Devenir des adolescents consommateurs d’alcool, facteurs de risque et conséquences à l’âge adulte

Une étude de cohorte parue dans la revue Pediatrics

Alcool

La consommation d’alcool est le facteur de risque principal pour de nombreuses pathologies, notamment parmi la population des 10 à 24 ans. Bien que la consommation d’alcool des adolescents augmente typiquement avec l’âge, il existe toutefois des trajectoires très hétérogènes d’initiation et de progression des consommations d’alcool, certains pouvant augmenter leur consommation rapidement avec l’âge, tandis que d’autres maintiennent une consommation modérée et occasionnelle.

La transition à travers différentes étapes de consommation (initiation, puis consommation régulière, et/ou « binge drinking ») pourrait être un indicateur de prédiction vers des problèmes liés à l’alcool et la dépendance à l’âge adulte. Des études récentes suggèrent que la rapidité de transition à travers ces étapes serait d’ailleurs plus prédictive de problèmes liés à l’alcool que l’âge d’initiation. Dans ce sens, identifier les liens entre certaines caractéristiques comme la consommation alcoolique des parents et l’influence des pairs avec la trajectoire des consommations d’alcool pourrait faciliter l’identification des adolescents à risque pour effectuer une intervention plus précoce.

Dans cette étude de cohorte, les auteurs avaient donc pour objectif :

  1. Identifier les trajectoires de consommations d’alcool chez les adolescents, en prenant compte de la fréquence et de la quantité des consommations
  2. Investiguer les facteurs prédictifs d’évolution parmi plusieurs facteurs concernant l’adolescent, les parents, la famille et les pairs

Pour ce faire, les auteurs ont utilisé la cohorte APSALS (Australian Parental Supply of Alcohol Longitudinal Study) qui comprenait 1927 dyades parents-adolescents recrutées parmi différentes écoles en Australie durant la période scolaire 2010-2011 dans des classes de 7ème année (équivalent de la 5ème en France). Les participants à l’étude ont été suivis au long de 7 vagues de questionnaire (un questionnaire par an). Chaque année, des questionnaires évaluant la consommation alcoolique ont été envoyés aux adolescents et parents par mail. Parmi les participants, 77.5% (n=1494) des adolescents ont complété la totalité des questionnaire sur 7 ans. Néanmoins, tous les participants ayant complété au moins 3 années de questionnaires ont été inclus dans l’étude. La fréquence et la quantité de consommation alcoolique moyenne sur les 12 derniers mois a été évaluée à partir de la 2ème vague (âge moyen de 13.9 ans) jusqu’à la 6ème vague (âge moyen de 17.8 ans). Pour la 7ème et dernière vague de questionnaire, les symptômes d’abus d’alcool, de dépendance à l’alcool ou de trouble de l’usage de l’alcool ont été mesurés à l’aide du Diagnostic Interview Schedule for Children IV, ainsi qu’un item supplémentaire pour le craving du DSM-IV.

De nombreux facteurs prédictifs de consommation d’alcool identifiés dans la littérature ont été inclus dans les analyses. Ces variables sociodémographiques et comportementales incluent des facteurs de l’adolescent, des parents, familiaux et des pairs : comme par exemple le sexe de l’adolescent, la religion et l’éducation des parents, accessibilité à l’alcool dans la maison, le statut socioéconomique de la famille, les consommations de toxiques des pairs, l’approbation ou non des pairs, etc… Des groupes statistiques de consommateurs ont été formés sur la quantité d’alcool consommée (jamais bu, seulement goûté, 1-4 verres, 5-10 verres, 11 verres ou plus) et la fréquence de consommation (jamais, moins d’une fois par mois, tous les mois, toutes les deux semaines, toutes les semaines ou plus), afin de pouvoir suivre leur évolution vers les différentes étapes de consommation.

Globalement, la consommation d’alcool a augmenté de la 2ème à la 6ème vague de questionnaires :

  • 6% des participants avaient consommé de l’alcool au moins une fois pour la 2ème vague VS 78.7% pour la 7=6ème vague.
  • 0% des participants avaient déjà bu au moins 1 verre standard d’alcool pour la 2ème vague VS 70.0% pour la 6ème vague.
  • 0% des participants avaient déjà bu au moins 4 verres standards d’alcool par mois pour la 2ème vague VS 31.8% pour la 6ème vague.

