Alcool : le grand absent du grenelle contre les violences faites aux femmes , la lettre des associations de patients

Alcool

Madame la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes,

Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé,

Madame la Secrétaire d’Etat,

Nous nous adressons solennellement à vous au nom du collectif des Proches de Malades Alcooliques (CoPMA), qui regroupe des associations de proches de personnes dépendantes à l’alcool. Cette démarche est soutenue par la CAMERUP (qui regroupe les principales associations d’entraide) et France Patients Experts Addictions.

En effet, il nous apparaît que, dans le cadre du Grenelle contre les violences conjugales, un facteur majeur de ces violences n’est pas pris en compte, alors qu’il constitue l’un des principaux facteurs sur lesquels il est possible d’agir pour prévenir. Et il nous semble que cet oubli s’inscrit plus largement dans le tabou et la méconnaissance de la souffrance subie au quotidien auprès d’un malade alcoolique, malgré sa fréquence et souvent sa gravité, dont nous pouvons témoigner.

L’alcool est un déterminant majeur des violences conjugales

Il nous parait donc impensable que, dans le cadre de ce Grenelle, les violences conjugales et familiales sur fond d’alcool ou de toxicomanie soient passées sous silence.

On sait en effet, grâce à l’analyse des morts violentes au sein du couple survenues en 2018 et plus particulièrement des 121 féminicides, publiée par la délégation d’aide aux victimes, que dans 55 % des cas au moins l’un des deux, auteur ou victime, est sous l’emprise d’une substance (alcool, stupéfiants, etc.). Cette situation est très largement connue des personnels de police et de justice, comme des associations de protection des victimes.

Ces situations ont été étudiées par Laurent Bègue, professeur de psychologie sociale à l’université Grenoble Alpes et auteur de ‘’L’alcool favorise-t-il les conduites d’agression physique et verbale entre partenaires intimes ?’’ (Revue Champ Pénal, 2017) analysant les statistiques policières et judiciaires, les enquêtes de délinquance auto-reportée et de victimisation, les études économétriques et les protocoles expérimentaux. Pour Laurent Bègue, cela conduit à des conclusions qui sont convergentes : « Il est possible de formuler à l’issue de la présente synthèse de la littérature est que l’alcool a très probablement un effet causal sur une grande diversité de violences, incluant les violences entre partenaires intimes. Ceci constitue une indication à favoriser une prise en charge addictologique des auteurs de violence envers un partenaire intime lorsqu’un abus ou une dépendance sont établis».  

Une stratégie de prise en charge pourrait éviter des drames

Les féminicides ne sont que l’issue irréparable d’un parcours de violences et d’humiliations quotidiennes et anciennes dans l’intimité du couple et de la famille. Si, dans certains cas, la violence et le désir de séparation sont tels qu’il faille accompagner une séparation et mettre en place immédiatement des mesures de protection, dans d’autres cas, tous les liens ne sont pas rompus : une stratégie d’accompagnement et de soins pourrait alors permettre d’éviter des récidives de violence et sauvegarder un couple.

Il faut en effet prendre en compte la complexité des liens d’attachement dans un couple : il existe souvent une longue période pendant laquelle la victime espère qu’il sera possible de soigner et de sauver un partenaire auquel elle reste liée. Cette ambivalence entraine, en général, l’incompréhension de l’entourage et des divers intervenants. Il nous apparait donc nécessaire que soient discutées, lors du Grenelle contre les violences conjugales, les modalités d’interventions possibles pour agir sur ces situations extrêmement fréquentes et susceptibles de prévenir les récidives :

  • Evaluation des particularités de la relation du couple par des personnes compétentes,
  • Propositions éventuelles d’un accompagnement du couple, d’une médiation, voire d’une thérapie familiale,
  • Propositions d’une prise en charge effective de la consommation d’alcool ou de substances
  • Obligation de soins si nécessaire.

Il ne s’agit évidemment pas de limiter le débat et les mesures à prendre à ces éléments. Mais, en revanche, leur absence rendrait le débat incomplet et priverait de mesures efficaces.

