« Entre 15 et 24 ans j’ai cru que l’alcool m’aidait à vivre, alors qu’il me nuisait » le témoignage de Baptiste Mulliez abstinent à l'alcool depuis 7 ans

Alcool

Baptiste Mulliez, 31 ans arbore un visage d’ange, des yeux rieurs et un sourire d’une grande douceur. Pourtant, derrière ce profil de « gendre idéal » se cachent beaucoup de souffrances et notamment un passé de dépendance à l’alcool. Hypersensible, avide de reconnaissance des autres adolescents de son âge, Baptiste commence à boire à 14 ans lorsqu’un de ses amis lui tend une bouteille de rosé. Il aime la désinhibition et la confiance que lui procure la boisson et finit par consommer de plus en plus. L’alcool ne le lâchera plus, il s’entoure de gros buveurs, commence à boire seul et la dépendance s’installe naturellement. C’est l’amour de sa mère qui va finalement provoquer un déclic chez lui en l’incitant à aller voir les Alcooliques Anonymes. Aujourd’hui Baptiste est sobre depuis 7 ans et œuvre en tant que patient expert pour la prévention des dommages de l’alcool notamment chez les jeunes. Aujourd’hui, il est heureux de « pouvoir se coucher sans avoir bu et de se réveiller sans gueule de bois ». Il a accepté de répondre aux questions d’Addict’AIDE.

 

-Quand as-tu commencé à boire de l’alcool ? Peux-tu nous raconter brièvement ton parcours ?

Avant ma rencontre avec l’alcool, certains traits de mon caractère pouvaient sans doute faire craindre les addictions. Un profil très anxieux, une hypersensibilité que je ne connaissais pas à l’époque mais qui a provoqué un mal-être, des crises d’angoisses difficiles à exprimer. J’étais quelqu’un qui fuyait l’affrontement, ce qui brasse un mal-être. Quand j’ai découvert l’alcool à l’âge de 14 ans, je me suis senti libre et j’ai eu l’impression de fuir cette pression. J’ai connu des drames entre mes 15 et 24 ans et l’alcool m’a aidé à vivre ces moments douloureux, je ne savais pas qu’en réalité l’alcool me nuisait.  A un moment donné, j’ai essayé de me limiter, de m’abstenir jusqu’à l’âge de 24 ans mais ces tentatives n’ont pas été fructueuses. C’est la thérapie qui m’a permis de défragmenter et refragmenter ces éléments de ma vie pour me reconstruire. J’avais le désir de mieux me comprendre pour me protéger davantage des risques et des tentations et pouvoir structurer mon abstinence.

Je considère avoir commencé à boire comme tout le monde, dans un cadre festif. Quand on est ado, on est en construction identitaire et on veut appartenir à un groupe. Mon hypersensibilité s’exprimait par un fort désir d’être aimé, donc je me suis dit qu’en disant oui à tout, c’est comme ça que j’allais être aimé. On m’a initié au « before », au « binge drinking » mais je ne considère pas avoir subi une pression sociale particulière, j’y suis allé de moi-même. On peut éventuellement penser aux messages indirects, publicité, alcool associé au fait d’être adulte. J’étais jeune, je voulais faire la fête, mon anxiété me provoquait des angoisses et l’alcool me permettait de les oublier. Il est important de souligner le fait que je ne m’aimais pas. Je n’aimais pas ce Baptiste introverti, pudique. Je ne m’acceptais pas sobre. J’avais le désir d’être un autre. L’alcool me donnait ce « pouvoir », celui d’être drôle et extraverti. Le Baptiste sous alcool semblait aimé, avoir de la reconnaissance.

-Quand as-tu senti que ta consommation devenait problématique ?

Tout de suite, l’addiction est une maladie de l’orgueil et j’étais très fier de ma descente, de ma capacité à résister. J’étais très fier de cette étiquette de gros buveur, je ne voyais pas un problème, je ne voyais que cette reconnaissance…

  • Arrêter est difficile ! Qu’est-ce qui t’a semblé le pire ?

