ALCOOL / Le professeur Reynaud prône une approche nuancée sur le Baclofène

Estimant que le risque associé aux fortes doses de baclofène n'est pas à prendre à la légère, le professeur Reynaud prône une meilleure coordination entre médecins généralistes et spécialistes.

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Alors que plusieurs acteurs se sont bruyamment manifestés contre la décision de l’agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) de limiter à 80 g/jour la posologie maximale de prescription du baclofène dans l’indication du traitement de la dépendance à l’alcool, le Pr Michel Reynaud, principal investigateur de l’étude Alpadir défend une position plus nuancée. Estimant que le risque associé aux fortes doses de baclofène n’est pas à prendre à la légère, il prône une meilleure coordination entre médecins généralistes et spécialistes.

L’ANSM a-t-elle eu raison de limiter la posologie maximale de baclofène à 80 mg/jour dans le cadre de sa RTU ?

En première intention, je pense que les médecins généralistes peuvent prescrire jusqu’à 80 mg pour avoir un rapport bénéfice risque acceptable. Je souhaiterais aussi qu’il soit possible de poursuivre entre 80 et 180 mg, mais en collaboration avec un spécialiste en addictologie. En revanche, au-delà de 180 mg, on fait courir des risques important pour un bénéfice trop aléatoire.

Il serait irresponsable de négliger le risque démontré dans le rapport de l’ANSM. On observe un risque de mortalité augmenté de 50 % entre 75 et 180 mg/j, et de 127 % au-delà de 180 mg, ainsi qu’une une hausse des risques de troubles mentaux. On sait déjà que les hautes doses de baclofène augmentent le risque de troubles maniaques et dépressifs. Il faut en tenir compte.

Par ailleurs, et contrairement à ce qui a pu être dit, l’état de santé de la population sous baclofène dans l’étude de l’ANSM n’est pas plus grave que celui des populations prenant un traitement ayant une AMM dans le traitement de l’alcoolodépendance. Au contraire même !

La proportion des patients sous baclofène ayant des antécédents d’hospitalisation mentionnant des pathologies liées à l’alcool est moins importante que chez les patients bénéficiant d’un autre traitement (9 % contre 26 %). Les patients sous baclofène sont aussi 2 fois moins nombreux à prendre des antianxiolitiques, et ont moins souvent des antécédents de prise d’antidépresseurs ou d’hypnotiques.

Plusieurs médecins prescrivant hors AMM estiment que la majorité de leurs patients prennent des doses supérieures à 80 mg/jour…

Il suffit pourtant de regarder les données pour voir que ce n’est pas le cas. Les médecins généralistes n’ont pas suivi les fortes incitations à augmenter les doses. Dans le rapport établi à partir des données de l’assurance maladie, on voit que 91 % des patients reçoivent moins de 75 mg par jour, et que seuls 1 % des patients reçoivent plus de 180 mg.

Que faire des patients qui ne répondent pas au traitement, même à 80 mg par jour ?

Je crois qu’il faut commencer par être honnête avec les patients, et leur dire qu’il ne s’agit pas d’une pilule miracle. Une prescription de baclofène ne doit avoir lieu qu’après avoir réussi à diminuer la consommation d’alcool, dans l’espoir de préserver cette réduction et de limiter les effets liés à l’association d’alcool et de baclofène.

Si le traitement est un échec à une dose de 80 mg par jour, et c’est le cas de la moitié des patients, on doit pouvoir envisager sereinement une autre stratégie, ou se rapprocher des spécialistes en addictologie avant d’augmenter encore plus les doses.

Les polémiques entretenus par certains ont créé un climat de discrédit des spécialistes en addictologie et des associations d’anciens buveurs chez les généralistes qui me paraît particulièrement dommageable.

Dans la première version de la RTU, il était déjà nécessaire de se rapprocher d’un spécialiste exerçant en CSAPA. Cela avait été assez mal perçu.

Oui, mais il ne s’agissait à l’époque d’imposer un blanc-seing et non pas d’établir une collaboration entre médecins généralistes et spécialistes. Les médecins généralistes doivent pouvoir se faire aider, voire savoir quand laisser la main face à un patient dont ils ne parviennent pas à réduire la consommation.

Il faut rebondir sur ces données scientifiques pour rétablir la confiance et relancer la collaboration entre généralistes et spécialistes.