Estimation du nombre de consommateur de crack en France.

Une étude ambitieuse de Eric Janssena, Agnès Cadet-Taïroua, Clément Géromea et Michael Vuolob parue dans le International Journal of Drug Policy fait le point sur la hausse du nombre de consommateurs de crack dont l'âge s'est rajeuni et qui concerne l'ensemble du territoire et plus seulement l'agglomération parisienne.

Autres drogues

Les différents rapports de l’EMCDDA (Observatoire Européen des Drogues et des Toxicomanies) montrent une augmentation de l’utilisation du crack en Europe. Le crack est connu pour ses nombreux dommages psycho-socio-économiques sans oublier les dommages médicaux (infectieux, pulmonaire…). Dans les années 80, le crack était « réservé » aux consommateurs parisiens les plus précaires issus des caraïbes ou de l’Afrique de l’ouest. Mais avec l’expansion du marché de la cocaïne, les utilisateurs de crack évoluent, on retrouve également des européens de l’est, des personnes plus insérées qui utilisent en alternance différents psychostimulants.

En 2011, il était estimé que 15 400 usagers consommaient du crack sur le territoire français avec un intervalle de confiance allant de 11 à 20 000 consommateurs (il est difficile de recenser les consommateurs de produits illicites dans un échantillonnage). Croiser les données pour obtenir des résultats robustes se heurte à la problématique de l’anonymat auquel ont le droit les usagers de drogues en France. Pour estimer au mieux cette population, les auteurs ont utilisé les données des centres de prises en charge. En effet, ces centres renseignent les consommations de leurs usagers au sein de leur dossier médical et chaque année, une extraction anonymisée a lieu au sein du fichier RECAP (Recueil Commun sur les Addictions et les Prises en Charge) qui est envoyé à l’OFDT (Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies).

L’absence de traitement substitutif comme avec les opiacés rend impossible l’extrapolation des valeurs à partir de la consommation de ces médicaments. En 2017, 200 000 fiches RECAP étaient exploitables. L’étude a reçu l’approbation de la CNIL. Elle portait sur les usagers de crack ou cocaïne fumée entre 2010 et 2017 avec une distinction si c’était une première prise en charge ou non. Les réadmissions après plus de 6 mois d’arrêts étaient considérées comme un nouveau cas. Pour valider les résultats, des méthodes statistiques puissantes ont été utilisées (technique de Zelterman) et sont décrites dans l’article original.

Les résultats montrent une augmentation de 52 % entre 2010 et 2017 où on retrouvait 5143 consommateurs de crack. En appliquant différents modèles/techniques pour extrapoler à la population générale, on retrouve une estimation moyenne de 9775 en 2010 contre 28983 en 2017. Sur cette même période, le nombre de patients pris en charge dans une structure d’addictologie pour le crack a diminué en passant de 34 à 18 %. Si les usagers étaient majoritairement masculins, la proportion de femmes augmentait passant de 22,5 à 26,4 % en 7 ans. L’âge moyen ne change pas et reste majoritairement dans la tranche d’âges comprise entre 30 et 44 ans. Mais au fil du temps, l’âge moyen se rajeunit. L’utilisation s’est répandue sur l’ensemble du territoire et n’est plus un phénomène exclusivement parisien. La région nord-est est la plus grosse consommatrice tandis que le nord-ouest est la région la moins consommatrice. Le sud n’est pas épargné avec une consommation importante mais un peu moindre que la métropole parisienne.

Si on compare avec les estimations faites aux États-Unis, Royaume-Uni et Pays-Bas, on retrouve également une multiplication par 3 des usagers en 7 ans. Si on considère les standards épidémiologiques classiques, la consommation de crack reste faible en France mais en augmentation. Les Néerlandais ont aussi une tendance à un rajeunissement et une féminisation de leurs consommateurs. Si on regarde les régions géographiques, il existe des clusters de consommation comme par exemple à la frontière espagnole (principale porte d’entrée de la cocaïne en France).

Les auteurs expliquent aussi l’expansion de la cocaïne par l’amélioration du réseau de revente. Si initialement, c’était des petits revendeurs situés dans les banlieues nord parisiennes, on retrouve actuellement un réseau structuré avec call-center, livraison à domicile, drive… En 2010, 11 % des utilisateurs de crack était SDF (versus 6 % en 2017), 36 % étaient propriétaires de leur logement (vs 44 % en 2017). Le crack se positionne sur le marché post cocaïne comme étant un produit « plus fort » pour les personnes qui sont dans un processus d’escalade de leurs sensations sous produit après avoir le plus souvent développé une tolérance à la cocaïne poudre. Si l’utilisation de crack était stigmatisante dans le passé, elle jouit désormais d’un « basage home made » ou « fait maison » de meilleure qualité et donc plus sécuritaire que celle achetée déjà basée. En réalisant le crack, les usagers ont l’impression de maitriser leur consommation et donc d’être moins dépendant. Ce qui les éloigne du soin.

Les auteurs terminent en exprimant les limites de leurs calculs et de leurs méthodes statistiques. Les fiches RECAP contenaient beaucoup d’items non renseignés ne permettant pas par exemple d’avoir le niveau d’éducation, l’activité professionnelle, les revenus. Les lois françaises ne permettent pas de faire un topic ethnique. L’exploitation des données n’a pas distingué les cas où le crack était le produit primaire versus secondaire . Enfin, seul les consommations sur le dernier mois ont été prises en compte ce qui peut créer un biais.

En conclusion, la consommation de crack augmente, la population consommatrice évolue au fil du temps et se généralise sur le territoire avec des usagers qui sont de plus en plus insérés et qui rentrent de moins en moins dans les soins.

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Par Mathieu Chappuy

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