La souffrance des proches et des aidants n’est pas prise en compte

C’est pour rompre le silence, autour de ce problème grave que nous avons créé notre collectif, le CoPMA pour sortir de la honte et de la culpabilité.  Car, en dehors de situations exceptionnelles voire mortelles, ce que nous vivons est totalement méconnu par les professionnels de santé, de la justice, de l’éducation, des travailleurs sociaux qui ignorent ce que nous vivons au quotidien.

La maladie alcoolique est aussi une maladie familiale grave, qui détruit les familles et qui constitue non seulement un problème de Santé publique, mais un problème social souvent ignoré. En effet, pour un malade de l’alcool, 4 à 5 proches sont affectés et souffrent, soit 8 à 10 millions de personnes.

CoPMA  demande  à l’Etat de remédier à l’abandon de cette partie de la population française, aujourd’hui non considérée. Les conséquences sociétales pour les proches parents de malades alcooliques sont aussi terribles que violences verbales et physiques, harcèlement, dépressions, hospitalisations, arrêts de travail, pertes d’emploi, du logement, chômage, surendettement, problèmes avec la justice, maltraitance des enfants, échec scolaire, déscolarisation, délinquance, divorce, familles monoparentales, précarité, à l’extrême suicide ou meurtre.

Nous sommes souvent exclus du système de soins, par méconnaissance du problème par les professionnels ou par précarité financière, et il n’existe aucun lieu d’accueil spécifique pour recevoir cette souffrance particulière, à moins de mois d’attente.

Cette population non identifiée est en danger.

Au même titre que pour la campagne contre le tabagisme, nous vous demandons  d’examiner en urgence nos propositions ci-jointes. Nous sommes à votre disposition pour évoquer avec vous ce problème.

Nous vous prions de recevoir, Madame la Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes, Madame la Ministre des Solidarités et de la Santé, nos salutations respectueuses.

Pour le CoPMA Betty Morrisset copma.pdl@gmail.com

Pour FPEA Françoise Gaudel presidence@fpea.fr

Pour la CAMERUP Felix Le Moan felix.lemoan@bbox.fr

Pour les Amis de la Santé Jean-Claude Tomczak jctomczak@fibragglo.f

 Les demandes du CoPMA

 Pour mieux protéger les ‘’proches-victimes’’ :

  • Publier les taux d’alcoolémies ou autres substances toxiques chez tous les meurtriers de femmes de l’année 2019 et leur parcours par rapport à l’usage de ces substances,
  • Créer un numéro vert et un site internet comme lien d’accueil et d’écoute de la parole des proches (en dehors des situations d’extrême urgence) pour une orientation vers des organismes d’aide,
  • Créer et numériser un annuaire national des structures ressources pour tous les professionnels : santé, justice, droit, éducation,
  • Permettre une prise en charge rapide des proches en situation d’urgence au sein de structures adaptées,
  • Construire des plans de soins aux malades alcooliques adaptés en fonction de la gravité des violences, de la dépendance et du fonctionnement du couple,
  • Prévoir la possibilité d’obligations de soins.

Pour mieux prendre en compte la situation des proches et des aidants :

  • Evaluer les coûts collatéraux des conséquences de l’alcoolisme sur notre société (arrêts de travail, surendettement, échecs scolaires, etc..),
  • Réaliser une campagne nationale de sensibilisation et d’information des répercussions de la maladie alcoolique sur l’entourage du malade au même titre que la campagne antitabac,

Reconnaitre et mettre en place un plan de soutien aux proches aidants de malades alcooliques,

  • Cartographier les structures ressources existantes sur le territoire national,
  • Organiser une ‘’sensibilisation à l’écoute des proches’’ pour tous les professionnels concernés,
  • Organiser une table ronde des associations existantes en lien avec les conséquences de l’alcool : Alcool-Assistance, Les Amis de la Santé, Alcooliques-Anonymes, Vie libre, Al-Anon, SOS femmes battues, SOS inceste, SOS Amitiés …
  • Créer et organiser des lieux d’écoute et de partage en accès gratuit sur l’ensemble du territoire national,
  • Associer nos témoignages aux actions de prévention vers la jeunesse dans les établissements scolaires,
  • Créer des centres d’accueil pour malades alcooliques déments (Korsakoff), afin de soutenir les familles temporairement ou définitivement si nécessaire.

 

Lettre en version pdf 

Avec le soutien de :