“Addiction” hors-série sur la réglementation du marketing de l’alcool : un article de mise au point sur le marketing de l’alcool dans les supports numériques

Le mois dernier est paru un numéro hors-série de Addiction intitulé « La réglementation du marketing de l’alcool : de la recherche aux politiques de santé publique ». Parmi les différents articles de ce numéro spécial figure un article dit de « revue narrative » sur la présence plus ou moins ostensible du marketing autour de l’alcool dans les contenus numériques.

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budweiser las vegas Le mois dernier est paru un numéro hors-série de Addiction intitulé « La réglementation du marketing de l’alcool : de la recherche aux politiques de santé publique ». C’est un sujet particulièrement crucial, car on sait que, pour les substances psychoactives autorisées, les mesures réglementant les ventes sont souvent celles qui ont le plus d’impact sur les niveaux globaux d’usage.

Parmi les différents articles de ce numéro spécial figure un article dit de « revue narrative » sur la présence plus ou moins ostensible du marketing autour de l’alcool dans les contenus numériques. Une revue de littérature est dite « narrative » lorsqu’elle ne se base pas sur une sélection méthodique rigoureuse des articles analysés, comme c’est le cas pour les revues systématisées. Bien que cela soit considéré comme moins « fiable » sur le plan scientifique, le fait de réaliser une revue narrative pour cette question était ici quasiment inévitable, car le sujet est récent et très rapidement évolutif, et ne se prêtait donc pas vraiment aux exigences d’une revue systématisée de littérature.

Les supports numériques offrent des possibilités nouvelles pour les publicitaires. En particulier, ils permettent un aspect participatif beaucoup plus marqué que les médias classiques, en particulier la possibilité de « liker » ou partager les contenus ou de laisser des commentaires, ou bien d’appartenir à des groupes ou des communautés. Il était important d’analyser comment les industriels de l’alcool ont pu saisir de telles innovations pour promouvoir leurs propres intérêts. En guise d’illustration, les auteurs mentionnent par exemple que la seule page Facebook Heineken a été likée par plus de 20 millions de personnes, et que les « likes » des principales marques de bière explosent à l’approche des fêtes de fin d’année. Les comptes Tweeter de certaines marques de bière ou de cocktails sont suivis par plus de 500 000 abonnés, tandis que la chaine Youtube de la marque Budweiser compte, toutes vidéos cumulées, plus de 160 millions de vues. Ces chiffres montrent que se limiter à une analyse du marketing de l’alcool à la télévision et dans les médias traditionnels est aujourd’hui complétement dépassé.

Le partage de supports image ou vidéos est un moyen ingénieux de faire propager gratuitement de la publicité pour l’alcool, directement par les consommateurs eux-mêmes. Les industriels de l’alcool ont parfaitement compris cela, et ont ainsi autorisé le partage et même la création de contenus autour de leur produit sans accord préalable de leur part. Ces supports de promotion, créés par les usagers eux-mêmes, participent à la création d’une identité de groupe autour de la marque, et sortent du cadre traditionnel de la publicité, puisque la marque elle-même n’en est officiellement pas à l’origine. L’objectif est ainsi de faciliter la promotion d’un « buzz » permanent et positif autour du produit sur les différents médias électroniques. C’est ce que certains auteurs ont appelé les « espaces numériques intoxigènes » (intoxigenic digitial spaces).

Dans le cadre de leur revue narrative, les auteurs se sont limités à 3 questions :

1) Y a-t-il aujourd’hui des preuves tangibles que le marketing de l’alcool influence l’usage d’alcool par le biais des nouveaux supports électroniques ?

2) Quelles méthodes promotionnelles de marketing sont utilisées, et à quel niveau ?

3) Y a-t-il parfois, à travers ces nouveaux médias, violation de la réglementation sur le marketing, notamment en ce qui concerne la publicité envers les enfants et les adolescents ?  

