Le terme de cirrhose alcoolique renvoie à la première acceptation du terme d’alcoolisme, celle de Magnus Huss, pour qui l’alcoolisme désignait l’ensemble des atteintes tissulaires liées à l’alcool. Ce sont les aliénistes français du XIXe siècle qui se sont emparé du terme en développant le concept d’un « alcoolisme psychiatrique », avec d’un côté un « alcoolisme psychiatrique aigu », qui correspondait au syndrome de sevrage, celui d’un « alcoolisme psychiatrique chronique » qui correspondait aux atteintes comportementales liées à l’alcool en particulier les atteintes aujourd’hui appelées cognitives. Ce n’est que plus tard que la notion d’alcoolisme prendra sa connotation addictologique.
La cirrhose serait ainsi une maladie alcoolique, la fameuse « maladie alcoolique du foie ». A y regarder de plus près, pas si sûr. D’abord, il existe un grand nombre de sujets qui consomment de très fortes quantités d’alcool au point de devenir dépendant, et pourtant ne développent jamais de cirrhose. Ensuite et surtout, il existe les fameuses NASH (Non Alcoolic Steato Hepatitis) qui miment la cirrhose alcoolique mais sans alcool. Lorsque l’on interroge nos collègues hépatologues, ils nous apprennent que les NASH seraient liées à une alimentation trop grasse. Il semble surtout aujourd’hui que la frontière entre maladie alcoolique du foie et NASH ressemble plus à un continuum qu’à une démarcation nette. On retrouve souvent une part d’alcool dans les NASH, et inversement l’alimentation semble participer à l’apparition d’une cirrhose, même chez le sujet avec alcoolodépendance.
Dans cet éditorial ‘position paper’ de Alcohol & Alcoholism, après une première partie assez technique sur les modèles animaux de cirrhose, les auteurs, des toxicologues de Louisville, Kentucky, USA, exposent leurs travaux, avec une hypothèse particulièrement intéressante sur les mécanismes à l’œuvre dans la cirrhose. Ils expliquent que leurs découvertes récentes montrent que les acides gras saturés (censés être les « mauvais » acides gras issus de la viande rouge notamment) auraient un effet protecteur, alors que les acides gras polyinsaturés des poissons et des céréales (oui… oui… les fameux « bons » acides gras) auraient des effets néfastes sur le foie. Ces derniers provoqueraient de la stéatose, de l’inflammation intra-hépatique, et de la cytolyse des cellules du foie. Mais, plus intéressant encore, il semble que ce processus s’accompagne de phénomène d’inflammation digestive avec augmentation de la perméabilité intestinale et altérations majeures de la flore intestinale, en particulier une réduction des Bacteroidetes, et une augmentation des Proteobacteria and Actinobacteria. Des anomalies du même type se voient aussi au niveau des métabolites fécaux. Les auteurs estiment que la stéatose et la cirrhose sont une conséquence d’un déséquilibre microbien du tube digestif, provoqué conjointement par l’alcool et par une diète trop riche en acides gras insaturés.
Cette hypothèse devra bien sûr être confirmée par d’autres travaux et d’autres équipes, en particulier chez l’homme, et sûrement à l’aide de méthodes scientifiques diverses (mécanistiques, épidémiologiques, etc…). En tout les cas, elle apporte du grain à moudre aux hypothèses immuno-microbiotiques qui, sans mauvais jeu de mot, sont en ce moment particulièrement…florissantes.