Tout a été difficile ! Le plus dur pour moi qui étais très jeune a été de me confronter à encore énormément de soirées. Arrêter à 24 ans fait que notre place est plus difficile à trouver. Comment exister sans alcool ? Comment s’entourer sans ? Comment redécouvrir les plaisirs de la vie sans ? L’alcool avait aussi « gommé » mes angoisses et sans, je me suis retrouvé face à elles, de vraies montagnes :  agoraphobie, angoisse du manque, vivre en soi était une angoisse. C’est difficile d’accepter que ça sera douloureux, de s’armer de patience. Ce n’est pas naturel chez moi, peut-être aux dépendants en général. Je n’ai plus cette béquille qu’est l’alcool pour oublier mes angoisses. Accepter de passer par des phases inconfortables où l’on se demande si cela vaut le coup de continuer. Chercher où est le positif dans l’abstinence ? Soudainement la vie est morose et il faut essayer de se convaincre que l’équilibre c’est ce qui est à rechercher.

Évidemment, je n’ai rien fait tout seul, j’ai eu besoin d’aide. Fuir la solitude a aussi été une épreuve, car quand je me sens seul je bois, l’ennui était donc difficile à combattre. A 24 ans, l’alcool est partout, dans les soirées, dans les bars, en terrasse, chez les amis. Comment va- t-on m’accepter sans alcool ? Le choix de ne plus consommer crée des interrogations dans l’entourage.

-Y a-t-il eu des rechutes ?

Les obstacles étaient arrivés avant. Depuis que je suis aux Alcooliques anonymes je n’ai pas bu du tout. Mais avant, face à certains drames, je ne réussissais pas à me contrôler. J’essayais pendant 10 jours de ne pas boire mais c’était du déni. Je ne me considérais pas encore comme dépendant. C’est trop négatif pour que je puisse me sentir concerné. Les rechutes sont arrivées car je ne m’étais pas approprié mon combat, je le faisais pour les autres. Ça m’arrivait de boire le matin pour éviter les tremblements mais, je ne me considérais pas comme un alcoolique.

-Après l’arrêt, as-tu trouvé d’autres moyens de ressentir ce que l’alcool pouvait te procurer en termes de désinhibition, de joie… ?

Non, mais je ne pense pas que ce soit la bonne méthode, si l’on admet que tout sous alcool est faux. Là encore, il faut s’armer de patience. Lors de mes premiers mois d’abstinence, je suis dans un brouillard où tout est fade. Heureusement que mes proches, les Alcooliques Anonymes et mon médecin m’aident. Mais je ressens un vide intérieur pendant mes 3 premiers mois d’abstinence.

Après j’ai gouté à des émotions authentiques, en redécouvrant les odeurs, la vue, le ciel dégagé. Je voyais l’absence de nuages comme une absence d’obstacles. Ou encore les paysages, les conversations riches et profondes, et une reconnexion avec les autres. Sans compter la musique qui m’a sauvé. Savoir que je savais profiter de la musique et m’enivrer de musique, écouter de la musique en boite sans alcool. Au début, chaque musique me rappelait des moments d’ivresse. Après quelques mois, j’ai réalisé que je pouvais sortir en boite, danser et cela m’a beaucoup fait plaisir. Ça s’est fait très progressivement.

 

Dans ce nouveau cadre d’abstinence qui m’aide à tenir, j’ai une exigence vis-à-vis de moi-même : je m’en voudrais trop de reprendre l’alcool. Le fait d’apprendre à être plus humble vis-à-vis de moi-même m’a beaucoup aidé. Reconnaître que c’est grâce à l’abstinence que le positif arrive autour de moi. Il faut faire attention quand on croit que tout va bien, quand on croit que l’on est guéri, cela peut-être des moments où on est particulièrement vulnérable. Il faut alors redoubler de vigilance, d’où l’importance de continuer à être accompagné. Il faut arriver à s’écouter soi et à s’extraire des perceptions sociales.

Déconstruire son rapport à l’alcool est possible, comme dire non et se préserver : avec beaucoup d’efforts, ça finit par devenir naturel.

