et à la relation d’approche de salariés en difficulté avec les produits alcool et drogues illicites.

J’ai alors proposé au journal qu’ils puissent rejoindre une formation inter-entreprises qui devait avoir lieu quelques semaines plus tard. Ils ont pu apprendre ainsi, pendant trois jours comment devenir relais interne pour mettre en place la future politique de prévention et également comment diriger les salariés dépendants vers des structures de soins adaptées et associations d’anciens malades. Un consultant expert en suivi de formation addiction a été engagé durant six mois au rythme d’une réunion de travail de deux heure par mois pour les aider à définir leur nouveau positionnement dans l’entreprise et programmer le projet prévention addictions sur le long terme. Les deux années suivantes l’ensemble des encadrants ont été formés ainsi que l’ensemble du personnel.

Les évaluations de l’ensemble des stages ont laissé apparaître une satisfaction générale et un changement très rapide des habitudes collectives et individuelles d’alcoolisation dans les services. De plus et grâce aux relais mis en place, cinq malades dépendants ont été pris en charge par des services spécialisés.

L’adhésion de l’ensemble du personnel pour cette politique de réduction des risques liés à ces consommations excessives a été soulignée lors des vœux annuels prononcés par le président directeur général de ce journal.

Pour en savoir plus, consulter le livre de Patrick Buchard « Il suffit d’une rencontre »

 

 

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