Bien qu’il s’agisse d’une revue narrative, les auteurs ont suivi dans la mesure du possible les recommandations PRISMA des revues systématisées et méta-analyses. Les réponses trouvées pour les trois questions sont les suivantes :

 

1) Y a-t-il aujourd’hui des preuves tangibles que le marketing de l’alcool influence l’usage d’alcool par le biais des nouveaux supports électroniques ?

Les auteurs ont trouvé cinq études évaluant ce point. Trois de ces études étaient limitées au moins de 21 ans, et les deux autres étaient limitées aux moins de 17 ans. Toutes ces études ont retrouvé que le niveau d’exposition au marketing sur Internet était significativement associé au niveau d’usage d’alcool et à sa fréquence, ainsi qu’aux comportements à risque en lien avec l’usage d’alcool, mais pas à l’âge d’expérimentation de l’alcool. Par ailleurs, ces études n’étaient ni longitudinales ni contrôlées, rendant donc impossible le fait de conclure à un lien de cause à effet entre exposition au marketing et usage d’alcool.

Enfin une 5e étude réalisée aux USA montrait que l’exposition au marketing Internet de l’alcool augmentait la consommation d’alcool uniquement dans les états où il existait des restrictions réglementaires dans les supports médias traditionnels. Ce constat suggère que le marketing Internet contourne la législation en vigueur sur les médias classiques, et en annule les effets.

 

2) Quelles méthodes promotionnelles de marketing sont utilisées et à quel niveau ?

26 publications ont été retrouvées sur le sujet. Les principales méthodes de marketing identifiées sont les suivantes :

– interview avec des célébrités

– téléchargement gratuit de musiques, images, ou applications numériques

– annonces de manifestations à caractère festif, ludique, musical ou sportif

– téléchargement d’invitation gratuites ou bien concours pour gagner des billets d’entrée dans des manifestations à caractère festif, ludique, musical ou sportif

– promotions sur l’achat de produits dérivés de la marque (vêtements, accessoires,…)

– promotions directes sur l’achat de boissons alcoolisées

– compétitions autour de la fabrication de vidéos de publicité par les internautes eux-mêmes, ou bien de recettes (de cocktails par exemple), ou de jeux ou d’applications

– approbation tacite par les marques de sites ou pages réalisés par des groupes non-officiellement rattachés à une marque mais en faisant la promotion.

– liens avec des sites ou pages de bars ou points de vente d’alcool.

Les marques d’alcooliers semblent favoriser les stratégies de marketing basées sur l’interactivité, que ce soit dans un sens « industriel-consommateur » ou « consommateur-consommateur ». Comme le note l’un des auteurs des papiers recensés, « de telles interactions font de la marque un élément à part entière des conversations quotidiennes sur Facebook, et lui permettent d’être incluse dans le flow permanent d’échanges de messages et de contenus électroniques ». (Carah N.: http://alcoholireland.ie/download/reports/alcohol_marketing/Facebook-and-alcohol-advertising-report.pdf).

 

 

3) Y a-t-il parfois, à travers ces nouveaux médias, violation de la réglementation sur le marketing, notamment en ce qui concerne la publicité envers les enfants et les adolescents ? 

 Les industriels affirment que leur marketing ne cible que les adultes. Neuf études ont recherché si le marketing sur Internet pouvait affecter plus ou moins directement les enfants et les adolescents. Les résultats varient grandement en fonction des pays. Dans certains pays, comme le Brésil, il existe des éléments évidents suggérant que du marketing a été réalisé pour cibler les mineurs. Dans beaucoup d’autres pays, il s’agit davantage de problème d’impossibilité de contrôle d’accès à certains contenus normalement interdits aux mineurs.

Les auteurs rappellent en conclusion que les jeunes générations sont les plus présentes et les plus actives sur les supports électroniques et les nouveaux médias sociaux. Par ce seul facteur, elles sont probablement mécaniquement exposés au marketing parfois subtil autour des boissons alcoolisées.

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