Drogues et addictions : les leçons (déstabilisantes) du succès portugais

En 2001, le Portugal a mis en place une ambitieuse stratégie de décriminalisation de toutes les drogues pour usage personnel, en mettant l'accent sur le suivi des consommateurs. Les résultats sont très significatifs.

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Atlantico.fr : Au tout début des années 2000, le Portugal a mis en place non pas une politique de légalisation mais de décriminalisation de toutes les drogues pour usage personnel. Pourriez-vous réexpliquer quels étaient les grands axes de cette politique, et quelle était la philosophie, la logique, qui présidait à sa mise en place ?

Joao Goulão : On a vécu des conditions historiques qui nous ont amenées à un gros problème lié à la consommation des drogues. Avant 1974, nous n’avions pas vraiment de drogues au Portugal, car nous avions un régime très dur, très fermé, celui de Salazar. Ce qui est arrivé dans d’autres pays d’Europe et du monde ne nous a pas touchés. Mais dans les dernières années de ce régime, nous avons vécu une guerre coloniale et toute la jeunesse était forcée d’y servir comme soldat : Mozambique, Guinée-Bissau, etc. Beaucoup d’entre eux ont alors développé des attitudes de consommation de substances : alcool et surtout cannabis. Après la révolution de 1974, le 25 avril, nous avons eu une soudaine ouverture de notre société, le retour des soldats de nos anciennes colonies, et nous avons vécu une explosion des expérimentations qui traversait toutes les classes sociales. Très vite, nous avons vu l’introduction de toutes les autres drogues – héroïne, cocaïne, LSD – dans une société complètement impréparée et naïve sur les drogues. Il était facile de sauter d’une drogue à l’autre. L’héroïne était très populaire à cette époque.

En dix ans, nous avons atteint un niveau très impressionnant d’utilisateurs problématiques, surtout d’héroïne. Nous l’estimons à 100.000 personne, à l’époque, soit environ 1% de notre population. Cet usage a eu des impacts dans notre société : les morts par overdose, les infections par le Sida, qui est apparu au début des années 1980, la criminalité liée aux drogues, etc. Heureusement, nous n’avons pas eu une criminalité lourde avec des meurtres, mais la petite criminalité était très présente dans la vie de tous les jours. Et le problème des drogues est devenu un problème social et politique.

Nous avons développé des réponses de traitement, de prévention, mais elles étaient un peu déconnectées, casuistiques. C’est pourquoi notre gouvernement avec Antonio Gutteres, notre Premier ministre et José Sócrates, qui était son ministre adjoint en charge de la Jeunesse, ont décidé d’inviter un groupe de neuf experts (juges, psychiatres, psychologues,…) parmi lequel j’étais. Ils nous ont demandé de proposer une stratégie pour réguler le problème des drogues dans notre pays. La seule limite qu’ils nous ont posé était d’être dans l’esprit des traités des Nations Unies, qui ont un paradigme prohibitionniste. Nous avons donc rédigé un document, qui mérite encore d’être lu, avec des propositions concernant l’offre, pour les autorités policières et douanières, mais surtout dans le domaine de la demande avec une systématisation autour de la prévention, du traitement, de la résolution des dommages, la réinsertion des usagers. Tout ça en prenant comme point de départ que la toxicomanie est surtout un problème de santé, de l’ordre du social, plutôt qu’un problème criminel. Dans cette ligne, nous avons proposé la décriminalisation de l’usage des drogues mais avec une continuité des pénalités administratives. C’est quelque chose de comparable au port de la ceinture de sécurité en voiture, on peut avoir une amende mais pas finir en prison.

Le gouvernement a adopté la stratégie en 1999 dans son ensemble mais cette décision devait être prise par le parlement, ils l’ont discuté en 2000. Nous avons profité de cette année pour organiser des discussions publiques qui ont réuni beaucoup de monde. A cette époque, il y avait dans presque toutes les familles portugaises un problème avec l’héroïne. Au parlement, il y a eu une bipolarisation entre la gauche qui soutenait la proposition et les partis plus conservateurs qui s’y opposaient et craignaient que le Portugal devienne le paradis des drogues. La loi est finalement passée et est entrée en vigueur en juillet 2001.

Comment se passent concrètement les contrôles antidrogues actuellement ?

Si quelqu’un est interpellé par la police en possession de drogue, il est amené à la station de police, où l’on vérifie la quantité. Un tableau défini les quantités limites (usage personnel estimé pour 10 jours) entre la contravention et la procédure criminelle. S’il a plus, il sera envoyé devant la juridiction criminelle, comme avant. S’il a moins, il devra se rendre dans un délai de trois jours devant un organe administratif, la Commission pour la dissuasion de la toxicomanie qui dépend du ministère de la santé. Cet organe peut, après un entretien avec trois personnes (généralement un juriste, un psychologue et un travailleur social), appliquer des amendes ou autres pénalités administratives : travaux sociaux, mesures d’éloignement. S’il ne se présente pas il peut être poursuivi pour désobéissance à un ordre. Le but de cette commission est surtout d’identifier les besoins des citoyens et leurs profils : est-ce un addict ou un consommateur récréatif, occasionnel ou ont-ils des problèmes pouvant amener à un usage problématique dans le futur (divorce, chômage, etc…). C’est une porte supplémentaire vers le système de traitement.

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