 

À la fin de l’étude, les participants ont été classés en 4 catégories : abstinents (n=352, 19.4%), consommation modérée d’apparition tardive (n=503, 27.7%), consommation modérée d’apparition précoce (n=663; 36.6%) et consommation importante d’apparition précoce (n=295, 16.3%).

La catégorie de consommation modérée d’apparition tardive a été sélectionnée comme la catégorie référence dans les analyses car elle représente le mieux les recommandations de consommation d’alcool en Australie pour les adolescents (différer l’initiation de la consommation d’alcool à 18 ans) et les adultes (ne pas boire plus de 4 verres durant un événement).

Les analyses statistiques multivariées ont révélé plus de facteurs prédictifs d’évolution .

Les facteurs parentaux ont été démontrés comme des facteurs protecteurs associés à un risque réduit de consommation importante d’apparition précoce par rapport au groupe référence :

  • Surveillance parentale (RRR : 0.66)
  • Règles du foyer familial spécifiques à l’alcool (RRR : 0.31)

L’influence des pairs a été démontrée comme un facteur de risque associé à une consommation importante et précoce d’alcool par rapport au groupe référence.

  • Consommation des pairs de tabac et/ou alcool (RRR : 3.43)

Le groupe de consommation importante d’apparition précoce a montré un risque augmenté de développer, selon les critères du DSM-IV, aux différents troubles liés à l’alcool : dépendance OR : 4.04), abus (OR : 6.05) et trouble de l’usage de l’alcool (OR : 7.68). Le groupe de consommation modérée d’apparition précoce n’a pas montré de risque augmenté de troubles liés à l’alcool.

Cette étude est la première à identifier les différentes trajectoires de consommation d’alcool et à évaluer les facteurs prédictifs d’association à ces différentes trajectoires mais aussi d’évolution vers de véritables troubles liés à l’alcool.

Cette étude possède de nombreuses forces :

  • Large échantillon (>1800 participants)
  • Longue durée (7 ans)
  • Suivi annuel régulier
  • Fort taux de maintien dans l’étude
  • Considération des covariants des parents et de l’adolescent
  • Intégration de la quantité ET de la fréquence des consommations dans les analyses

Mais aussi des limitations, qu’il faut garder en tête :

  • Les participants ont été recrutés au volontariat plutôt qu’au hasard dans la population, ce qui pourrait indiquer que ces résultats ne pourraient pas être généralisés au niveau de la population
  • Les mesures rétrospectives des consommations d’alcool ont pu sous-estimer les consommations des participants
  • L’usage d’autoquestionnaires à la fois pour les consommations mais aussi pour les symptômes peuvent fausser en partie les résultats
  • Les familles avec un bas statut socio-économique ont été sous-représentés dans l’étude

Les résultats de cette étude supportent les recommandations de santé du gouvernement australien (ainsi que d’autres gouvernements occidentaux) : pas de consommation alcoolique avant 15 ans, différer l’initiation de la consommation d’alcool à 18 ans, pas plus de 4 verres durant un même événement.

Etant donné l’importance des facteurs parentaux au début de l’adolescence pour réduire l’apparition précoce d’une consommation importante d’alcool, il semblerait important de conseiller aux parents d’instaurer des règles spécifiques à la consommation d’alcool dans le foyer pour prévenir les troubles futurs.

Concernant l’influence négative des pairs, aussi retrouvés dans d’autres études de cohortes, les résultats de cette étude supportent la mise en place d’interventions de prévention et/ou de réduction des consommations d’alcool auprès des pairs des adolescents.

Des études antérieures montraient que des consommations d’alcool importantes étaient plus fréquentes parmi les hommes (adultes et adolescents) comparées aux femmes, ce qui n’a pourtant pas été retrouvé dans cette étude. Cela pourrait être le signe d’un écart qui se réduit entre les sexes depuis ces dernières années.

Par Julien WEBER, interne en psychiatrie à Lyon

Relecture : Pr Benjamin ROLLAND

 

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