La résilience est très importante. Il faut s’armer pour affronter les choses. Les épreuves traversées créent la résilience pour celles qu’on devra affronter le lendemain. Pour cela, ne pas hésiter à demander de l’aide à ses proches, aux Alcooliques anonymes. Leur soutien est hyper important. J’ai eu la chance d’avoir un cercle social bienveillant autour de moi. Les groupes de paroles peuvent aussi créer une forme de famille. Surtout ne pas croire que l’on est toujours seul face à notre problème.

 

-Que dirais-tu aujourd’hui à un jeune qui commence à boire ? A un jeune qui souhaite arrêter ?

Je lui dirai de réfléchir à la question suivante : « Pourquoi tu bois ? ». C’est en conscientisant sa relation à l’alcool, définir ce que l’alcool lui apporte que l’on peut avancer dans son introspection. Est-ce que l’alcool impacte ta vie négativement ? Essaie-tu de devenir un autre en consommant ? Quel que soit le type d’addiction.

 Il faudrait sortir du tout blanc et tout noir (ceux qui contrôlent et les dépendants) pour désacraliser l’addiction et concerner aussi ceux qui ne sont pas dépendants. Afin d’ouvrir toutes les consciences sur le sujet, et pas uniquement celles des personnes dépendantes.

Et quels conseils donnerais-tu aux proches, parents, frères et sœurs, amis, pour qu’ils l’accompagnent au mieux ? Que ce soit pendant la dépendance ou pendant l’arrêt ?

J’ai été dans la confrontation de l’autorité. J’ai un désir de comprendre pourquoi on me donne un ordre. C’est peut-être une piste pour des proches : ne pas faire la morale et expliquer pourquoi on lui dit ça. Jugement et conseils s’apparentent à des ordres. Peut-être demander simplement « Comment vas-tu ? ». Cette question peut créer des réactions chez la personne dépendante. En s’armant de patience, en ne maternant pas trop, ni en tentant de régler le problème à la place de la personne. Bien évidemment cela est différent pour chacun. L’entourage ne doit pas se sacrifier, son rôle n’est pas de sauver mais d’accompagner. L’entourage peut aussi avoir besoin de se soigner et de se reconstruire via des thérapies ou des groupes de parole spécifiques. Liens Al Anon, Nar Anon. Plus spécifiquement pour les parents, il existe des consultations jeunes consommateurs (CJC) pour leurs enfants et eux-mêmes (voir notre annuaire géolocalisé).

De nombreuses marques d’alcool se servent des réseaux sociaux pour promouvoir leurs boissons alcoolisées. Quel est ton avis sur le sujet, toi qui fais de la prévention sur ces mêmes réseaux ?

C’est une question qui me gêne car je me rends compte que je suis plus focalisé sur l’émotionnel par rapport au politique. Je suis content des nouvelles alternatives qui existent, notamment les produits sans alcool, même si je ne les aime pas, mais ils peuvent aider. Ces boissons risquent toutefois d’inviter à la consommation des personnes encore plus jeunes, lors des repas de famille, quand les parents boivent de la bière et les enfants de la bière sans alcool. Idem pour les bonbons au gout de mojito pour les enfants : ils risquent d’accoutumer le cerveau à l’alcool dès la jeunesse. Le Champomy peut avoir cette même forme de danger, montrant aux enfants qu’ils auront accès au champagne plus tard. On ne peut pas faire attention à tout, mais le but est de le faire dans le cadre d’un dialogue. Les alternatives sont bonnes mais ne soyons pas dupes. Elles peuvent se transformer en porte d’entrée.

Un chiffre me choque : les revenus des alcooliers atteignent des milliards, qui peuvent être investis dans toute cette publicité, alors que le coût des soins est de 130 milliards ! Je trouve ça dingue que les influenceurs s’affichent avec leur consommation, c’est totalement déraisonnable… Ce ne sont toutefois pas des sujets sur lesquels je m’engage, même si, en ce qui concerne mes futurs enfants, je ne sais pas comment réagir, comment transmettre le bon message. Je souhaite surtout que mon exemple serve de message préventif.  

