Disponibilité de la naloxone dans les pharmacies d’Alabama.

L’épidémie d’overdoses (OD) aux opioïdes aux Etats-Unis tue environ 49 000 personnes par an et est un problème de santé publique majeur. Pour éviter ces morts, il existe un antidote : la naloxone.

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Les autorités américaines ont donc permis la mise à disposition de cet antidote dans toutes les pharmacies et sans prescription. L’éducation des patients à la reconnaissance des symptômes menant à une OD et le maniement de l’antidote est primordiale. Si cela ne fonctionne pas trop mal dans les lieux communautaires, l’accès à cette « formation » est en revanche plus difficile dans les milieux ruraux qui ne sont pas épargnés par la crise. Les pharmacies ont l’avantage d’être présentes sur presque tout le territoire et sont accessible aux usagers d’opioïdes y compris en zone rurale. Les ventes de naloxone entre 2013 et 2015 ont été multipliées par 10.
Pourtant, une précédente étude a montré que les pharmacies associées à une chaine/groupement d’achat (groupement que l’on retrouve également en France) sont plus à même d’avoir en stock de la naloxone que les pharmacies indépendantes. Les auteurs ont donc voulu connaitre le nombre de pharmacies qui ont en stock et qui dispensent de la naloxone dans les environs de Birmingham (État d’Alabama). Ils se sont focalisés sur les spécialités en stock (4 sont commercialisées en spray nasal et/ou injectable, princeps et/ou générique), les attitudes des pharmaciens en dispensant (éducation ou non, avec ou sans support) et s’il existait une différence entre les pharmacies de groupement versus celles indépendantes et en fonction du milieu (rural versus urbain).

 

Sur le plan méthodologique, ils ont fait un questionnaire (12 questions en 10 min) qu’ils ont administré par téléphone aux 320 contacts de pharmacies situées dans les comtés de Walker (rural) et de Jefferson (rural et urbain avec la ville de Birmingham). L’enquête s’est déroulée de mai à septembre 2018. 30 % des pharmacies n’étaient pas joignables (n’est plus une pharmacie, pas de réponse ou numéro non attribué…) malgré de nombreuses tentatives. Sur les 222 pharmacies jointes, 1 seule n’a pas voulu répondre à la première question à savoir s’il avait ou non de la naloxone en stock. Seules 125 pharmacies ont répondu à toutes les questions. Les autres ont prétexté ne pas avoir le temps,  ne pas être intéressé, ne pas en avoir en stock ou de méconnaitre cet antidote. Le répondant était systématiquement un pharmacien puisque les non pharmaciens (ex: préparateurs) qui décrochaient étaient invités à transmettre la communication à un pharmacien.

Concernant les répondants, il n’y a pas de différence entre zone rurale ou urbaine, par contre, il y a plus de pharmaciens de groupement que d’indépendants qui ont répondu. Ceux qui avaient de la naloxone ont logiquement plus répondu aux questions que ceux qui n’en avaient pas. 65% étaient des pharmaciennes (moyenne d’âge 40,7 ans). En zone rurale, il y a plus de pharmacies indépendantes qu’en zone urbaine. Dans le mois précédent l’enquête, 69,7 % des pharmacies n’avaient pas délivré un seul kit de naloxone sans différence entre sa zone d’origine et son mode d’approvisionnement. Par contre seules 11% des pharmacies indépendantes contre 28,6% de groupement avaient du stock. Les temps d’approvisionnements étaient plus longs en zone rural qu’urbaine pour 3 des 4 spécialités. Seul le spray nasal princeps (Narcan®) était disponible aussi rapidement partout.

Concernant la dispensation, en zone rurale, c’est essentiellement une éducation à l’utilisation verbale alors qu’en zone urbaine, ils y associent une version écrite. Sur le nombre de dispensationsq, il n’y a pas de différence selon la zone. En rural, pas de différence entre chaine ou indépendante alors qu’en urbain, ce sont essentiellement les officines de groupement.

Concernant le nombre de spécialités disponible, ce sont les chaines qui en disposent le plus quelques soit la zone mais seulement 13,7 % des officines urbaines de groupement disposent d’au moins 2 spécialités.

Sur le ressenti des pharmaciens, la moitié pense que la disponibilité de la naloxone est un encouragement aux usagers à continuer les opioïdes. L’aspect de zone et de gestion joue un rôle, puisque en ville et en groupement, seuls 14 % pense ça tandis qu’ils sont 34 % lorsqu’ils exercent en rural de façon indépendante. 42 % pensent que la naloxone évite de consommer et 46 % que la naloxone évite une prise en charge par les secours après une OD. La faible dispensation des kits est associée à la faible demande. Plus de 80 % des pharmaciens ont au moins une fausse croyance sur la naloxone quelle que soit la zone. En revanche, ils sont plus nombreux à exercer en indépendant qu’en groupement. Plus de 95 % des pharmaciens sont convaincus que la naloxone est efficace et utile dans la prévention des OD. Concernant les obstacles, 56,5 % des pharmaciens rapportent que les patients ne peuvent pas payer le kit. 46% rapportent des problèmes de remboursement, de frais de stockage qui contribuent à ne plus dispenser.

L’idée de rendre accessible à toutes les pharmacies la naloxone permet en théorie de diffuser largement l’antidote. En pratique cette étude montre tous les freins dans la vie réelle : accessibilité restreinte, délais d’obtention trop longs, demande pas assez forte, formation des pharmaciens insuffisante pour ne pas dire inexistante, problème de remboursement, impact de la zone et du mode d’exercice …

L’une des limites de cette étude est d’avoir exclu les préparateurs en pharmacie de ce questionnaire, car finalement, ce sont peut-être eux qui sont le plus souvent au contact des patients.

Intérêt de cette publication par rapport à la pratique française :

Au regard de la situation américaine (épidémique), on comprend mieux celle française qui pourtant n’est pas comparable puisque nous n’avons d’épidémie d’OD. Chez eux la demande est faible, chez nous, elle n’existe pas. Chez eux peu de stock dans les officines, chez nous, trouver une pharmacie qui a en stock du Prenoxad® revient à trouver la combinaison gagnante du loto. Si on intègre les structures d’addictologie qui dispensent Prenoxad®/Nalscue® les chiffres sont à peine plus glorieux. Enfin, il est indispensable que les pharmaciens aient une formation sur la naloxone au regard du taux très élevé de fausses croyances. 50% des pharmaciens américains touchés par une grave épidémie ne connaissent pas la prise en charge d’une OD. Combien en France ?

Article rédigé par Mathieu Chappuy

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