Elles ne seront pas un remède miracle, mais les substances psychédéliques ou apparentées ont retrouvé les faveurs des chercheurs en psychiatrie. Quelques essais sont menés en France, de façon strictement encadrée. Explications avec la psychiatre et chercheuse Lucie Berkovitch.
Les substances psychédéliques (LSD, mescaline, psilocybine…) sont classées comme stupéfiantes et produisent des hallucinations. Depuis quand leur prête-t-on un usage médical ?
Il y a eu de nombreuses études sur ces substances dans le champ psychiatrique, avant la prohibition des années 1970, avec des résultats assez disparates. C’est redevenu un champ de recherche très actif depuis une dizaine d’années, notamment aux États-Unis, en Grande-Bretagne et en Suisse, avec de plus en plus de publications scientifiques.
Dans quelles indications ces substances sont-elles testées dans le monde ?
Les indications testées jusqu’à présent sont la dépression résistante, l’anxiété liée à la fin de vie, les addictions au tabac et à l’alcool. On a quelques données, plus récentes, sur ce qu’on appelle le trouble anxieux généralisé. Il y a également des résultats plutôt prometteurs dans le trouble obsessionnel compulsif. Au-delà des psychédéliques au sens strict, la kétamine est commercialisée depuis plusieurs années pour traiter la dépression résistante, et la MDMA (ecstasy) est en bonne voie pour l’obtention d’une autorisation par l’Agence américaine du médicament dans le traitement du stress post-traumatique.
Comment les psychédéliques fonctionnent-ils ?
Ils se fixent sur des récepteurs de la sérotonine, appelés 5TH2A. Ils se font en quelque sorte passer pour de la sérotonine (un neurotransmetteur qui joue entre autres sur la régulation de l’humeur). Ce mécanisme est différent de celui des antidépresseurs, qui, eux, empêchent la dégradation de la sérotonine naturellement fabriquée par le cerveau. C’est pourquoi le délai d’efficacité des antidépresseurs est de plusieurs semaines. Avec les psychédéliques, cette action directe sur les récepteurs peut donner des effets immédiats !
En quoi cela peut-il améliorer les résultats d’une psychothérapie ?
L’hypothèse dominante est que cette activation des récepteurs va augmenter la plasticité cérébrale, la capacité des neurones à créer plus de connexions entre eux. Et faciliter ainsi l’intégration de nouvelles informations. On suppose que la psychothérapie aura ainsi plus d’impact, car la personne va pouvoir plus facilement faire évoluer ses schémas de pensée.
Cela se détecte-t-il en neuro-imagerie ?
Il y a une activité plus importante dans les régions sensorielles, associée à une amplification de la perception. On observe également une diminution de l’activité dans des régions qui sont dédiées au raisonnement ou à l’interprétation de nos sens. Et puis des modifications dans les structures qui sont impliquées dans la perception de soi et des émotions, avec une moindre réaction aux émotions négatives, et une moindre tendance à focaliser sur soi. Certaines de ces régions jouent un rôle dans les ruminations anxieuses (NDLR, le fait d’avoir des pensées négatives qui tournent en boucle) qui sont souvent suspendues pendant l’expérience psychédélique.
L’effet psychédélique est-il nécessaire pour obtenir un effet thérapeutique ?
L’apparition et l’intensité de l’effet psychédélique dépendent de la dose reçue. Dans les études, les patients reçoivent des doses hallucinogènes et ont souvent l’impression que l’amélioration est intimement liée à l’expérience qu’ils ont vécue. Les hallucinations sont-elles pour autant nécessaires ? On ne le sait pas encore. Mon pari est qu’il existe une efficacité indépendamment de l’expérience psychédélique, mais que cette dernière renforce l’effet placebo et amplifie la réponse clinique. Parmi les industriels, certains travaillent à synthétiser des produits analogues, qui activeraient les récepteurs à la sérotonine sans induire d’effet psychédélique.
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