Et les écoles qui proposent des week-ends d’intégration très alcoolisées en open bar ?

Il faut absolument déconstruire ce schéma de fierté du buveur. Ce n’est pas normal d’être fier de boire beaucoup d’alcool ou de boire plus que les autres ! Plutôt que de susciter l’admiration des autres, cela devrait tirer la sonnette d’alarme. Les autres pourraient aussi faire passer le message à ceux qui boivent, leur dire qu’ils peuvent avoir un problème. Se documenter sur les addictions pour voir les signaux d’alerte et les troubles du comportement serait important.

Tu as rencontré les Alcooliques anonymes au début de ton sevrage, peux-tu nous en dire plus ?

La première chose c’est que j’étais le plus jeune dans les réunions, en termes d’identification pure ça a été un peu difficile. En revanche sur l’aspect émotionnel, le partage des joies, de la souffrance, je me suis beaucoup identifié aux témoignages. Moi qui me percevais comme différent, je me suis senti beaucoup moins seul. Je me souviens d’un regain d’énergie à chaque réunion qui me reboostait. Je pouvais me recentrer sur mes priorités, parler ouvertement et ressentir la bienveillance. J’ai aussi pu revoir mon jugement sur l’alcoolisme devant toutes ces histoires qui ne ressemblaient pas aux clichés que je me faisais des personnes alcooliques. Je n’y vais plus depuis environ 3 ans. Je suis en thérapie ou dans d’autres groupes de parole comme à l’Hôpital Bichat. Quelle que soit la façon, il faut absolument rompre avec l’isolement :  réseaux sociaux, groupes de parole, proches… La solitude est presque aussi destructrice que l’addiction elle-même.  

-Que t’apporte ton expérience actuelle de patient expert ?

Mon rôle de patient expert c’est d’être un lien (une phrase de Micheline Claudon). J’essaie d’être la personne que j’aurais aimé croiser quand j’étais au plus mal. C’est dans ce travail que j’ai trouvé ma place dans ce monde que je fuyais. Et c’est auprès des jeunes que je me sens le plus impactant. Pour moi la véritable prévention consiste à semer des graines avant de toucher le fond. Ma prise de conscience vient de ces graines que mes proches ont semées sans que je m’en rende compte. Mon accompagnement se fait beaucoup sur le côté émotionnel/humain. Le rôle du patient expert réside dans le savoir expérientiel, dans les émotions. Je peux utiliser mon hypersensibilité pour pouvoir désormais aider les autres.

J’ai beaucoup de chance d’avoir découvert la Littérothérapie, la thérapie par l’écriture. Cela s’est fait grâce à une rencontre, Judith Lossmann, qui est aujourd’hui la co-autrice de mon histoier « D’avoir trop trinqué ma vie s’est arrêtée ». Elle m’a autorisé à regarder avec plus de douceur ce que j’avais enfoui en moi. Ce que je recherche aujourd’hui c’est l’authenticité, je ne supporte plus les masques. J’essaie d’avoir l’authenticité pour ligne directrice, pour exprimer ses émotions et se mettre à nu. C’est comme ça que les gens vont pouvoir s’identifier.

Un grand merci à Addict’AIDE de m’avoir sollicité, c’est un site que je conseille depuis des années pour ses valeurs et la façon dont vous souhaitez accompagner les autres.  J’ai une chance inouïe d’avoir accès à la parole médiatique sur le sujet. J’ai envie de pouvoir mettre des mots que d’autres n’ont peut-être pas et insuffler un élan d’espoir. Se sentir compris, moins seul, moins différent, ce sont d’immenses pas en avant. C’est ma nouvelle mission de vie.

 

  • Baptiste Mulliez, abstinent d’alcool depuis 7ans, a reçu la formation de patient expert délivrée par l’APHP à Paris. Il se focalise notamment sur la prévention auprès des jeunes (étudiants, lycéens et collégiens). Il est le co-auteur de « D’avoir trop trinqué, ma vie s’est arrêtée », avec Judith Lossmann, fondatrice de la LittéroThérapie.

https://d-avoir-trop-trinque-ma-vie-s-est-arretee.com/