Alcoolisme féminin : un fléau sans modération

Les femmes boivent trop et de plus en plus mais les pouvoirs publics ne semblent pas s’en alarmer. Les conséquences sont pourtant encore plus graves pour elles que pour les hommes.

Alcool

«Nous, on savait, et on voyait.» Il y a vingt ans, le professeur Michel Reynaud a été un des précurseurs français de cette nouvelle discipline qu’était alors l’addictologie. Et pour lui, l’un des faits marquants de ces dernières années est l’alcoolisme au féminin. «Entre un quart et un tiers de nos patients sont des femmes. Et le plus impressionnant est la banalisation : avant, lorsque des femmes buvaient, c’était honteux, et elles le faisaient de manière cachée. Ce n’est plus le cas. Il y a une normalisation sociale. Les femmes ont le droit de se saouler, de prendre une cuite. Cela ne choque plus personne.» Après le tabac, c’est donc l’alcool. Dans les années 70-80, les femmes se sont mises à fumer autant que les hommes, et désormais à boire. Et ce, alors que l’on assiste globalement depuis les années 60 à une baisse constante de la consommation. Combien sont-elles à trop boire en France ? «Il n’existe aucune donnée fiable. Cela varie entre 500 000 et 1,5 million, dit le professeur Reynaud, remonté contre l’indigence des pouvoirs publics en la matière. Les nouvelles autorités sanitaires n’arrêtent pas de dire qu’il faut renverser l’ordre des priorités et mettre l’accent sur la prévention. Là, rien. Pas même des discours. Quand on entend des membres du gouvernement comme Christophe Castaner dire que le vin, ce n’est pas de l’alcool…»

Un alcoolisme spécifique

Premier constat, l’alcoolisme au féminin est particulier, différent de celui au masculin. Il touche plus particulièrement les classes aisées, alors que c’est l’inverse pour l’alcoolisme au masculin. Sur le plan de l’âge également, la consommation d’alcool n’est pas la même : chez les hommes, elle est la plus forte vers 18 ans, chez les femmes, autour de 27 ans. Ces dernières associent plus souvent que les hommes consommation d’alcool et médicaments. Et lorsqu’apparaissent des symptômes physiques (comme les tremblements) liés à une consommation excessive d’alcool, les femmes vont se rendre plus rapidement chez le médecin… sans pour autant évoquer leur problème d’alcool. Les médecins prescrivent alors assez facilement des psychotropes, sans se demander si ces problèmes sont ou non liés à une addiction. Enfin, au niveau de la fréquence de consommation, les femmes qui consomment trop d’alcool le font d’ordinaire plus régulièrement que les hommes.

Deuxième constat : les femmes boivent de plus en plus. Cette tendance se retrouve un peu partout dans les pays développés. Ainsi, en 2016, des chercheurs ont rassemblé les données de 68 études publiées dans 36 pays, comptabilisant en tout 4 millions d’hommes et de femmes. Ces études comprenaient des données recueillies entre 1948 et 2014 et incluaient les populations nées entre 1891 et 2000. Elles montrent que les hommes nés entre 1891 et 1910 étaient un peu plus de deux fois (2,2 fois) plus susceptibles que leurs pairs de sexe féminin de boire de l’alcool. Puis, au début des années 90, la parité est pratiquement atteinte : les hommes nés entre 1991 et 2000 étaient alors seulement 1,1 fois plus susceptibles que les femmes de boire de l’alcool.

Les tendances sont les mêmes en ce qui concerne une consommation problématique d’alcool, où l’écart entre les sexes est passé de 3 pour la génération 1891-1910 à 1,2 pour les personnes nées entre 1991 et 2000.