Comment définir la rémission dans le trouble d’usage d’alcool

Un article de George Koob (NIAAA) dans l’American Journal of Psychiatry

Alcool

Le concept anglais de Recovery recouvre plusieurs aspects. Il peut signifier « rémission ». Mais au-delà de ce concept très médical, il peut aussi englober le terme de « rétablissement », avec la notion de réactivation d’une vie sociale, familiale et professionnelle du patient, et des projets de vie que le trouble d’usage d’alcool a interrompus.

Mais à l’heure actuelle, tous ces termes n’ont pas vraiment de définition consensuelle. Les principaux protagonistes concernés (patients bien sûr, mais aussi professionnels de santé et décideurs politiques ou chercheurs) n’ont pas la même approche et leurs opinions diffèrent d’ailleurs au sein même de ces catégories. Pour certains, le Recovery est très en lien avec le fait d’avoir atteint une abstinence durable d’alcool, et ne pourrait se concevoir autrement. Pour d’autres au contraire, il s’agit d’une définition trop stricte ou même peu opérationnelle, dans la mesure où des personnes ayant arrêté tout usage pourraient présenter un certain nombre de symptômes en lien avec le trouble addictif (craving, conséquences médicales et sociales…) ou bien avec des comorbidités ou un contexte plus global (dépression, insomnies, mauvaise qualité de vie …). Certains ont proposé alors d’utiliser les critères DSM-5, et de dire que finalement, peu importe les consommations résiduelles du moment que les critères DSM-5 ont disparu. C’est logique d’un point de vue nosographique mais cela occulte certainement bien des dimensions importantes du Recovery, à commencer par les patients eux-mêmes.

Pour essayer de sortir de ces difficultés, les chercheurs du National Institute on Alcoholism & Alcohol Abuse (NIAAA), dirigé par le Pr George Koob, ont élaboré une méthodologie de travail sur la base d’une recherche de littérature scientifique, suivie d’une synthèse discutée avec des experts et décideurs du champ, qui ont proposé deux définitions différentes pour la rémission, et une définition pour le recovery (voir tableau ci-joint). Pour la rémission, les deux définitions cliniques sont : 1) rémission des critères DSM-5 de trouble d’usage d’alcool ; 2) arrêt de l’usage problématique d’alcool. Ces définitions doivent s’associer à un temps (un peu comme pour les autres maladies chroniques comme les cancers). La notion de recovery reste plus vaste, et inclut également la restauration de besoins de bases en termes de fonctionnement social et spirituel, d’amélioration de santé physique et mentale, et de qualité de vie et d’autres dimensions du bien-être. On voit que le NIAAA reste beaucoup plus flou sur la notion de recovery, par rapport à celle de rémission.

FIGURE. Définitions de recherche du NIAAA pour la rémission du trouble d’usage d’alcool, et éléments propose pour différencier la rémission du recovery (source : https://ajp.psychiatryonline.org/doi/10.1176/appi.ajp.21090963)

 

Ces critères de rémission seront parlants pour beaucoup de cliniciens. En faisant ce choix, le NIAAA a transgressé un tabou, en reconnaissant qu’un individu peut être « en rémission » de son addiction à l’alcool, bien que maintenant à un certain degré sa consommation. C’est une évolution majeure car, même si on n’est plus du tout dans une situation où les auteurs qui soutenaient cette idée se faisaient lyncher dans la littérature scientifique (voir pour cela l’article historique de Marc et Linda Sobell dans Addiction), il reste encore aujourd’hui des chercheurs et des cliniciens qui contestent que certains patients peuvent avoir des trajectoires complexes, et avoir un parcours de nette amélioration clinique et fonctionnelle alors même qu’ils maintiennent des consommations plus ou moins sporadiques d’alcool, et que d’autres au contraire qui ne boivent plus du tout restent en profonde détresse sociale et psychologique.

Par Benjamin ROLLAND