ALCOOL / Les partisans du baclofène perdent une première manche

Revers pour le baclofène, utilisé par des milliers d'alcooliques pour se soigner: un comité d'experts missionné par l'Agence du médicament juge son efficacité insuffisante, une conclusion vivement contestée par ses partisans.

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par Brigitte CASTELNAU / Paul RICARD

Revers pour le baclofène, utilisé par des milliers d’alcooliques pour se soigner: un comité d’experts missionné par l’Agence du médicament juge son efficacité insuffisante, une conclusion vivement contestée par ses partisans.

« L’efficacité du baclofène dans la réduction de la consommation d’alcool (…) a été jugée cliniquement insuffisante », estime ce comité, dont l’avis a été rendu public mardi soir par l’Agence du médicament ANSM.

« Ceci, ajouté à un risque potentiellement accru de développer des événements indésirables graves (y compris des décès) en particulier à des doses élevées, conduit à considérer que le rapport bénéfice/risque (du baclofène) est négatif », poursuivent les experts.

Le baclofène est prescrit depuis les années 1970 comme relaxant musculaire.

En France, il est autorisé depuis 2014 pour traiter la dépendance à l’alcool, grâce à une recommandation temporaire d’utilisation (RTU).

Il y a un an, un laboratoire, Ethypharm, a fait une demande d’autorisation de mise sur le marché (AMM) afin de le commercialiser spécifiquement dans le traitement de l’alcoolisme.

L’avis du comité d’experts est la première étape de cette demande d’AMM. La prochaine sera la réunion, les 3 et 4 juillet, d’une commission temporaire qui auditionnera les sociétés savantes et les associations de patients concernées.

L’ANSM souligne donc prudemment que l’avis des experts ne préjuge pas de la décision finale.

L’Agence « attend d’avoir l’ensemble des avis – sociétés savantes, associations de patients et experts de la commission – avant de se prononcer et de prendre sa décision d’AMM », a-t-elle indiqué mercredi à l’AFP. Selon elle, cette décision interviendra « avant la fin de l’année ».

En février, son directeur général, Dominique Martin, avait affirmé qu’elle statuerait « au plus tard à la rentrée » de septembre.

– Bataille en justice –

Pour autant, l’avis des experts mécontente les associations de patients.

« Il aboutit inexplicablement à des conclusions diamétralement opposées » à celles de précédents comités d’experts, qui avaient « constaté l’efficacité et la sécurité du baclofène » pour accorder l’autorisation temporaire de l’utiliser (RTU), estime le collectif Baclohelp.

Les partisans du baclofène dénoncent la composition du comité d’experts mandaté par l’ANSM, formé de cinq membres dont aucun n’est addictologue ni psychiatre.

« Ça me dérange beaucoup que des gens qui n’ont jamais vu un patient puissent donner un avis », déclare à l’AFP le professeur Philippe Jaury, un des défenseurs de ce médicament.

« Ça fait 40 ans que je m’occupe d’alcool, j’ai fait 200.000 consultations. Je n’avais jamais vu autant de bons résultats qu’avec ce médicament, et je les ai tous essayés », ajoute-t-il.

Parallèlement à la demande d’AMM, le baclofène est au centre d’une bataille en justice.

Une patiente, qui est aussi l’épouse du fondateur de Baclohelp, a saisi le Conseil d’Etat. Elle s’oppose à la décision prise en juillet 2017 par l’ANSM d’abaisser la dose maximale de baclofène autorisée dans le traitement de l’alcoolisme, à 80 mg par jour contre 300 auparavant.

Fin février, le Conseil d’Etat a rejeté sa demande d’annulation en urgence de cette décision, en attendant de se prononcer sur le fond. L’audience sur le fond doit avoir lieu prochainement.

Pour abaisser la dose maximale de baclofène, l’ANSM s’est appuyée sur une étude de l’Assurance maladie. Cette dernière conclut que le baclofène à fortes doses (plus de 180 mg par jour) fait plus que doubler le risque de décès par rapport aux autres médicaments contre l’alcoolisme et accroît de 50% le risque d’hospitalisation.

Mais la décision de l’ANSM a été critiquée par plusieurs spécialistes, qui dénoncent un manque de concertation, un risque de rechute pour les alcooliques traités par baclofène et contestent la validité même de l’étude.

Quoi qu’il en soit, « on ne va pas supprimer le baclofène », fait valoir l’addictologue Michel Reynaud. « Il y a environ 100.000 patients qui l’utilisent et il a déjà une AMM pour d’autres indications » que l’alcoolisme, dit-il.

Selon lui, tout l’enjeu « est de le réguler pour optimiser son utilisation et diminuer les risques ».

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